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PARTIE I. LA GOUVERNANCE COLLABORATIVE EN SANTÉ

Chapitre 3. Regard pratique sur la gouvernance collaborative

3.2 L’Initiative canadienne de vaccin contre le VIH

Depuis plusieurs années, le gouvernement fédéral et la Fondation Gates contribuent ensemble à l’Initiative canadienne de vaccin contre le VIH (Initiative canadienne ou l’ICVV) (voir l’annexe 1, figure 2). Une première section s’attarde à expliquer leur rôle respectif ainsi qu’à présenter leur mission commune. Puis, une seconde section vise à montrer l’horizontalité de leurs relations de pouvoir.

3.2.1. Rôle et mission des acteurs

En 2006, le gouvernement du Canada et la Fondation Gates ont signé un protocole d’entente officialisant leur collaboration pour mettre en œuvre l’Initiative

277 Assemblée nationale du Québec, supra note 261 (20h40); Québec en Forme, Regroupements locaux de partenaires, en ligne (juin 2011): Québec en Forme <http://www.quebecenforme.org/que-faisons-nous/regroupements-locaux-de-partenaires.aspx>.

canadienne de vaccin contre le VIH.278 L’entente a été renouvelée et quelque peu modifiée en 2010.279

Au sein du gouvernement, cinq acteurs sont concernés par cette initiative, soit: l’Agence de la santé publique du Canada, l’Agence canadienne de développement international, Industrie Canada, les Instituts de recherche en santé du Canada et Santé Canada. Quant à la Fondation Gates, elle est une organisation caritative indépendante basée aux États-Unis et dont les fonds proviennent de sources privées.280 Dans le protocole d’entente de 2010, sa mission est énoncée comme étant celle de réduire les inégalités en matière de santé dans le monde, en soutenant des interventions sanitaires qui sauvent des vies et allègent le fardeau de la maladie dans les pays en développement.281

L’annonce de cette collaboration s’est faite conjointement par le Premier ministre Stephen Harper et Bill Gates en 2007. À cette occasion, le Premier ministre s’est exprimé ainsi sur la mission commune des partenaires:

Cet effort conjoint entre notre nouveau gouvernement et la fondation de Bill et Melinda Gates contribuera aux efforts mondiaux visant à concevoir des vaccins sécuritaires, efficaces, abordables et mondialement accessibles contre le VIH. [...] Grâce à cette initiative et en partenariat avec la fondation Gates, le Canada offrira

278 Gouvernement du Canada, Protocole d’entente entre le gouvernement du Canada et la Fondation Bill et Melinda Gates, Initiative canadienne de vaccin contre le VIH, 2006, en ligne:

Gouvernement du Canada <http://www.chvi-icvv.gc.ca/mou-fra.html > [Protocole d’entente ICVV 2006].

279 Chambre des communes du Canada, Comité permanent de la santé, Examen de l’annulation du projet d’installation de fabrication d’un vaccin contre le VIH dans le cadre de l’Initiative canadienne de vaccin contre le VIH, (octobre 2010) à la page 13 [Examen de l’annulation ICVV];

Gouvernement du Canada, Protocole d’entente entre le gouvernement du Canada et la Fondation

Bill et Melinda Gates, Initiative canadienne de vaccin contre le VIH, 2010, en ligne:

Gouvernement du Canada <http://www.chvi-icvv.gc.ca/mou-fra.html > [Protocole d’entente ICVV 2010].

280 Protocole d’entente ICVV 2006, supra note 278 à la page 1. 281 Protocole d’entente ICVV 2010, supra note 279 s. 2.

les ressources nécessaires pour atteindre cet objectif louable, épargnant ainsi à des millions de personnes les horreurs du VIH/sida.282

Concrètement, le gouvernement et la Fondation Gates se sont engagés à financer, pendant cinq ans, des projets nationaux et internationaux permettant à des chercheurs canadiens de contribuer au développement d’un vaccin contre le VIH, tant sur le plan scientifique que sur le plan éthique, social et politique.283 En vertu du protocole d’entente de 2006, le gouvernement et la Fondation Gates ont convenu que les projets s’inscriraient dans un des six secteurs prioritaires suivants284: recherche d’exploration et capacité; essais cliniques et réseaux; capacité de production; politique et réglementation; dimensions communautaire et sociale; planification, coordination et évaluation.285 Ces secteurs font écho aux missions respectives du gouvernement du Canada et de la Fondation Gates. En effet, le gouvernement poursuit son engagement à privilégier une approche exhaustive pour lutter contre le VIH/sida à l’échelle nationale et internationale, ainsi qu’à participer à la création de nouvelles technologies préventives tel qu’un vaccin.286 Quant à la Fondation Gates, elle agit dans le cadre de son Global

Health Program, qui vise à financer des projets de recherche sur les vaccins anti- VIH.287

282 Premier ministre du Canada, « Le Premier ministre Harper finance la recherche sur un vaccin

contre le VIH/sida » (20 février 2007), en ligne (février 2013): Premier minitre <http://pm.gc.ca/fra/media.asp?id=1545>. Le gouvernement fédéral et la Fondation Gates se sont en fait inspirés des objectifs du Programme scientifique stratégique, élaboré par l’Entreprise mondiale pour un vaccin contre le VIH en 2005. Cette dernière est une alliance de chercheurs, de bailleurs de fonds et de groupes de défense. Global HIV Vaccine Enterprise, About the Enterprise, en ligne (février 2013): Global HIV Vaccine Enterprise <http://www.vaccineenterprise.org/content/about-enterprise-secretariat>. Voir aussi:

Gouvernement du Canada, Initiative Canadienne de vaccin contre le VIH – Foire aux questions, en ligne (février 2013): Gouvernement du Canada <http://www.chvi-icvv.gc.ca/faq-fra.html >.

283 Premier ministre du Canada, Le nouveau gouvernement du Canada et la fondation Gates appuient la recherche sur un vaccin contre le VIH/sida, 2007, en ligne (février 2013): Premier

ministre <http://pm.gc.ca/fra/media.asp?id=1544>.

284 Examen de l’annulation ICVV, supra note 279 à la page 10. 285 Protocole d’entente ICVV 2006, supra note 278 à la page 6. 286 Ibid; Premier ministre du Canada, supra note 283.

Aux fins de l’entente, les cinq organisations gouvernementales participantes ont prévu une contribution globale de 111 millions de dollars.288 De son côté, la Fondation Gates a décidé de consacrer 28 millions de dollars à l’Initiative canadienne. Cette somme est dévouée toutefois à un seul secteur prioritaire, soit la capacité de production de vaccins.289 Cette activité est d’ailleurs considérée comme hautement prioritaire dans le cadre de l’ICVV et le gouvernement a décidé d’y allouer 55 des 111 millions de dollars qu’il verse. Ce secteur prioritaire est défini comme suit dans l’entente:

[n]otamment [sic!] construction d’une installation de niveau 3 pour la fabrication de lots pilotes de vaccins contre le VIH au Canada, accessible à l’échelle mondiale (l’installation pourrait aussi servir pour d’autres agents infectieux en cas d’urgence).290

Or, entre 2006 et 2009, le gouvernement et la Fondation Gates ont entrepris en vain un processus de sélection de candidats pour mettre en place une telle installation. Ils ont donc annoncé, en février 2010, que les candidatures reçues ne satisfaisaient pas aux critères établis. Peu avant, il se trouve que la Fondation Gates avait commandé une étude indépendante, qui avait révélé que la construction d’une installation de ce type n’était plus nécessaire. Les partenaires ont alors convenu de revoir leurs secteurs prioritaires de collaboration pour s’assurer que leur apport financier respectif soit investi de façon rentable. Au terme de cette réflexion, ils ont décidé, en juillet 2010, de renouveler l’Initiative canadienne et de signer un nouveau protocole d’entente.291

Dans le cadre de l’Initiative canadienne renouvelée, chaque partenaire s’est engagé à verser une contribution financière sur une période de cinq ans, jusqu’en 2015. Le gouvernement du Canada versera 111 millions de dollars et la Fondation

288 Ibid à la page 5. 289 Ibid.

290 Ibid à la page 6.

291 Examen de l’annulation ICVV, supra note 279 à la page 13; Protocole d’entente ICVV 2010, supra note 279.

Gates un montant de 28 millions de dollars. Ces montants incluent les fonds déjà engagés depuis 2006. Cette fois, la Fondation Gates est disposée à verser une éventuelle contribution additionnelle de 12 millions de dollars si le gouvernement trouve d’autres sources de financement. Dans ce cas, la Fondation Gates verse une contribution additionnelle à raison d’un ratio d’un dollar pour chaque tranche de trois dollars investie par le gouvernement.292

À la différence de la première entente, l’entente renouvelée prévoit que l’Initiative canadienne finance, entre autres, des interventions de prévention du VIH/sida. Celles-ci doivent être déjà en place au sein des populations les plus touchées, surtout dans les pays à revenu faible ou intermédiaire, et s’inscrire dans la prévention de la transmission du VIH mère-enfant.293 Cependant, comme dans

l’entente de 2006, les fonds octroyés par la Fondation Gates ne sont affectés qu’aux activités de recherche d’un vaccin contre le VIH. L’entente indique, à cet égard, que la Fondation Gates finance déjà des initiatives de prévention du VIH/sida en dehors de sa collaboration avec le gouvernement canadien.

À ce jour, l’Initiative canadienne a servi à financer des dizaines de projets divers se réalisant partout dans le monde, notamment un projet de recherche au Manitoba sur les aspects sociaux et culturels de la mise en œuvre d’un programme de vaccination contre le VIH auprès des hommes ayant des rapports sexuels avec d’autres hommes et des travailleuses de l’industrie du sexe en Asie et en Afrique, ainsi qu’un projet québécois de nouveau système expérimental à base de cellules humaines pour évaluer des vaccins prototypes contre le VIH 1. L’ICVV a également financé, par exemple, un réseau canado-africain d’essais cliniques en

292 Le libellé de cette clause de l’entente laisse croire que les « autres sources de financement »

s’entendent de fonds publics additionnels, puisqu’il est fait référence aux sommes « investies » par le gouvernement: « 5. De plus, la FBMG est disposée à verser un montant additionnel de 12 M$, pour une contribution maximale de 40 M$, si le gouvernement du Canada trouve d'autres sources de financement. Ces fonds additionnels seront déterminés en fonction du même ratio, soit 1 pour 3. Plus précisément, la FBMG fournira 1 $ pour chaque nouvelle tranche de 3 $ investie par le gouvernement du Canada. » Ibid à la section 5.

matière de prévention pour renforcer les capacités africaines en Ouganda, ainsi qu’une série d’ateliers ontariens sur les nouvelles technologies de prévention.294

Afin de réaliser les objectifs de leur initiative conjointe, le gouvernement fédéral et la Fondation Chagnon collaborent à plusieurs égards.

3.2.2. L’horizontalité des relations de pouvoir

Depuis son renouvellement en 2010, l’Initiative canadienne de vaccin contre le VIH compte deux nouvelles entités, soit l’Alliance de recherche et de développement d’un vaccin contre le VIH, ainsi que le conseil consultatif. Bien qu’elles jouent un rôle clé dans la réalisation des activités de l’Initiative canadienne, ces deux entités n’y tiennent qu’un rôle de soutien et de consultation, de sorte que le comité interministériel, qui regroupe les organisations gouvernementales participantes et la Fondation Gates, est l’instance décisionnelle ultime.

L’Alliance de recherche et de développement d’un vaccin contre le VIH se compose d’organisations publiques et privées, nationales et internationales, détenant une expertise dans les domaines du VIH et des vaccins. Son mandat est de coordonner « la recherche, l’élaboration de produits et l’expertise technique concernant les vaccins contre le VIH au Canada ».295 De cette façon, l’Alliance facilite l’avancement des connaissances scientifiques en vue de réaliser l’objectif ultime de développer un vaccin contre le VIH. Le gouvernement du Canada finance, seul, la mise sur pied d’un bureau de coordination chargé de soutenir

294 Gouvernment du Canada, Cartes des projets de l’Initiative canadienne de vaccin contre le VIH,

en ligne (février 20103): Gouvernement du Canada <http://projects-projets.chvi-icvv.gc.ca/map- carte-fra.php>.

295 Protocole d’entente ICVV 2010, supra note 279 à la page 3; voir aussi: Gouvernement du

Canada, L’Initiative canadienne de vaccin contre le VIH renouvelée, en ligne (février 2013): Gouvernement du Canada <http://www.chvi-icvv.gc.ca/chvifs-fra.html>.

l’amélioration et le maintien de l’alliance, qui relève de l’Agence de la santé publique du Canada.296

Le gouvernement et la Fondation Gates ont également convenu d’établir un conseil consultatif pour superviser l’application du protocole d’entente et gouverner l’Alliance. Le conseil consultatif fait aussi des recommandations au gouvernement et à la Fondation Gates quant au financement de projets soumis, en s’assurant que ces derniers s’inscrivent dans les principaux secteurs prioritaires de l’entente. Le mandat du conseil consultatif est déterminé par le gouvernement et la Fondation Gates, notamment en ce qui concerne son rôle, sa composition et la fréquence des réunions.297

Malgré les rôles actifs du conseil consultatif et de l’Alliance au sein de l’Initiative canadienne, le pouvoir décisionnel quant aux activités de cette dernière réside entre les mains du gouvernement du Canada et de la Fondation Gates. Les ententes de 2006 et de 2010 contiennent d’ailleurs plusieurs indices indiquant que ce pouvoir décisionnel se partage horizontalement entre les deux acteurs. D’emblée, on constate que les termes et les expressions « collaboration », « en partenariat » et « conjointement » sont utilisés fréquemment pour référer à la relation entre le gouvernement et la Fondation Gates, ce qui évoque un travail collectif. 298 De plus, l’entente de 2010 indique que les partenaires déterminent ensemble la nature des projets éligibles à un financement299, ce qui traduit leur influence mutuelle. Dans le même ordre d’idées, l’entente renouvelée stipule que:

La décision définitive de financer un projet appartient aux ministres et à la FBMG [Fondation Gates], sous réserve de leurs propres procédures d’approbation et d’examen internes.300 [nos soulignés]

296 Protocole d’entente ICVV 2010, supra note 279 à la page 3. 297 Ibid à la page 5.

298 Premier ministre du Canada, supra note 282; Premier ministre du Canada, supra note 283;

Gouvernement du Canada, supra note 295.

299 Protocole d’entente ICVV 2010, supra note 279 à la page 2. 300 Ibid à la page 5.

Plusieurs autres décisions doivent être prises d’un commun accord entre les partenaires, ce qui accentue l’idée d’un partage égal du pouvoir décisionnel; aucun acteur ne peut dicter la conduite de l’autre. Parmi ces décisions communes, on compte celle de modifier la répartition des fonds actuels ou ultérieurs entre les secteurs prioritaires301 et celles concernant le mandat et la composition du conseil consultatif.302 De plus, si l’un des partenaires souhaite employer le nom de l’autre dans le cadre d’une activité, il doit obtenir son consentement préalable.303 Enfin, le protocole d’entente peut être modifié avec le consentement réciproque et écrit des deux partenaires.304 Rien ne laisse croire, d’ailleurs, que le poids décisionnel

d’un acteur est fonction du montant d’argent investi par l’autre. Par exemple, bien que la Fondation Gates ne finance pas le secteur de la prévention de la transmission du VIH/sida mère-enfant, le protocole mentionne, quoique très vaguement, que la Fondation collaborera avec le gouvernement quant aux activités de ce secteur prioritaire.305

Compte tenu de ce qui précède, il y a lieu de considérer que le gouvernement fédéral et la Fondation Gates ont établi une relation de collaboration dans le cadre de l’Initiative canadienne de vaccin contre le VIH.

Une autre collaboration public-privé en santé publique a été recensée au niveau fédéral. Elle présente toutefois une toute autre structure, évoquant un degré plus élevé de complexité. 301 Ibid à la page 4. 302 Ibid à la page 5. 303 Ibid à la page 6. 304 Ibid.

305 Le protocole indique que: « Les participants reconnaissent que la FBMG [Fondation Gates]

appuie grandement ces activités et qu’elle finance des initiatives semblables et connexes à l’extérieur du présent protocole. La FBMG ne financera pas d’activités de PTME [prévention de la transmission mère-enfant] aux termes du protocole d’entente, mais collaborera avec le gouvernement du Canada. » Ibid à la page 4.