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Chapitre 1. Au coeur des réformes de l’État-providence: une

1.1 L’exercice du pouvoir en mutation: de l’État-providence à la gouvernance

1.1.1. L’État providence

L’État providence, aussi appelé État keynésien67, État social68 ou État webérien69, s’est établi comme modèle de gouvernement dans les années suivant la Deuxième Guerre mondiale et est demeuré populaire tout au long de l’ère industrielle.70 Le gouvernement, comme institution, s’affichait alors comme la figure centrale de la sphère publique, en ce qu’il y jouait pratiquement un rôle exclusif pour répondre aux besoins de la population.71 De plus, l’État entretenait une relation de méfiance

envers les forces du marché et adoptait une attitude dite interventionniste au soutien de l’intérêt public. C’est dans ce contexte qu’ont émergé nombre de politiques sociales et de systèmes de protection sociale venant baliser les forces du marché.72 Selon King: « [t]he welfare state was a service-delivery state in

66 Louis Meuleman, supra note 57 à la page 151.

67 L’état keynésien tire son appellation des travaux de l’économiste John Maynard Keynes, fort

connu au milieu du 20e siècle. Ses travaux ont notamment porté sur les problèmes de chômage après la Deuxième Guerre mondiale et sur le rôle de l’État pour faire face à ce problème public. Roger King, supra note 60 aux pages 7, 14 et 15.

68 Pascal Laborier, Pierre Noreau, Marc Rioux et al., « Réformer l’action publique: introduction à

l’étude des réformes et de la gouvernance » dans Pascal Laborier, Pierre Noreau, Marc Rioux et al., dir, supra note 53 à la page 5.

69 L’État providence est étroitement associé à la théorie rationnelle-légale développée par Max

Weber, d’où l’appellation « État webérien ». Cette théorie est axée sur la bureaucratie et la hiérarchie. Christopher Pollitt et Geert Bouckaert, supra note 54 aux pages 61 à 63; Louis Meuleman, supra note 57 à la page 154.

70 Conseil de l’Europe, New social Demands: The Challenges of Governance (Trends in Social cohesion No 4), Strasbourg, Éditions du Conseil de l’Europe, 2002 à la page 7.

71 Ibid aux pages 7 et 14. 72 Ibid aux pages 15 à 17.

which government assumed responsibility not only for the provision of a wide range of services but also for their production and operation. »73

Malgré les variantes qu’il peut présenter selon les pays, les attributs fondamentaux d’un État providence sont les suivants: hiérarchique, bureaucratique et générateur prolifique de législations et de règlements. Il établit également une distinction claire entre le secteur public et le secteur privé.74

L’État providence est hiérarchique, puisque ce sont les entités centrales du gouvernement qui dictent les règles que les entités décentralisées et les acteurs régulés doivent suivre. Autrement dit, l’action publique se réalise via une chaîne de commandements rigide où les supérieurs donnent des ordres à leurs subordonnés.75 On attribue ainsi à l’État une attitude de « command-and- control »76 associée à un exercice de l’autorité qualifié de « top-down », où les ordres viennent d’en haut et découlent jusqu’en bas.77 En ce sens, l’État providence est un modèle de gouvernement où les lieux de pouvoirs sont centralisés et l’approche « top-down » est étroitement liée à l’existence d’une bureaucratie:

The top-down approach […] is characterized by a powerful, hierarchical state where a political elite devises policy that is then implemented through a strict, sequential, and stable chain of command via bureaucrats and service providers.78

La rationalité bureaucratique développée par le sociologue Max Weber donne son sens à l’expression « État webérien ». Elle correspond à un processus où le monde social, entre autres, obéit à une façon rationnelle d’agir par la planification, la

73 Roger King, supra note 60 à la page 17.

74 Christopher Pollitt et Geert Bouckaert, supra note 54 à la page 61. 75 Ibid à la page 83; Mark Bevir, supra note 25 à la page 412.

76 Lester M. Salamon, The Tools of government – A Guide to the New Governance, Oxford-New

York, Oxford University Press, 2002 à la page 15.

77 David E. McNabb, supra note 63 à la page xvi. 78 Mark Bevir, supra note 25 à la page 971.

procédure et le calcul.79 Dans la perspective wébérienne, la bureaucratie a pour objectif d’administrer des règles sans égard aux individus, c’est-à-dire de façon universelle; elle est alors intimement liée à la notion d’autorité légale, ce qui occasionne la multiplication des législations et des réglementations.80 Ainsi, le droit, dans sa forme traditionnelle:

[a]ssure la primauté de la régularité, de la légalité, de la neutralité, de l’égalité, de l’équité et de l’intégrité par une approche universaliste qui repose en grande partie sur l’existence de règles abstraites, générales et impersonnelles.81

Le droit et la procédure assurent la légitimité de l’autorité étatique et, grâce à la prééminence du droit, l’État providence s’affiche comme modèle de cohérence, de prévisibilité et d’universalité.82

Par ailleurs, l’État providence maintient une frontière claire entre le secteur public et le secteur privé. Salamon rappelle que « [t]raditional public management posits a tension between government and the private sector, both for-profit and nonprofit. »83 Une distinction doit être maintenue entre ces secteurs pour que l’action publique ne soit pas « polluée » par les intérêts privés.84 Essentiellement, l’État ne perçoit pas les acteurs non étatiques comme des partenaires potentiels pour atteindre ses objectifs.

L’État providence ne s’est pas révélé infaillible. Dans les années 1980, le modèle a été mis à rude épreuve, faisant l’objet de vives critiques quant à son manque d’efficience et d’efficacité. Sa lourdeur bureaucratique et sa rigidité hiérarchique ont été dénoncées.85 De plus, la diminution des ressources financières,

79 Roger King, supra note 60 à la page 40. 80 Mark Bevir, supra note 25 aux pages 56 à 58. 81 Daniel Mockle, supra note 53 à la page 100. 82 Ibid aux pages 100 et101.

83 Lester M. Salamon, supra note 76 à la page 14. 84 Ibid.

85 Jason M. Solomon, supra note 54 à la page 822; Christopher Pollitt et Geert Bouckaert, supra

l’émergence de nouveaux problèmes sociaux et l’érosion de la confiance du public envers le gouvernement ont imposé peu à peu à l’État l’obligation de fournir des services plus diversifiés, de manière plus efficace et avec des ressources moindres.86 Il est devenu évident que l’État ne pouvait plus répondre seul aux besoins de la population.

Considérant la crise de l’État providence, « new ways of governing must be found », affirme McNabb.87 Les propos de Bouckaert illustrent bien, eux aussi, la quête de nouveauté qui prévaut alors:

[t]here may exist a critique of the status quo (alpha) and a desire to move in a certain direction (trajectory) but no well-developed picture of the final state that is aimed for. This could be thought of as a kind of drifting with the tide, and there is certainly evidence of a good deal of that in the world of management reform (« everyone seems to be doing this so we had better try it too »).88

Malgré l’incertitude entourant l’État post-providence, les caractéristiques qui sont certainement espérées de ce dernier sont les suivantes: flexibilité, performance, collaboration.89 À quels modèles d’exercice de l’action publique le déclin de l’État-providence laisse-t-il alors place? C’est la question au cœur d’une littérature prolifique depuis les années 1980. Cette littérature identifie deux grands modèles: la gouvernance de marché et la gouvernance partagée.