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Chapitre 3. Blue Velvet

3.1 Les deux regards de Jeffrey Beaumont

La présence du thriller s’affirme très tôt dans le film Blue Velvet. Les scènes miroirs qui encadrent la visite de Jeffrey à l’hôpital pour s’enquérir de l’état de son père précipite le personnage dans un monde où doit nécessairement régner le mystère. Traversant, à l’aller, un terrain vague où se trouve un cabanon en ruines sur lequel il s’amuse à lancer des cailloux, Jeffrey découvre, au retour, une oreille humaine alors qu’il s’exerce au même jeu. L’oreille est bleuie, colonisée par des fourmis qui semblent moins indiquer l’état de putréfaction de

279 David Lynch. Entretiens avec Chris Rodley, op. cit., p. 174.

280 Allister Mactaggart, The Film Paintings of David Lynch. Challenging Film Theory, Bristol, Intellect, 2010, p. 14.

l’organe que provoquer un basculement vers une perspective surréaliste du monde. Bien que le surréalisme théorique des années 1920 et 1930 se voulait une philosophie révolutionnaire contre le rationalisme281, l’objectif avoué de son fondateur André Breton, qui aspirait à une « résolution future de ces deux états, en apparence si contradictoires, que sont le rêve et la réalité, en une sorte de réalité absolue, de surréalité282 », illustre encore bien la démarche esthétique de ces cinémas qui s’inscrivent dans une logique surréaliste par leur exploration plus ou moins radicale des manifestations de l’inconscient et du flou des frontières « entre réel et imaginaire, entre rêve/hallucination et perception283 ». D’ailleurs, la psychanalyste Lou Andreas-Salomé remarquait déjà, dès l’émergence du cinéma, que « […] la technique cinématographique est la seule qui permette une rapidité de la succession des images qui corresponde à peu près à nos propres facultés de représentation et imite aussi dans une certaine mesure sa versatilité284 ». Le cinéma se pose donc comme un lieu privilégié pour poursuivre cette exploration infinie de la question de l’inconscient et de la conception de la réalité. Ainsi, dans la veine de cette correspondance le surréalisme et le cinéma de Lynch, l’oreille de Blue Velvet semble évoquer les fourmis de la montre dure de La Persistance de

la mémoire285 de Salvador Dalí, mais aussi la main ouverte de la première partie du film Un chien andalou286 de Luis Buñuel. Dans Blue Velvet, l’oreille tranchée est présentée avec le même naturalisme que celui qui caractérise les scènes surréalistes de Dalí et Buñuel. La

281 Collectif, L’art : les grands concepts expliqués, op. cit., p. 312.

282 André Breton, Manifestes du surréalisme, Paris, Gallimard, coll. « folio essais », 1985, p. 24.

283 Pablo Bergami G. Barbosa, « Le surréalisme sans inconscient – cinéma surréaliste, inconscient et contemporanéité », dans Topique, vol. 119, n° 2 (2012),

https://www.cairn.info/revue-topique-2012-2-page-123.htm?contenu=article#no181 (Page consultée le 20 mars 2020).

284 Id.

285 Salvador Dalí, La Persistance de la mémoire, MOMA, New York, https://www.moma.org/collection/works/79018 (Page consultée le 16 mars 2020).

286 Luis Buñuel, Un chien andalou, France, 1929, 21 minutes.

vision est inusitée, mais elle porte un sens287. Pour les surréalistes, les compositions minutieuses permettaient de rendre vrais et matériels les rêves et autres hallucinations à l’origine, selon eux, du geste artistique. C’est une démarche qui sied bien avec celle de Lynch. Ainsi, dans cette scène de Blue Velvet, la caméra se fixe pendant plusieurs secondes sur l’oreille et on en vient à s’habituer à l’agitation des fourmis plutôt que d’y voir une source de dégoût ou d’horreur. Sur le plan sonore, la stridulation des cigales se fond à un sifflement plus appuyé lorsque la caméra recadre l’oreille dans un très gros plan, exposant avec plus de précisions encore les conditions insolites, mais pourtant bien réelles, de l’existence de cette chose. Il s’agit d’une configuration sonore que Lynch a l’habitude d’employer pour souligner l’importance de certaines images et les marquer d’une sorte d’autonomie. Alanna Thain, dans un chapitre qu’elle consacre à David Lynch, aborde le travail textural du son qui caractérise la cinématographie lynchienne en s’appuyant, notamment, sur les concepts avancés par Michel Chion :

Chion describes Lynch’s films as enveloped in a “sound bath” of environmental sounds – humming light fixtures, rumbling of pipes, buzzing TV screens, scratchy record players – that usually escape our conscious attention, sounds we “rediscover.” Lynch amplifies these noises (Chion calls them “dronings”) not to draw our attention to them in terms of their recognizable function, nor as indexed to the image, but to heighten their uncanny effect of not quite subjectivity, but no longer objectness as well288.

Ainsi, cette oreille est un marqueur indiquant que les contours de l’univers du film s’étendent au-delà d’un réel conventionnel avant de se présenter comme le point de départ d’une enquête dans laquelle s’investit le personnage de Jeffrey sur une sorte de Van Gogh contemporain. Rodley note bien que l’oreille constitue une « ouverture qui mène à quelque chose d’immense289 ». André Roy a aussi émis cette idée selon laquelle « l’oreille tranchée [serait]

287 Il est intéressant de constater que pour Dali, les fourmis sont un symbole de décomposition (voir Collectif, L’art : les grands concepts expliqués, op. cit., p. 314.) alors que pour Lynch, elles sont une force, une armée pouvant venir à bout de tout : « Alors, j’ai fait une petite tête d’homme en fromage et dinde, je l’ai sertie dans de l’argile et j’ai monté le tout sur un petit portemanteau. J’ai mis un peu de dinde dans la bouche, les yeux et les oreilles. […] Elles [les fourmis] travaillaient pour moi vingt-quatre heures sur vingt-quatre et ont fini par nettoyer l’intérieur de la tête de toute trace de nourriture en quatre jours! Les fourmis, comme vous le savez, sont d’infatigables ouvrières, et si vous avez un projet qu’elles peuvent faire, elles le feront sans jamais poser de questions. » David Lynch. Entretiens avec Chris Rodley, op. cit., p. 168.

288 Alanna Thain, Bodies in Suspense: Time and Affect in Cinema, Minneapolis, University of Minnesota Press, 2017, p. 128.

un MacGuffin qui déclenche les tribulations de Jeffrey dans un monde obscur290. » Cette association à un procédé particulièrement exploité par Hitchcock indique bien que le récit est entraîné, dès ses premières minutes, par la force motrice du thriller. Dès lors, la seule motivation de Jeffrey (et aussi de Sandy, qu’il rallie à sa quête) est de savoir, ou plutôt de voir. L’oreille est donc la voie par laquelle les personnages et le public pénètrent l’intrigue labyrinthique élaborée par le cinéaste pour explorer le motif par excellence de la confusion, soit le dilemme. Appliquée à la logique du thriller, la fascination de Lynch pour les contrastes acquiert une signification intéressante. À ce propos, Dennis Lim remarque l’effet d’égarement que provoquent les différentes oppositions dans l’œuvre du cinéaste :

Lynch has said that “contrast is what makes things work.” The stark binaries in his films – good and evil, darkness and light, innocence and experience, reality and fantasy – are not exactly pitted against each other, but combined and recombined for their potential for disorientation, as reflections that heighten the overall hall-of-mirrors effect291.

Ce potentiel de désorientation dont parle Lim permet surtout de tester, sur le plan narratif, certaines questions morales et, sur le plan formel, certains enjeux esthétiques. Charles Derry corrobore cette idée en proposant de catégoriser Blue Velvet comme un « thriller of moral confrontation » dans son ouvrage The Suspense Thriller292 et, en effet, il s’avère que le film de Lynch rencontre en tout point le modèle élaboré par l’auteur :

More specifically, these films tend to proceed along the following lines: the introduction of the protagonist and his or her adversary; the assignment of the victim/protagonist to the role of an observer or witness who could potentially endanger the adversary; the gradual estrangement of the protagonist from those who could provide assistance; the elaboration of the symbiotic relationship between the protagonist and the adversary; the transformation of the protagonist from passive victim into an active fighter who struggles to defeat the adversary; often a distinct moment at which the protagonist becomes absolutely conscious of the adversary’s power and retaliates by adopting new, more powerful methods to achieve victory – often the adversary’s own methods; a final confrontation in

290 André Roy, « Blue Velvet (1986) : Le mal est là », art. cit., p. 24. 291 Dennis Lim, The Man from Another Place, op. cit., p. 81.

292 Particulièrement enthousiaste à l’endroit de Blue Velvet, Derry n’hésite pas à qualifier ainsi le film : « one of the most quirky and original thrillers of moral confrontation to be made in the last twenty years ». Charles Derry, The Suspense Thriller. Films in the Shadow of Alfred Hitchcock, op. cit., p. 267.

which the protagonist emerges victorious; and a concluding scene of stasis in which the protagonist reflects on the complex meaning of the struggle293.

L’étonnante conformité de Blue Velvet au schéma narratif de Derry ainsi que la toute aussi étonnante linéarité du film (qui contraste, du moins, avec les ruptures temporelles plus déroutantes de Lost Highway et Mulholland Drive) se révèlent des moyens quasi didactiques qui permettent de circonscrire la définition du mal dans l’œuvre lynchienne. Jeffrey, sous son air ingénu294, s’avère le bon élève qui étudie la marche des pulsions malsaines. Progressivement, au rythme des initiatives de Jeffrey, le public pénètre davantage au sein de cet engrenage néfaste. Cette identification à la quête du personnage est une assise importante pour l’ensemble de l’œuvre puisque Jeffrey se révèle être un guide apte à circuler à travers les fantasmes et autres obsessions du cinéaste295. Ainsi, cette machination narrative s’apparente à une machination psychanalytique, un plongeon dans les abîmes d’une conscience qui étend sa perception au-delà des limites qu’impose la réalité, afin de réfléchir aux enjeux esthétiques de la représentation du mal.

Au cœur de cette démonstration lynchienne se trouve le regard. Le regard, lié à la pulsion scopique caractéristique du thriller, crée un réseau essentiel au fonctionnement du film : le public regarde Jeffrey regarder le mal, ce qui génère la distanciation nécessaire pour que ce mal devienne un objet de réflexion. Dans le film, le regard correspond, en apparence du moins, à la volonté, voire au besoin d’élucidation du protagoniste. C’est ce que souligne la scène de filature à laquelle se prête Jeffrey lorsqu’il découvre l’endroit où vit Frank et qu’il parvient à capturer, au moyen d’un appareil photo dissimulé, des images montrant une connivence entre Frank et un policier corrompu autour d’activités illicites telles que des règlements de compte et du trafic de drogues. Or, la particularité de cette filature est que le public y assiste à deux reprises qui s’avèrent complètement différentes. La première fois, celle qui est simultanée à l’expérience de Jeffrey, est étrangement lacunaire : le public

293 Charles Derry, The Suspense Thriller. Films in the Shadow of Alfred Hitchcock, op. cit., p. 217-218. 294 Le personnage de Jeffrey correspond aussi à un élément iconographique important mentionné par Derry pour définir le thriller de la confrontation morale, soit « a child or boyish protagonist » auquel s’ajoutent : « windows, a central sequence of pursuit, an interest in voyeurism, an evil protagonist who sometimes remains largely unseen or who adopts a civilized persona, and a fictional time span which rarely extends beyond a week and which often is limited to a few hours. » Ibid., p. 219.

295 Lynch le confie d’ailleurs à Rodley : « Je suis comme Jeffrey et le Henry d’Eraserhead. » David Lynch. Entretiens avec Chris Rodley, op. cit., p. 109.

n’apprend rien puisqu’une ellipse recouvre l’arrivée du personnage chez Frank, puis son départ pour rejoindre Sandy. La deuxième fois, nous recevons, conjointement avec Sandy, l’information qui nous a été cachée dans un premier temps. La narration de Jeffrey et certains flashbacks révèlent finalement les découvertes cruciales qu’il a effectuées au cours de cette nuit. Ainsi, le regard semble s’arrimer, dans un premier temps, à une quête de vérité, au désir de faire triompher le bien. Or, le fait que le regard du public soit privé du déroulement réel de l’enquête que mène Jeffrey, ce qui nous place, incidemment, dans un état de dépendance par rapport à la subjectivité du protagoniste, entraîne un effritement de cette première signification positive du regard. De fait, la conversation entre Sandy et Jeffrey en vient rapidement à souligner les différents enjeux du regard dans le film. En effet, Sandy se montre troublée par les révélations de Jeffrey ; elle cherche à comprendre ce qui le pousse à s’approcher ainsi du danger, un danger qu’elle associe directement à Dorothy. Jeffrey s’explique ainsi : « I’m seeing something that was always hidden. » Ce qui est caché est, certes, le mal et le crime, qui appartiennent généralement à des mondes souterrains, mais c’est aussi ce personnage féminin très singulier qu’est Dorothy. Le regard adopte une toute nouvelle signification lorsque la femme en est l’objet, un aspect essentiel que Laura Mulvey identifie dès l’amorce de son article « Plaisir visuel et cinéma narratif » : « Commençons par le fait que le film reflète, révèle et joue même avec l’interprétation commune et socialement établie de la différence sexuelle, qui contrôle les images, l’érotisation du regard [erotic ways

of looking] et le spectacle296. » Comme Mulvey le démontre, « [d]ans un monde construit sur l’inégalité sexuelle, le plaisir de regarder a été divisé entre l’actif/masculin et le passif/féminin. Le regard déterminant du masculin projette ses fantasmes sur la figure féminine, la modelant en conséquence297. » La dichotomie clichée qui articule la relation entre Sandy et Jeffrey place le regard de Jeffrey dans une ambiguïté particulière qui oscille entre la quête héroïque et le désir sexuel. La scène emblématique de ce jeu de regards consiste, de toute évidence, en la scène de la garde-robe. Cette scène se déploie, elle aussi, selon un effet miroir. Jeffrey, qui s’est introduit dans l’appartement de Dorothy afin d’y

296 Laura Mulvey, « Plaisir visuel et cinéma narratif. Première partie », traduction de Gabrielle Hardy, Débordements, 20 février 2012, http://debordements.fr/Plaisir-visuel-et-cinema-narratif (Page consultée le 31 mars 2020).

297 Laura Mulvey, « Plaisir visuel et cinéma narratif. Seconde partie », traduction de Gabrielle Hardy, Débordements, 26 mars 2012, http://debordements.fr/Plaisir-visuel-et-cinema-narratif-Laura-Mulvey (Page consultée le 31 mars 2020).

mener une sorte d’enquête, est contraint de se cacher lors de l’arrivée inopinée de la locataire. Il trouve refuge dans une penderie qui lui donne un point de vue privilégié sur l’arrivée de la femme et sur ses faits et gestes298. Dans un premier temps, Jeffrey a le loisir d’observer Dorothy qui entreprend de se dénuder. Alors qu’il risque de se faire repérer, la sonnerie du

téléphone retentit et Jeffrey assiste à une étrange conversation entre Dorothy et Frank. Les comportements de Dorothy deviennent soudainement plus erratiques, mais elle conserve une langueur sensuelle qui conforte la position de voyeur de Jeffrey. Un gros plan du visage de la femme provoque une légère rupture du point de vue de Jeffrey et met l’accent sur le caractère très sensuel de Dorothy, souligné par ses lèvres rouges, ses yeux blessés, fardés de bleu, ses cheveux de jais. Cette séquence constitue ce que Laura Mulvey considèrerait comme un « moment de contemplations érotiques299 ». À la fin de la conversation téléphonique, le gros plan sur le visage de Dorothy s’étire suffisamment pour créer une suspension du temps qui expose la charge sexuelle du personnage. Cette dernière découvre finalement la présence du jeune homme et dans un élan délirant, elle le menace d’un couteau, le fait se déshabiller puis entreprend un rapprochement sexuel. Cet intermède, qui s’apparente davantage à une scène d’horreur, est interrompue par l’arrivée de Frank. Jeffrey retourne dans le placard et reprend la position passive du témoin. Une fois la pièce tamisée selon les soins de Dorothy (« Now it’s dark. »), répondant à un rituel bien appris, ce qui se déroule sous les yeux du jeune homme est une reprise en puissance du jeu de domination auquel Dorothy l’avait soumis quelques minutes plus tôt. La même phrase est répétée (« Don’t look at me. »), mais

298 Lynch a révélé, lors d’un entretien avec André Caron et Martin Girard pour la revue Séquence, l’importance de cette scène dans la genèse de Blue Velvet : « Le second élément qui m’est venu était ce fantasme, ce désir de m’introduire dans la maison d’une femme et de l’observer secrètement toute une nuit. C’est une expérience érotique, bien sûr, mais j’allais également être témoin privilégié d’un événement qui deviendrait la clé d’une histoire de meurtre. » André Caron et Martin Girard, « David Lynch : à propos de Blue Velvet », art. cit., p. 45. 299 Laura Mulvey, « Plaisir visuel et cinéma narratif. Seconde partie », art. cit.

la violence, la folie et la perversion qui sont exposées dépassent l’entendement. Frank s’avère une bête féroce et imprévisible qui assouvit une pulsion sexuelle de la façon la plus abjecte. Dans la penderie, la caméra s’est rapprochée de Jeffrey afin d’offrir un gros plan de son visage. Cela nous permet de constater le regard studieux du personnage, qui ne baisse les yeux qu’à la toute fin, lorsque les coups de Frank deviennent plus forts et répétés. Dans cette scène, une combinaison effarante de perversités s’accumule. Le voyeurisme de Jeffrey nous contraint d’assister à la violence inouïe et au fétichisme particulier de Frank ainsi qu’au masochisme de Dorothy, qui semble trouver un certain confort aux coups assénés par l’homme. Bien que la caméra respecte le point de vue de Jeffrey (le personnage voit le dos de Dorothy et le visage de Frank qui lui fait face), celle-ci effectue quelques déplacements et produit des cadrages rapprochés, ce qui transfère le pouvoir du regard au public. Notamment, lorsque Frank enfile le masque qui lui permet d’inhaler un gaz, la caméra, dans un plan rapproché du dos de Dorothy, circule lentement d’une épaule à l’autre, nous faisant assister, dans une proximité qui ne nous met cependant pas physiquement en danger, à la transformation sadique de Frank. Ainsi, cette séquence est représentative de la sensation d’enfoncement que l’on expérimente souvent au contact de l’œuvre lynchienne. Dans l’espace clos du salon de Dorothy, le temps est suspendu pour dévoiler les différents degrés d’obscurité que chacun cache, et ce, jusqu’à atteindre une sorte de néant.

Étant donné que l’accès à ce savoir place le public dans une situation de voyeurisme, le constat qui s’impose est que le mal, chez Lynch, est dominant. Il est fluide, insinuant, tentaculaire et Jeffrey s’avère en être le symptôme. Dans Blue Velvet, le personnage de Jeffrey circule avec une aisance troublante entre les deux mondes qui marquent le film. Le jour appartient à Sandy, une amie dont le père est enquêteur pour la police. Il discute avec elle, joue au détective et lui déclare son amour. La nuit est le domaine de Dorothy avec qui il fait l’amour, qu’il en vient même à frapper et qui le mène à Frank. Au milieu du film, le montage met en relief l’opposition de ces deux univers en juxtaposant deux scènes qui montrent Jeffrey vivant un moment d’intimité avec, alternativement, Sandy et Dorothy. Après le récit de sa filature nocturne chez Frank, Jeffrey se justifie ainsi lorsque la jeune femme lui demande s’il a l’intention de retourner à l’appartement de Dorothy :

JEFFREY

I'm involved in a mystery. I'm learning and it's all secret.