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Chapitre 2. Le genre cinématographique

2.2 Trois clés de l’œuvre lynchienne : le thriller, le film noir et l’horreur

2.2.2 Le film noir

Au sein des études génériques, une littérature abondante traite du film noir. Contrairement au thriller, qui fait l’objet d’une définition plus floue comme en témoignent, entre autres, les différentes appellations que les films de son corpus peuvent se voir attribuer, le film noir est marqué par une série de paramètres qui semblent faire l’objet d’un certain consensus. Il est généralement admis que le film The Maltese Falcon de John Huston, sorti en 1941, constitue l’acte de naissance de ce genre filmique. Faradji appuie cette idée en situant l’œuvre de Huston dans le contexte cinématographique du film criminel hollywoodien du début du XXe siècle :

Sans le savoir, le film noir était né, installant pour des années le mythe du « privé » (dit gunshoe ou private eye), être solitaire, désabusé et cynique qui arpente les rues, la nuit, à la recherche d’une vérité, souvent la sienne, et redonnant une certaine vigueur aux productions policières, à bout de souffle222.

Ce commentaire de Faradji condense plusieurs aspects importants du film noir comme genre cinématographique. D’abord, le film noir peut naturellement être identifié comme un sous- genre du film policier étant donné la présence du personnage du détective et de l’énigme qu’il se doit de résoudre, mais il s’en distingue aussi de façon manifeste par l’atmosphère distinctive qu’il déploie. Raymond Borde et Étienne Chaumeton, que l’on peut considérer comme les premiers théoriciens du film noir avec la parution, en 1955, de Panorama du film

noir américain223, ont décrit les innovations thématiques et stylistiques qui distinguaient, selon eux, le film noir du film policier, afin de faire valoir le geste générique spécifique de ce type de films. Une originalité certaine du film noir dans le paysage cinématographique hollywoodien se situe dans le fait que cette catégorie générique s’est d’abord avérée l’apanage de la critique et non celui de l’industrie. L’anecdote veut que, devant l’effet de corpus qu’a produit la présentation, en France, d’une série de films policiers hollywoodiens

221 Steve Neale, Genre and Hollywood, op. cit., p. 84.

222 Helen Faradji, Réinventer le film noir. Le cinéma des frères Coen et de Quentin Tarantino, op. cit., p. 32. 223 Raymond Borde et Étienne Chaumeton, Panorama du film noir américain : 1941-1953, Paris, Éditions de Minuit, 1979, 279 p.

réalisés pendant la guerre224, la critique française se serait intéressée de près à ce phénomène. Cet enthousiasme a donné lieu à l’apparition, en 1946, de l’appellation « film noir » dans un article du critique Nino Frank paru dans L’Écran français225. Considérant la ressemblance de ces films avec les romans de la « Série noire »226 fondée par Marcel Duhamel aux éditions Gallimard, le terme « film noir » se cristallise rapidement au point qu’il est repris tel quel chez les auteurs anglo-saxons. Borde et Chaumeton dégagent des éléments récurrents de ce genre filmique, sur le plan technique aussi bien que thématique, comme en témoigne l’analyse qu’ils proposent du film Crossfire (1947) d’Edward Dmytryk :

Un récit rapide, brutal ; des décors peu nombreux, étroits qui finissent par donner une impression physique de malaise (un bar, un balcon de cinéma, le bureau du policier, des chambres meublées) ; peu de plans d’ensemble mais un usage presque constant du plan américain ou du plan rapproché, qui ajoutent encore à ce sentiment de vase clos ; un dialogue nerveux, concis227.

À leur suite, et dans la perspective d’une définition plutôt essentialiste du film noir, Michel Cieutat a repris les bases du corpus identifié par Borde et Chaumeton afin d’y jeter un regard plus systématique et ainsi « définir la singularité iconographique du film noir228 ». Cieutat est parvenu à déterminer une liste de quatorze thèmes fondamentaux (le crime, la ville, la nuit, la femme fatale, la cupidité, le détective privé, le tueur à gages, le flic corrompu, une morale ambivalente, des perdants masochistes, l’apparition du sadisme, le renforcement de l’érotisme, le déterminisme, le pessimisme)229 et huit caractéristiques stylistiques (des intrigues complexes, des histoires contemporaines, l’importance de la voix off, le cynisme expéditif du dialogue, des huis clos oppressifs, l’héritage de l’expressionnisme, la nécessité

224 Helen Faradji identifie quatre films qui ont été diffués en France à cette époque et qui ont certainement contribué à cet effet de corpus : Double Indemnity (1944) et The Lost Weekend (1945) de Billy Wilder, Laura (1944) d’Otto Preminger et Murder, My Sweet (1944) d’Edward Dmytryk. (Helen Faradji. Réinventer le film noir. Le cinéma des frères Coen et de Quentin Tarantino, op. cit., p. 32.)

225 Michel Cieutat, « Le film noir », dans Michel Serceau [dir.], Cinémaction, « Panorama des genres au cinéma », n°68, Paris, Éditions Corlet/Télérama, 1993, p. 35.

226 Cette similitude est évidemment appuyée sur le fait qu’un bon nombre des films noirs de cette époque se basent sur des romans de Dashiell Hammet et Raymond Chandler, les deux principaux représentants du roman noir étatsunien. Friand de ce type de littérature, Duhamel a lui-même traduit plusieurs romans de ces auteurs afin d’alimenter le catalogue de sa « Série noire ». (Gérard Meudal, « La “French collection” », dans Le Monde (20 juillet 2006), https://www.lemonde.fr/livres/article/2006/07/20/serie-noire-la-french- collection_797020_3260.html (Page consultée le 17 mars 2020).)

227 Cité par Helen Faradji, Réinventer le film noir. Le cinéma des frères Coen et de Quentin Tarantino, op. cit., p. 34.

228 Michel Cieutat, « Le film noir », art. cit., p. 36. 229 Ibid., p. 36-40.

du noir et blanc, le réalisme et le cauchemar)230. Cette liste reprend, pour la plupart, les caractéristiques perçues par les premiers critiques qui se sont intéressés à cette catégorie filmique en leur faisant subir un certain classement. Cette proposition de Cieutat, bien qu’imposant un cadre particulièrement rigide pour l’analyse du film noir, comporte néanmoins l’avantage de faire ressortir tout un réseau d’observations permettant d’expliciter la tonalité distinctive de ce genre filmique. Faradji fait notamment usage de cette grille de lecture lorsqu’elle résume The Maltese Falcon. Signalant la présence du personnage du détective privé (« solitaire, désabusé et cynique »), de l’espace de la ville (« arpentant les rues ») et de la nuit, l’auteure suggère aussi la présence du pessimisme et d’une intrigue complexe (« la recherche d’une vérité, souvent la sienne »). Bien qu’assez opératoire sur le plan descriptif, la spécificité du film noir se situe au-delà de cette liste qualitative. Malgré l’exhaustivité apparente de l’énumération de Cieutat, l’auteur souligne tout de même qu’il « paraît quasi obligatoire que l’effet “combinatoire” de la plupart de ces caractéristiques imprègne tout film qui prétend être “noir”231 ». Faradji, après avoir fait une recension des diverses définitions de l’univers du noir, arrive au même postulat : « [c]’est en alliant un certain répertoire iconographique à des particularités visuelles que le noir se fait noir232. » À partir de ce constat, le film noir acquiert une complexité qui justifie le traitement particulier qui lui est souvent réservé dans les ouvrages théoriques portant sur les genres cinématographiques233. Il importe toutefois de circonscrire plus précisément en quoi consiste cet alliage particulier d’éléments sur lequel reposerait la « noirceur234 » d’un film.

D’un·e auteur·e à l’autre, une certaine continuité est perceptible parmi les traits considérés comme des caractéristiques du film noir, ce dont témoigne cette synthèse de Stephen Prince :

To count as noir, a film ought to have an urban setting; a central character who is alienated, victimized, or manipulated; a narrative structure emphasizing past

230 Michel Cieutat, « Le film noir », art. cit., p. 40-45. 231 Ibid., p. 36.

232 Helen Faradji, Réinventer le film noir. Le cinéma des frères Coen et de Quentin Tarantino, op. cit., p. 37. 233 En effet, il n’est pas anodin que le film noir ait droit à un chapitre spécifique dans l’ouvrage de Steve Neale, Genre and Hollywood, alors que les autres genres cinématographiques sont abordés sans distinction dans le chapitre « Major Genres » (Steve Neale, « Film noir », Genre and Hollywood, op. cit., p. 151-177.) Par ailleurs, Barry Keith Grant, dans Film Genre from Iconography to Ideology, consacre une de ses études de cas au film noir alors que celles-ci sont habituellement dédiées, dans le reste de son ouvrage, à l’étude d’un film ou de l’œuvre d’un cinéaste s’inscrivant dans un genre en particulier. (Barry Keith Grant, « Case Study: The Strange Case of Film Noir », dans Film Genre from Iconography to Ideology, op. cit., p. 24-28.)

transgressions or traumas; a focus on crime that is both psychological and physical; an extensive use of low-key lighting; an overall tone of threat, mystery, and fated action; and, finally, some combination of structural elements, including flashbacks, voice-over narration, and excessively dense and labyrinthine plotting. A noir film ought to have a preponderance of these features, even if one or more central items is lacking or deemphasized235.

Dans l’ensemble, les éléments retenus correspondent aux thèmes et aux traits stylistiques formulés dans l’article de Cieutat. Toutefois, la hiérarchisation opérée par Prince met en relief certaines nuances thématiques et établit plus nettement quelques-uns des « effets combinatoires » recherchés par Cieutat. La comparaison des conclusions auxquelles sont parvenus les auteur·e·s qui se sont intéressés au film noir met de l’avant la notion de cadrage, qui joue un rôle prépondérant dans l’établissement des contours d’une catégorie filmique, ainsi que le détermine Moine :

Le degré de précision des catégories génériques usuelles est extrêmement variable, ce qui se traduit à la fois dans la compréhension du genre (ses critères de définition) et dans son extension (le nombre de films qu’on peut lui rapporter). Plus la définition est générale, plus les limites du genre sont floues et donc plus les films « rentrent » facilement dans cette catégorie.236

Dans le cas du film noir, les critères de définition sont plutôt précis, mais l’extension du genre filmique s’avère, quant à elle, plus fluctuante. La « version classique » du film noir se circonscrit assez facilement, du film The Maltese Falcon (1941) à Touch of Evil (1958), mais la compréhension du genre se complexifie avec la résurgence, à partir des années 1970, de films désignés comme néo-noirs, qui s’y inscrivent soit de façon conventionnelle, comme

Chinatown (1974) ou L.A. Confidential (1997), ou de façon plus hétéroclite, comme Blade Runner (1982) ou Sin City (2005). Les auteur·e·s font donc preuve d’une conception qui peut

être plus ou moins puriste dans l’élaboration du corpus du film noir, ce qui met en évidence la tension qui existe entre la construction théorique souvent essentialiste du genre et sa réalisation artistique.

235 Lester Friedman, David Dresser, Sarah Kozloff, et al., An Introduction to Film Genres, op. cit., p. 504. 236 Raphaëlle Moine, Les genres du cinéma, op. cit., p. 23.

Alors que les listes de Cieutat et de de Prince exposent bien l’hétérogénéité des éléments reconnaissables au sein des films noirs, Michael Walker, dans The Movie Book of Film Noir, montre aussi la diversité des approches théoriques dont fait état la littérature237. Les champs d’intérêt mis en relief par les différents auteur·e·s recensés par Walker apparaissent de nature très variable. On constate une attention portée aux personnages et aux thématiques ou encore au style, à la tonalité et aux effets visuels, une préoccupation pour une contextualisation sociohistorique ou plutôt pour une analyse structurale. Cette quantité impressionnante de critères de définition du film noir amène Neale à constater une certaine incohérence qui lui fait par ailleurs remettre en doute l’existence même du film noir comme genre cinématographique :

The noir canon, and its core films in particular, has been used either as the sole or principal basis for establishing the key features, the antecedents, and the contextual factors at stake in a phenomenon whose unity and coherence are presumed in the single term used to label them rather than demonstrated through any systematic, empirical analysis. […] Most important of all, noir critics have been unable to define film noir, even though there is considerable agreement as to the films that constitute noir’s basic canon238.

Alors que la liste de Cieutat, par sa volonté d’être exhaustive, fait apparaître le film noir comme une catégorie générique d’apparence consensuelle, l’ambivalence quant à la reconnaissance du genre s’avère néanmoins bien affirmée au sein des études génériques. Neale s’attarde à faire la démonstration que les caractéristiques habituellement attribuées au film noir, soit les personnages du détective et de la femme fatale, le flashback, l’influence de l’expressionnisme ou encore la présence de la sexualité, ne constitueraient pas des conventions spécifiques au film noir puisqu’il serait possible de retrouver ces divers éléments au sein de la filmographie plus élargie des années 1940 et 1950. Néanmoins, que le film noir soit un genre filmique, un style ou tout simplement un cycle (en raison de sa temporalité limitée de 1941 à 1958) ne change en rien l’influence majeure que ce phénomène cinématographique a exercé et continue de produire sur le cinéma hollywoodien et mondial. L’importance durable du néo-noir dans la cinématographie contemporaine est probante à cet effet. D’ailleurs, Dennis Hopper le souligne bien quand il décrit le film noir comme « le genre

237 Cité par Steve Neale, Genre and Hollywood, op. cit., p. 152. 238 Ibid., p. 153.

préféré de tous les cinéastes239 ». Cela dit, les débats persistent à un point tel que le statut ambigu du film noir au sein des études génériques en vient à faire partie intégrante de sa définition. L’idée la plus persistante consiste à vouloir cantonner le film noir à un style cinématographique. Partisan de cette position, David Bordwell soutient qu’il est abusif d’attribuer un statut générique au film noir puisqu’il considère qu’un genre filmique est reconnu comme tel à partir du moment où il est parfaitement intégré au discours populaire : « Producers and consumers both recognise a genre as a distinct entity; nobody set out to make or see a film noir in the sense that people deliberately chose to make a western, a comedy or a musical240. » À ce point de vue, Faradji oppose précisément le statut singulier du film noir, rappelant « l’accent anarchisant241 » que Borde et Chaumeton ont remarqué dès l’émergence de ce genre filmique :

Peut-être faut-il voir dans ces tentatives de discréditer le film noir comme sous- forme du cinéma hollywoodien une « punition » contre ce que plusieurs critiques et théoriciens américains ont retenu de ce genre : son antiaméricanisme242?

Ce débat sémantique, qui cherche à mettre de l’avant l’idée d’un style noir au détriment d’une identité générique plus consensuelle, a l’intérêt de mettre en lumière la problématique, que nous avons déjà évoquée, à savoir la « typologie impossible » mise en relief par Moine :

Derrière le genre qui classe se dissimule toujours un « classeur », derrière le classement, une attitude ou une stratégie interprétative : c’est pourquoi le genre est à la fois une catégorie de classement et […] une catégorie de l’interprétation, qui nous en apprend autant sur ceux qui l’utilisent que sur les films qu’elle désigne et englobe243.

Considérant ainsi ces rapports de force qui peuvent motiver certains gestes classificatoires, il nous est possible d’analyser cette tentative de bannissement du film noir des genres cinématographiques comme une preuve en puissance de l’indépendance et de la marginalité de ce genre filmique.

239 Cité par Helen Faradji, Réinventer le film noir. Le cinéma des frères Coen et de Quentin Tarantino, op. cit., p. 82.

240 Barry Keith Grant, Film Genre from Iconography to Ideology, op. cit., p. 26.

241 Raymond Borde et Étienne Chaumeton, Panorama du film noir américain : 1941-1953, op. cit., p. 179. 242 Helen Faradji, Réinventer le film noir. Le cinéma des frères Coen et de Quentin Tarantino, op. cit., p. 45. 243 Raphaëlle Moine, Les genres du cinéma, op. cit., p. 18. (L’italique est le fait de l’auteure.)

Selon Prince, le contexte d’émergence244 du film noir s’offre comme un reflet du décalage qui marque sa position au sein du champ cinématographique hollywoodien. Né après l’instauration du système des studios, issu de la série B245 et reconnu d’abord par des instances de légitimation européennes, la marginalité du film noir se situe non seulement dans les circonstances particulières de son apparition ou dans les problèmes de définition qui ont été soulevées, mais aussi dans la signification propre que ce genre filmique met de l’avant :

Their downbeat vision and expressionist stylization constituted a remarkable divergence from the traditional optimism and plenitude of Hollywood. […] The visual conventions of film noir include such expressionist elements of mise-en-

scène as chiaroscuro lighting, contrasts of dark and light in the image, imbalanced

compositions that imply entrapment and doom. Most noirs are set in the city, its impersonal and alienating qualities reflecting the decadent and cynical world they depict246.

Grant montre bien à quel point l’esthétique visuelle du film noir est chargée d’un propos. Cette énonciation formelle constitue un mode de signification qui se distingue au sein de la filmographie hollywoodienne, habituée à un certain classicisme qui prône, entre autres choses, la transparence du style. À cet effet, Faradji s’attarde à l’influence de l’expressionnisme dans la constitution du film noir. Elle identifie un ensemble de thèmes issus de ce courant artistique qui sont explorés à travers le film noir, soit « la déshumanisation de l’homme, la sexualisation de la femme, la folie [et] la paranoïa247 », mais elle insiste surtout sur l’héritage formel que le courant artistique a insufflé au film noir et qui constitue, pour l’auteure, une singularité de ce genre cinématographique. Ainsi, la primauté accordée au style place le film noir sous le sceau de l’auteurisme, une sorte de laboratoire dont les réalisateurs de l’époque ont su tirer profit en fonction des moyens disponibles pour élaborer une iconographie distinctive et dont les cinéastes usent aujourd’hui pour tenter de renouveler le discours sur les genres cinématographiques248. Faradji met aussi de l’avant l’idée selon

244 Lester Friedman, David Dresser, Sarah Kozloff, et al., An Introduction to Film Genres, op. cit., p. 486. 245 Barry Keith Grant, Film Genre from Iconography to Ideology, op. cit., p. 24.

246 Ibid., p. 24.

247 Helen Faradji, Réinventer le film noir. Le cinéma des frères Coen et de Quentin Tarantino, op. cit., p. 53. 248 Faradji insiste sur cette idée du style, qu’elle associe à un certain cinéma d’auteur pour expliquer la renaissance du film noir, à partir des années 1970, à travers ce que les auteur·e·s désignent comme le néo- noir : « Fondé sur des éléments thématiques et formels très typés, le noir est, pour les nouveaux auteurs, une sorte de “recette” aux ingrédients bien connu à partir desquels il est plus aisé de développer son propre style.

laquelle l’empreinte expressionniste constituerait une forme de maniérisme qui contribue à mettre à distance les conventions :

Par son utilisation des techniques expressionnistes pour souligner des figures de terreur et d’angoisse, le film noir travaille en réalité à partir d’images du passé pour les forcer à signifier davantage. Le cinéma classique est torturé par le film noir, qui détourne systématiquement chacun de ses codes. […] Par sa stylisation expressionniste, le genre a modelé de façon inquiétante et angoissante la mémoire de récits criminels rationnels et d’un cinéma policier hollywoodien géométrique et rassurant afin de développer une posture maniériste249.

Le film noir bouleverse le champ cinématographique en incarnant une certaine marge de l’institution ; il esthétise le mal et l’échec et montre la contemporanéité d’une iconographie révolue. Sur ce mode antithétique, le film noir s’avère un genre cinématographique aussi réaliste qu’il est métaphysique, se proposant comme une sorte de pont entre le thriller et le film d’horreur : « The film noir protagonist, by contrast, tends to be a victim, set upon and manipulated by forces or people more powerful than he or she and who often shows a degree of passivity or resignation in accepting this fate250. » Le film noir peut se comprendre au-delà de la présence du crime ou de ses personnages de détectives et de femmes fatales, puisqu’il