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Chapitre 2. Le genre cinématographique

2.1 La notion de genre cinématographique comme cadre conceptuel

2.1.1 Aspects de définitions du genre cinématographique

Retraçant l’état de la recherche sur le genre cinématographique, Francesco Casetti propose cette définition : « Le genre est cet ensemble de règles partagées qui permettent à l’un d’utiliser des formules de communication établies et à l’autre d’organiser son propre système d’attente172. » Cette définition met en relief deux éléments qui nous apparaissent opératoires. D’une part, le genre cinématographique est un acte de communication basé sur une sorte de pacte, un « agreement entre le metteur en scène et son public173 ». Cette notion établit un parallèle intéressant avec l’esthétique de la réception de Hans Robert Jauss, et particulièrement avec le concept d’horizon d’attente social, soit « la disposition d’esprit ou le code esthétique des lecteurs, qui conditionne la réception174 ». À cet effet, Jauss aborde l’idée d’une attente spécifique du genre175 que Moine reprend, dans son ouvrage, à travers le concept de « rails génériques » :

Qu’on le considère comme un pacte de communication, une promesse ou un contrat de lecture, le genre organise le cadre de référence dans lequel est vu le film. […] De plus, en déterminant les attentes du spectateur, le genre intervient dans l’anticipation qui régit l’activité perceptive et cognitive du spectateur. Produire un film de genre, c’est donc fournir au public un contexte d’interprétation de ce film ; voir, en connaissance de cause, un film de genre, c’est interpréter le film dans ce contexte. Mais, en déterminant le cadre de lecture du film, le genre en ouvre et en ferme à la fois les possibilités d’appropriation et de compréhension. […] Les « rails génériques » sur lesquels roule le film peuvent être considérés comme des guides utiles ou comme un parcours obligé qui contraint le spectateur176.

Selon la perspective de l’esthétique de la réception, le genre cinématographique devient un outil de communication qui fournit des informations au public à la fois par ce qu’il fait et par

171 Raphaëlle Moine, Les genres du cinéma, op. cit., p. 5.

172 Francesco Casetti, Les théories du cinéma depuis 1945, op. cit., p. 298. 173 Id.

174 H. R. Jauss, Pour une esthétique de la réception, Paris, Gallimard, coll. « Tel », 2015, p. 284. 175 Ibid., p. 283.

ce qu’il ne fait pas. Autrement dit, le geste générique, soit le rapport qu’entretient le film avec la « loi du genre », qu’il s’agisse de rapports d’écart, de conformité ou même de contradiction, est porteur de significations. D’ailleurs, Jauss soutient une idée semblable au sujet du champ littéraire :

La possibilité de formuler objectivement ces systèmes de référence correspondant à un moment de l’histoire littéraire est donnée de manière idéale dans le cas des œuvres qui s’attachent d’abord à évoquer chez leurs lecteurs un horizon d’attente résultant des conventions relatives au genre, à la forme ou au style, pour rompre ensuite progressivement avec cette attente – ce qui peut non seulement servir un dessein critique, mais encore devenir la source d’effets poétiques nouveaux177.

Jauss arrive à ce constat : l’esthétique de la réception s’avère particulièrement féconde pour observer la fonction de transformation ou de rupture de la norme178. Dans le champ du cinéma, les théories de Jauss nous permettent de comprendre que la configuration des conventions du genre au sein des films ouvre des espaces de négociation pour lesquels les éléments génériques du langage cinématographique peuvent produire des significations nouvelles.

D’autre part, la définition de Casetti porte notre attention sur « l’ensemble des règles partagées » qui accompagne de facto le geste générique. Le genre cinématographique comporte des conventions que Bordwell et Thompson identifient comme des éléments récurrents sur le plan narratif, thématique, stylistique ou iconographique179. La convention générique consiste donc, pour reprendre la terminologie de Christian Metz, en un code cinématographique particulier180 dont la signification se veut immanente puisqu’elle est le fait d’une construction historiquement marquée ; elle s’inscrit dans une tradition, ce que remarque par ailleurs Barrette :

Tel un organisme vivant, le genre traverserait donc au cours de son évolution une série de phases, diversement définies et nommées selon les auteurs, mais qui ont toutes en commun de suivre la logique « naissance-apogée-déclin » ; dans la plupart des cas également, l’étape du déclin s’accompagne d’une réflexivité qui

177 H. R. Jauss, Pour une esthétique de la réception, op. cit., p. 56. 178 Ibid., p. 286.

179 David Bordwell et Kristin Thompson, L’art du film. Une introduction, op. cit., p. 523-524. 180 Christian Metz, Langage et cinéma, Paris, Larousse, 1971, p. 46.

illustre la conscience que la forme générique a désormais d’elle-même, les éléments jadis dynamiques du genre se transformant peu à peu en autant de clichés ou de stéréotypes qui tendent à en scléroser le potentiel innovant181.

S’appuyant sur « L’évolution du western » d’André Bazin, Barrette souligne cette tendance à identifier un « degré zéro du film de genre182 » qui correspond à l’expression, à travers un certain corpus de films, d’une version idéale ou idéalisée de ce qu’un genre filmique montre et signifie. Cet aspect touche à la définition esthétique du genre cinématographique et, à cet égard, Barrette rejoint la proposition mise de l’avant par Rick Altman quant aux dimensions sémantiques et syntaxiques du genre cinématographique. Alors que Moine pose d’emblée le problème de l’impossibilité d’une typologie183 des genres filmiques, Altman propose de revoir la théorie générique grâce au modèle sémantico-syntaxique. L’objectif d’Altman est de faire collaborer les définitions sémantiques du genre filmique (qui pourraient être associées aux conventions stylistiques et iconographiques dont parlent Bordwell et Thompson ou encore aux « traits, attitudes, personnages, décors, éléments techniques cinématographiques, etc.184 » identifiés par Moine) et les définitions de nature syntaxique (les conventions thématiques et narratives des auteur·e·s de L’art du film ou, dans un sens plus général, « la signification globale et les structures du genre185 », selon Moine). Pour Altman, la plupart des approches théoriques qui se sont intéressées à la question du genre cinématographique ont pris le parti de l’une ou l’autre de ces définitions et il soutient que, ce faisant, les constats auxquels parviennent ces analyses génériques ne peuvent arriver, de façon systématique, à une compréhension opératoire des différents genres cinématographiques. À titre d’illustration, Altman convoque diverses théories découlant de l’analyse du western, genre codifié s’il en est un, et qui entretient un rapport particulier avec l’histoire du cinéma hollywoodien. L’auteur compare les définitions sémantiques auxquelles

181 Pierre Barrette, « Quelques réflexions sur le problème du genre », art. cit. 182 Id.

183 Raphaëlle Moine, Les genres du cinéma, op. cit., p. 19. 184 Ibid., p. 54.

sont parvenus des théoriciens français comme Jean Mitry186 et Marc Vernet187 aux constats associés à la syntaxe du genre que présentent les auteurs anglo-saxons Jim Kitses188 et John Cawelti189 pour arriver à la conclusion suivante :

While the semantic approach has little explanatory power, it is applicable to a larger number of films. Conversely, the syntactic approach surrenders broad applicability in return for the ability to isolate a genre’s specific meaning-bearing structures. This alternative seemingly leaves the genre analyst in a quandary: choose the semantic view and you give up explanatory power; choose the syntactic approach and you do without broad applicability190.

À travers l’exemple du western, la complémentarité de ces deux niveaux d’analyse générique semble indubitable. Considérer le western sur la base d’une liste d’éléments iconographiques (chevaux, cowboys, pistolets, poussière, soleil…) comme le font Mitry et Vernet se révèle aussi lacunaire que de le réduire à l’expression d’un thème (l’idée de la frontière) ou d’un système de valeurs (le bien contre le mal, la nature contre la civilisation) comme le proposent Kitses ou Cawelti. D’ailleurs, Moine appuie cette idée tout en soulignant, au passage, la position d’Altman par rapport à la sémiotique dans laquelle s’inscrit l’approche de l’auteur :

Le genre possède des traits sémantiques et des traits syntaxiques qui organisent de façon spécifique les relations entre ces traits sémantiques. […] La différenciation établie par Altman entre sémantique et syntaxe s’inscrit par ailleurs dans une théorie de la signification textuelle qui distingue deux niveaux de signification : la signification linguistique des composantes du texte et la signification textuelle que ces composantes acquièrent dans la structure interne du texte191.

186 « Jean Mitry provides us with a clear example of the most common definition. The western, Mitry proposes, is a “film whose action, situated in the American West, is consistent with the atmosphere, the values, and the conditions of existence in the Far West between 1840 and 1900.” » Rick Altman, « A Semantic/Syntactic Approach to Film Genre », Cinema Journal, vol. 23, n°3 (printemps 1984), p. 10.

187 « Vernet outlines general atmosphere (“emphasis on basic elements, such as earth, dust, water, and leather”), stock characters (“the though/soft cowboy, the lonely sheriff, the faithful or treacherous Indian, and the strong but tender woman”), as well as technical elements (“use of fast tracking and crane shots”). » Ibid., p. 10. 188 « For Kitses the western grows out of a dialectic between the West as garden and as desert (between culture and nature, community and individual, future and past). » Ibid., p. 10-11.

189 « John Cawelti attempts to systematize the western in a similar fashion: the western is always set on or near a frontier, where man encounters his uncivilized double. The western thus takes place on the border between two lands, two eras, and with a hero who remains divided between two value systems (for he combines the town’s morals with the outlaw’s skills). » Ibid., p. 11.

190 Id. (L’italique est le fait de l’auteur.)

Or, Altman cherche à éviter le travers jargonnant auquel la théorie sémiotique se voit fréquemment assigner en retenant essentiellement deux concepts clés, soit la sémantique et la syntaxe. Suivant Moine, il est néanmoins pertinent de souligner la conception metzienne du genre cinématographique :

Le modèle sémiologique proposé par Christian Metz dans Langage et cinéma […] fournit un appareil conceptuel dans lequel le genre est pensé comme un texte unique et continu sans cesse ouvert sur sa propre prolongation. Le genre devient un « groupe de films » entendu comme « un vaste texte collectif qui enjambe plusieurs frontières inter-filmiques », qui « porte en lui un système textuel »192.

Cette façon d’envisager le genre « comme un texte unique et continu » comporte l’avantage d’inclure d’emblée l’idée du mélange des genres dans la notion même du genre filmique. Le genre devient donc une structure dynamique qui répond de façon synchrone aux propositions nouvelles et qui nie, d’une certaine façon, la pertinence d’évaluer un film à l’aune d’une vision puriste du genre cinématographique. Cette conception est d’ailleurs appuyée par Bordwell et Thompson qui affirment que « [l]e jeu réciproque de la convention et de l’innovation, du familier et du nouveau, est la principale caractéristique d’un film de genre193. » Les théories génériques et l’histoire de cette notion au sein des études cinématographiques nous montrent qu’il s’agit d’un concept qui occupe une place singulière à la fois dans la production, l’analyse et la réception des films. La variété notable d’approches sur le genre cinématographique souligne les nombreuses possibilités interprétatives auxquelles peut renvoyer cette notion. Qu’il s’agisse d’un point de vue esthétique, pragmatique, narratif ou idéologique, le genre filmique se présente comme une composante déterminante d’un système, le cinéma hollywoodien, qui conditionne l’expérience cinématographique du public.