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3 Cadre théorique

3.4 Les évaluations disponibles en ligne (H1.a et H3)

Sur Internet, les consommateurs et les spécialistes sont quotidiennement invités à partager leurs expériences, leurs opinions, leurs évaluations sur les produits et services, ainsi que leurs goûts, de manière libre, spontanée et parfois aussi de manière anonyme.

Dans cette perspective de partage d’opinions et recommandations, nous souhaitons faire appel à la théorie des usages et gratifications proposée par Katz et Lazarsfeld de 1955, pour mieux comprendre comment cela fonctionne et qui sont les personnes qui influencent les autres. Cette théorie découle du modèle à deux étapes de communication, le « two step flow of communication » proposé par les deux auteurs dans leur livre Personnal Influence (1955). Les premières études ont montré que les médias avaient des effets directs sur celui qui consomme le message : une seule étape. Cependant Katz et Lazarsfeld ont avancé la théorie de deux étapes : le message médiatique touche d’abord les leaders d’opinion, lesquels traitent le message, l’interprètent et le retransmettent à leur entourage.

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Les deux auteurs ont démontré que les leaders d’opinion,

« ne constituent pas un groupe à part, et que le leadership d'opinion n'est pas un trait que certains possèdent et d'autres non, mais c’est plutôt une partie intégrante des relations quotidiennes, c’est-à-dire que toutes les relations interpersonnelles sont des réseaux potentiels de communication et que le meilleur moyen de considérer un leader d'opinion est de le considérer comme un membre du groupe jouant un rôle clé dans la communication » [traduction libre] (Katz & Lazarsfeld, 1966, p. 33).

Nous observons donc que dans ce modèle de communication, les effets de conversations entre les leaders d’opinion et les gens ordinaires ont plus d’influence que le contenu, selon Katz et Lazarsfeld. Ce modèle est très présent aujourd’hui, à une large échelle, avec des influenceurs que l’on retrouve sur Internet et qui influencent des communautés présentes sur les réseaux sociaux, les blogs, etc.

Comme décrit par Pasquier (2014) nous passons probablement du « world of mouth » au « world of mouse ». Aujourd’hui, de nombreux consommateurs vont chercher ces informations en ligne, qu’ils soient chez eux, à l’extérieur ou même en boutique, à l’aide de leur smartphone. Nous assistons ainsi à une symbiose entre les clients connectés (en ligne) et les clients traditionnels (hors ligne).

La confiance du consommateur s’est déplacée. L’approche verticale où les clients étaient influencés par les campagnes marketing et les experts du domaine est devenue une approche horizontale, de consommateurs à consommateurs. Dans tous les domaines, les consommateurs sont plus influencés par le facteur F, beaucoup utilisé en anglais comme « Family, Friends, Fans et Followers » (en français, les amis, la famille, les fans de Facebook ou les adeptes de Twitter), que par les stratégies du marketing (Kotler, Kartajaya, Setiawan & Vandercammen 2017).

« On estime que 96% des acheteurs en ligne sont attentifs aux notes et aux avis.

Selon un effet de ciseaux, ils lisent presque autant les très bonnes notes que les très mauvaises. Les avis négatifs - et parfois très négatifs - servent à éviter d’acheter de mauvais produits et d’être déçu » (Cardon 2019, p. 326).

L’auteur Scheid et al., (2019) cite une étude de Jacques Horovitz dans son livre

« Customer Satisfaction », dont il affirme « qu’un client satisfait en parle à trois autres, alors qu’un client mécontent en parle à onze autres » (Scheid, Fontugne, Vaillant & Montaigu, 2019, p. 36). La dynamique de ces évaluations est très particulière, « plus les contributeurs sont nombreux, plus l’envie de participer à son tour est forte » (Pasquier, 2014, p. 14). Le fait que les sites de ventes en ligne, les réseaux sociaux et Google affichent le nombre de commentaires a aussi une influence sur la propension à des autres consommateurs à poster des leurs (Pasquier, 2014).

Les contributeurs d’avis pour évaluer un produit ou service peuvent avoir différentes motivations : procurer « des gratifications personnelles, plaisir de s’exprimer et plaisir d’écrire » (Pasquier, 2014, p. 12). Les chercheurs Hennig-Thurau et al.

(2004), cités dans Pasquier (2014, p. 12), ont identifié la motivation de « recevoir de

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l’attention, montrer sa compétence, affirmer sa supériorité, donner l’impression d’avoir davantage d’informations que les autres, les aider à faire leur choix. »

En ce qui concerne les « jugements profanes », expression utilisée par l’auteur Dominique Pasquier (2014) pour mentionner l’ensemble des évaluations disponibles en ligne, un questionnement se fait jour sur l’exercice critique employé pour

« analyser la fiabilité, les motivations des évaluateurs, les liens avec les professionnels de la critique et la capacité des jugements profanes à se constituer en pôle de prescription. » Les utilisateurs, face à l’obésité d’information, suivent une tendance à ne pas approfondir les analyses, mais à les considérer comme un soutien pour les aider à prendre une décision d’achat.

Cette théorie est aussi alimentée par l’imaginaire de la science-fiction dans la série britannique « Black Mirror », diffusée sur Netflix et qui a pour slogan « Le futur est brillant ». Elle parle d’un futur proche où l’avancée technologique aura complètement changé la société telle que nous la connaissons. Dans la Saison 3, épisode 1

« Chute libre », les réalisateurs ont imaginé une société où chacun peut noter son prochain à l’aide d’une application sur son smartphone. La protagoniste, Lacie, est une jeune femme qui vit dans un système de notations qui régule la société. Chacun doit plaire aux autres pour augmenter sa moyenne globale et réputation sur un réseau social. Une note élevée donne plus de privilèges, comme obtenir un meilleur poste de travail, acheter un appartement, un accès à la première classe dans les avions, des meilleures voitures de location ou encore des prêts bancaires aux meilleurs taux. Alors que l'héroïne cherche à progresser socialement, une succession de faux pas l'entraînera loin de son but (Brooker, 2016). Le concept est fictionnel, néanmoins inquiétant et nous amène à réfléchir jusqu’où les évaluations peuvent nous emmener.

Dans le cadre de notre étude, qui aborde aussi l’influence des avis, commentaires, et recommandations avant et post-achat par le biais du bouche-à-oreille et par l’univers en ligne sur la consommation de produits alimentaires bio, la théorie des usages et gratifications et la compréhension de cet univers d’évaluation se révèlent très importants pour notre but, qui est d’analyser l’importance des évaluations dans le processus d’achat.

Les applications d’évaluation (H1.b)

Il s’agit des applications mobiles qui permettent aux consommateurs de scanner le code-barres présent sur les emballages des produits alimentaires et de décrypter les étiquettes pour évaluer la qualité des produits et les substances controversées présentes, ceci avant même d’acheter le produit en question.

D’après Anne Onidi, spécialiste des tests comparatifs à la Fédération romande des consommateurs (FRC) « Ces applications alertent sur les dangers potentiels et contribuent à la prise de conscience qui amène les gens à boycotter certains produits » (Yurkina, 2019).

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Dans cette recherche nous avons utilisé comme référence les applications nutritionnelles les plus utilisées dans le contexte alimentaire en Suisse, Nutriscan+

et Yuka.

3.4.1.1 L’application Nutriscan+

Selon le slogan « Tout sur vos aliments en une fraction de scan », l’objectif de cette application est d’aider le consommateur à découvrir rapidement la qualité nutritionnelle et les addictifs ajoutés dans les aliments vendus dans les commerces suisses en scannant seulement le code-barres. (Magazine Bon à Savoir, 2020) C’est une application qui a commencé avec une version simple et gratuite et qui s’est sans cesse améliorée. Aujourd’hui, elle propose une nouvelle version appelée Nutriscan+ avec des fonctionnalités gratuites et « payantes (4 francs suisses pour toute la durée de vie de l’application). » (Muller, 2020, p. 6-7). Elle est disponible sur Google Play et App Store depuis 2017 et a été conçue par le magazine Suisse Bon à Savoir, spécialiste de l’information et la défense des consommateurs, en partenariat avec l’École Polytechnique Fédérale de Lausanne (EPFL) et le mouvement international openfoodfacts.org.

Nous proposons ci-dessous des captures d’écran de l’application Nutriscan+ en fonctionnement pour illustrer son utilisation :

Figure 6 : Exemple de fonctionnement de l'application Nutriscan +

Pour le test, nous avons choisi comme produit un paquet de flocons de millet bio - Coop Natura Plan. Ensuite, sur l’application nous avons appuyé sur le bouton

« Scan » qui a ouvert le scanner du smartphone et nous avons visionné le code-barres de l’aliment. Le Nutri-score s’affiche automatiquement, ainsi que le nombre d’additifs présents dans le produit. Dans l’exemple ci-dessus nous voyons comme résultat le nutri-score « A » et l’information « pas d’additifs » ajoutée. En cliquant sur

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les informations affichées, nous pouvons consulter les détails des repères nutritionnels et de chaque additif.

Précisons que le Nutri-score est une échelle de qualité nutritionnelle crée en 2009 par le chercheur britannique Mike Rayner et développée par l’épidémiologiste français Serge Hercberg. (FRC, 2019).

En Suisse au mois de septembre 2019, l’OSAV s’est prononcé en faveur du Nutri-Score français, selon un principe de volontariat. L’industrie est en train de s’adapter à cela en mettant des étiquettes sur l’emballage des produits alimentaires. Ce système d’étiquetage des aliments permet de comparer la qualité nutritionnelle des produits qui se ressemblent et d’informer les consommateurs quant à l’équilibre nutritionnel d’un produit alimentaire transformé, à travers une échelle de notation colorée du vert au rouge et d’A à E, comme le montre l’image ci-dessous.

Figure 7: Nutri-score (OSAV, 2020)

Mentionnons encore que le Nutri-score ne prend pas en compte les additifs présents dans les produits, donc une mesure pratique, mais qui n’est pas suffisante pour évaluer la qualité des aliments. Par contre, en utilisant l’application Nutriscan+ les consommateurs peuvent savoir rapidement « si un aliment est équilibré, combien il contient d’additifs, lesquels sont à risque, s’il est bio ou contient du gluten ou, encore, s’il fait partie des produits ultra-transformés que l’on devrait limiter » (Muller, 2020, p. 6-7).

D’après une recherche que nous avons mené au 26 avril 2020 sur Google Play Store, l’application Nutriscan+ a été téléchargée plus de 10.000 fois et l’évaluation est de 3,1 sur 5. Sur App Store, l’application a été téléchargée plus de 5.000 fois et l’évaluation est de 2.8 sur 5.

3.4.1.2 L’application Yuka

Selon son slogan « Faites les bons choix pour votre santé », l’objectif de cette application est aussi de décrypter les étiquettes des produits alimentaires et d’analyser leur impact sur la santé du consommateur. Elle a été conçue en janvier 2017 en France. Il s’agit d’une application indépendante. Il existe une version gratuite plus limitée et une version payante. L’objectif est d’aider les consommateurs à faire de meilleurs choix pour leur santé, ainsi que d’agir en tant que levier d’action pour conduire les industriels à proposer de meilleurs produits (Yuka, s. d.).

Yuka fait des analyses de produits cosmétiques et alimentaires et est disponible dans plusieurs pays. Concernant les produits alimentaires, thème de cette recherche elle utilise trois critères de notation : la qualité nutritionnelle se basant sur l’échelle

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de NutriScore, qui représente 60% de la note, la présence d’additifs 30% et la dimension biologique des ingrédients 10% (Yuka, s. d.). Ci-dessous des captures d’écran de l’application Yuka pour illustrer son fonctionnement :

Figure 8: Exemple de fonctionnement de l'application Yuka

Pour le test, nous avons opté pour le même produit, à savoir un paquet de flocons de millet bio - Coop Natura Plan, afin d’avoir un bon point de comparaison. Ensuite, sur l’application nous avons appuyé sur l’icône verte à droite qui a ouvert le scanner du smartphone et puis nous avons visionné le code-barres de l’aliment : la note sur 100 s’affiche automatiquement ainsi que le nombre d’additifs présents dans le produit. Dans l’exemple ci-dessus nous voyons comme résultat 100/100 et à côté une indication bio qui atteste qu’il s’agit d’un produit naturel. En cliquant sur les informations affichées, nous pouvons consulter chaque détail.

Les deux applications mentionnées ne disposent pas d’informations sur le lieu de production et l’impact écologique du produit scanné, comme le matériau utilisé pour faire l’emballage, mais elles présentent quand même une multitude d’informations utiles sur les produits alimentaires.

D’après une recherche que nous avons mené au 26 avril 2020 sur Google Play Store, l’application Yuka a eu plus de 10 millions de téléchargements et une évaluation de 4.5 sur 5 sur Google Play, et plus de 5 millions de téléchargements et une évaluation de 4,7 sur 5 sur App Store.

« Selon une étude de l’Institut français d’opinion publique, un Français sur quatre recourt à une application pour consommateurs et un utilisateur sur trois change de marque si le produit est mal noté. En Suisse, il n’y a pas d’études sur l’effet de ces nouveaux outils » (Yurkina, 2019). Nous voyons une tendance croissante à l’utilisation de ces applications par les consommateurs lorsqu’ils font leurs courses munis d’un smartphone, scannant un produit avant de lui faire prendre la direction du

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chariot ou de le reposer en rayon. Nous verrons dans cette étude si cette tendance est également présente en Suisse romande.

Les magasins de ventes en ligne (H2.a)

Les sites d’e-commerce peuvent être classés en deux catégories, « pure player » c’est-à-dire les magasins qui sont présents uniquement en ligne ou « click and mortar » qui possède des magasins physiques et également des magasins en ligne (Scheid, Fontugne, Vaillant & Montaigu, 2019).

« En Suisse, le shopping sur Internet se développe à une allure fulgurante depuis quelques années » (Conseil Fédéral - PME, 2020) grâce aux avantages qu’y trouvent les consommateurs comme la commodité, la possibilité de mieux se renseigner sur les produits, les comparer, et régler des achats depuis n'importe quel endroit.

En Suisse, « 87% des internautes effectuent des recherches sur des produits en ligne, 82% font des achats en ligne, tandis que plus des trois quarts des utilisateurs comparent les prix en ligne (76%) » [traduction libre] (Latzer, Büchi & Festic, 2020, p. 17).

Concernant l’appareil préféré par les Suisses pour faire les achats en ligne, selon une étude menée par Deloitte (2018), la majorité des consommateurs utilise un ordinateur portable (37%), 24% utilisent un ordinateur de bureau, 19% utilisent un smartphone et 11% utilisent une tablette, ce qui est moins représentatif mais non négligeable. Cependant, « plus la tranche d’âge est jeune, plus les smartphones et tablettes sont appréciés pour ce type d’utilisation. À l’inverse, l’ordinateur portable et le PC restent les appareils préférés des clients plus âgés.» (Stanford, 2018)

Nous remarquons que les achats en ligne occupent une place importante dans la vie des consommateurs en Suisse. Les consommateurs connectés sont de plus en plus exigeants, ils veulent pouvoir faire leurs achats sans contraintes, sans perdre de temps et attendent un service personnalisé.

« Les besoins des consommateurs évoluent presque aussi vite que la technologie qu'ils utilisent au quotidien. Selon notre dernière étude 41% des millennials s'attendent à être personnellement reconnus, et plus de la moitié d'entre eux (51%) souhaitent que leurs expériences en ligne reflètent ce qu’ils aiment ou pourraient aimer. Plus évocateur encore pour les marketeurs : près d'un tiers des utilisateurs quittent les contenus qui ne répondent pas à ces attentes » (Leeder, VP, Google Ads, 2019).

Un exemple de service personnalisé pourrait être qu’après des recherches sur un produit sur l’application d’un magasin et l’abandon sans acheter, une campagne hyper-personnalisée enverrait une notification push sur le portable de l’utilisateur annonçant une promotion du produit recherché dans les jours et horaires où le client est habituellement en ligne et plus susceptible de consommer.

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Le contenu disponible en ligne et les algorithmes personnalisent notre expérience numérique en proposant des informations et des produits personnifiés.

« L’algorithme fait confiance à la régularité des structures de goûts et d’intérêts des utilisateurs pour rendre prévisibles les rapprochements entre les produits recommandés » (Cardon, 2015, p. 64). Ils ont une influence sur nos choix et imposent implicitement aux utilisateurs des options et des informations qu’ils n’auraient peut-être pas trouvées par eux-mêmes. Les algorithmes sont devenus des outils essentiels dans les stratégies de marketing et font souvent l’objet de critiques puisqu’ils utilisent des données privées. Cependant les consommateurs utilisent tout de même de plus en plus les sites de ventes en ligne, car ils sont attirés prix, la disponibilité 24h/24, la livraison à domicile et la facilité de comparaison des prix.

Dans le cadre de cette recherche, nous allons vérifier quelle est la part du e-commerce lors des achats de produits alimentaires bio.