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Chapitre 4 Le rôle de l’encodage dans la maitrise du code alphabétique

3. L’enseignement de l’encodage au cours préparatoire

3.3. La lecture et l’orthographe

Lorsqu’ils apprennent à lire, les élèves s’appuient sur différentes unités de traitement de l’écrit. Ils prennent par exemple très rapidement en compte les digraphes lorsque ceux-ci ne comportent pas d’allographes plus simples, comme c’est le cas des graphèmes « ou » et « ch ». Ils possèdent aussi une sensibilité précoce à des aspects purement orthographiques. Les élèves de cours préparatoire choisissent l’écriture correcte du /s/ en position intervocalique, y compris dans des graphies qu’ils n’ont jamais rencontrées (Pacton, 2008). Ils mobiliseraient également des unités morphologiques dès la première année d’apprentissage de la lecture mais ce point n’a pas été suffisamment investi par la recherche pour s’en assurer. Et à la fin du cours préparatoire, les bons lecteurs peuvent avoir recours à la syllabe pour décoder. L’activation de l’unité syllabique relèverait soit de processus phonologiques soit de processus orthographiques selon la complexité et la fréquence de la syllabe, l’âge du lecteur et son niveau de lecture. Elle pourrait « être considérée comme le signe d’une médiation phonologique experte » (Sprenger-Charolles et Colé, 2013a, p. 101).

Les travaux qui concernent l’utilisation précoce d’analogies indiquent que les élèves de cours préparatoire possèdent des connaissances sur l’écrit que jamais personne ne leur a enseignées. Ces connaissances sont de nature graphophonologique, mais elles portent aussi sur des séquences de lettres ou des aspects morphologiques de la langue, elles sont donc également de nature orthographique (Gombert, 2004 ; Demont et Gombert, 2004). Plusieurs recherches récentes se sont intéressées au rôle de l’orthographe dans le développement des compétences en lecture (Grainger, Lété, Bertrand, Dufau et Ziegler, 2012 ; Lété et Fayol, 2013 ; Pacton, Borchardt, Treiman, Lété et Fayol, 2014 ; Ziegler, Bertrand, Lété et Grainger, 2014). L’une d’elles (Ziegler et al., 2014) s’est attachée aux contributions respectives des processus phonologiques et orthographiques dans la reconnaissance visuelle des mots sur cinq niveaux de scolarité, du cours préparatoire au cours moyen deuxième année. Sur les 284 élèves qui composaient l’échantillon initial, plusieurs ont été exclus soit parce qu’ils présentaient un retard de plus de 18 mois par rapport au niveau attendu au test de l’Alouette (Lefavrais, 1967), soit parce que leurs parents ou leurs enseignants ont signalé qu’ils présentaient des troubles du langage. Ce sont donc 267 élèves qui ont réalisé une épreuve de

145 reconnaissance de pseudos homophones, un marqueur des processus phonologiques, et une épreuve de reconnaissance de mots comportant une lettre transposée, un marqueur des processus orthographiques. Les résultats indiquent que le marqueur des processus phonologiques reste à un niveau quasi-constant du cours préparatoire au cours moyen deuxième année alors que le marqueur des processus orthographiques ne cesse d’augmenter de manière régulière. Ils soulignent donc l’accroissement de l’influence de l’orthographe dans l’activité de lecture sans diminution de la contribution de la phonologie.

Un an plus tôt, Lété et Fayol (2013) indiquaient que l’orthographe des langues, plus ou moins transparente, avait une influence sur le réglage des processus orthographiques. L’orthographe anglaise étant moins transparente que l’orthographe française, les effets des marqueurs des processus orthographiques apparaissent beaucoup plus tôt en anglais qu’en français, ce qui signifie que le réglage des processus orthographiques est plus précoce. Pacton et al. (2014) notaient quant à eux que les lecteurs experts sont influencés par les patterns orthographiques de leur langue parlée lorsqu’ils doivent se remémorer l’écriture de noms inventés comportant une consonne double. En effet, ceux-ci ont tendance à doubler les consonnes géminées les plus fréquentes plutôt que les rares ou celles qui ne le sont jamais.

Afin de répondre à la question des liens qu’entretiennent l’orthographe et la lecture, Linnea Ehri a recensé les résultats de plusieurs études conduites en langue anglaise. Toutes indiquent que les performances des élèves dans les deux disciplines sont fortement corrélées, et ceci quel que soit leur niveau de scolarité, du cours préparatoire à la sixième (Rieben, Fayol et Perfetti, 1997). En effet, la lecture et l’orthographe mobilisent des connaissances communes à la fois sur les aspects phonographiques et sémiographiques de la langue, ce qui conduit Linnea Ehri à dire qu’« apprendre à lire et apprendre à orthographier, c’est la même chose ou pratiquement la même chose » (Rieben et al., p. 231).

Pour certains chercheurs, en particulier Ouzoulias et Devanne, l’enseignement de l’encodage permet d’utiliser en réception (en lecture) les compétences développées en production (en écriture). Ils reprennent ainsi l’intuition très ancienne de Freinet qui a méticuleusement décrit l'évolution des compétences de sa fille Baloulette dans l'apprentissage du graphisme et de la lecture après qu’il ait observé les enfants de sa classe apprendre à lire en imprimant leurs textes (Barré, 1995).

En résumé, les élèves s’appuient essentiellement sur des processus phonologiques au

146 la scolarité élémentaire. Il est donc indispensable de conduire un enseignement systématique et explicite des correspondances graphophonémiques au cours préparatoire. Par ailleurs, la corrélation est forte entre les performances des élèves en lecture et en orthographe, et les processus orthographiques occupent une place croissante dans l’identification des mots écrits du cours préparatoire au cours moyen deuxième année. La pratique régulière de l’écriture s’inscrit dans ce processus développemental puisqu’elle permet aux élèves de se confronter précocement à une orthographe peu consistante et qu’elle les incite à utiliser en encodage des configurations et des analogies orthographiques qu’ils retrouvent en décodage. Ainsi, l’enseignement de l’encodage est complémentaire de celui du code alphabétique.