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Chapitre 4 Le rôle de l’encodage dans la maitrise du code alphabétique

3. L’enseignement de l’encodage au cours préparatoire

3.2. La consistance de l’orthographe

Nous avons déjà décrit le système orthographique français afin d’identifier les graphèmes qui composent les textes de lecture soumis aux élèves de cours préparatoire et d’opérer ainsi des choix de segmentation (cf. chapitre 3). Nous revenons ici sur quelques aspects de cette description afin d’évaluer la complexité de l’activité d’encodage par comparaison à celle de décodage.

141 Toutes les écritures transcrivent de l’oral mais la nature et la taille des unités transcrites diffèrent selon les langues. Les unités les plus grandes sont porteuses de signification et sont plus faciles à mémoriser que les unités de taille plus petite mais elles sont plus nombreuses et leur apprentissage s’avère plus couteux sur le plan des capacités mémorielles. En français, la syllabe est l’unité de la chaine sonore la plus facilement perceptible car elle correspond à une unité d’articulation. Elle est plus accessible que les unités infra syllabiques (plus abstraites) ou que les mots plurisyllabiques (plus complexes) et pourrait donc être retenue comme unité de référence. Toutefois, les possibilités de combinaisons sont multiples à l’intérieur même de la structure syllabique et il est illusoire d’imaginer inventorier l’ensemble des syllabes de langue française (Ducard et al., 1995). En choisissant de transcrire la plus petite unité de l’oral, le phonème, l’inventaire des unités de référence s’en trouve donc simplifié. En revanche, leur discrimination dans la chaine sonore s’avère plus délicate.

Notre système d’écriture repose à la fois sur des principes phonographiques et sémiographiques (Ducard et al., 1995 ; Cogis, 2005). Ainsi, les unités de l’écrit peuvent transcrire du son ou du sens, et quelquefois les deux. Le graphème « on » de « jouons », par exemple, transcrit le phonème /7/ mais constitue également une référence sémique indirecte du pluriel du verbe (Catach, 2012). Seuls les scripteurs ayant connaissance de cette double fonction ajoutent donc une lettre « s » en position finale. Beaucoup d’autres marques flexionnelles (ami vs amie, crie vs crient) ou dérivatives (grand vs grande) sont muettes, et certaines se confondent à l’oral parce qu’elles renvoient au même phonème (par exemple « é », « er », « ez » prononcés /e/). La lecture des marques morphologiques s’avère toutefois plus aisée que leur écriture. Les lettres « s », « t », « d », « es », « nt » ou « ent » sont régulièrement présentes en finale des mots et peuvent être reconnues comme des lettres muettes. En revanche, leur écriture relève de connaissances sur la langue parfois méconnues du scripteur. En anglais, en allemand et en espagnol, la plupart des marques morphologiques s’écrivent et se prononcent. Sur ce point, le français fait figure d’exception.

Les relations que les unités de l’oral entretiennent avec celles de l’écrit et les principes qui régissent les systèmes d’écriture conduisent à des orthographes plus ou moins consistantes. La consistance est liée à la fois à l’histoire de la langue, en particulier à l’évolution conjointe ou disjointe de l’oral et de l’écrit, et au rapport entre le nombre de lettres de l’alphabet et la quantité de lettres nécessaires pour couvrir les besoins de transcription des unités de la chaine parlée (Sprenger-Charolles et Colé, 2013a). Les voyelles de l’alphabet latin suffisent à coder les 5 voyelles simples de l’espagnol mais elles ne permettent pas de coder les 10 à 15 voyelles

142 du français ou de l’allemand. Et pour ces trois langues, le nombre de lettres de l’alphabet s’avère insuffisant pour transcrire l’ensemble des consonnes. Les lettres ont donc été associées à des signes distinctifs ou combinées entre elles afin de répondre au besoin de transcrire l’oral. Ce ne sont donc pas les lettres, en nombre insuffisant, mais les graphèmes qui constituent les unités de base des écritures alphabétiques (Sprenger-Charolles et Colé).

Selon les langues, les graphèmes se sont multipliés, dépassant quelquefois largement la quantité qui serait nécessaire pour transcrire l’oral. Or, la distorsion entre le nombre d’unités graphiques et le nombre d’unités phoniques est un indicateur de la transparence d’une orthographe. Autrement dit, plus cette distorsion est grande, plus l’orthographe est opaque. L’espagnol compte 29 graphèmes pour 25 phonèmes (Pérez, 2014), le français 130 graphèmes pour 36 phonèmes (Catach, 2012) et l’anglais 561 graphèmes pour 41 phonèmes (Fayol et Jaffré, 2008). Il est donc logique que ces orthographes aient été classées respectivement au 4e,

2e et 1er degré de transparence des orthographes latines, le 5e degré correspondant au niveau le

plus transparent. D’une manière générale, les orthographes les plus récentes ou celles qui ont fait l’objet d’aménagements réguliers ont plus de chance que les autres d’être transparentes (Fayol et Jaffré).

Par définition, une langue qui comporte plus d’unités graphiques que d’unités phoniques est plus facile à décoder qu’à encoder, et inversement. Les orthographes du français, de l’espagnol, de l’allemand et de l’anglais sont donc plus transparentes dans le sens de la lecture que dans celui de sens de l’écriture. Autrement dit, le degré de consistance de ces quatre orthographes est plus élevé de l’écrit vers l’oral que de l’oral vers l’écrit.

Leur comparaison révèle cependant des différences notables que ce soit dans le sens de l’encodage ou dans celui du décodage. La transcription des phonèmes consonantiques de l’espagnol nécessite presque deux fois moins de graphèmes que celle du français, de l’anglais et de l’allemand. Les voyelles de l’espagnol ne comptent pratiquement pas d’allographes60 alors que ceux-ci sont particulièrement nombreux en français (o/au/eau ; in/im/en ; ein/ain/aim ; etc.) et le sont davantage encore en anglais. Le phonème /i:/, par exemple, comporte 11 phonogrammes : « e (theme) », « i (machine) », « ee (see) », « ea (sea) », « ae (caesarean) », « ei (ceiling) », « ie (field) », « ey (key) », « ay (quay) », « eo (people) », et « oe (subpoena) » (Sprenger-Charolles et Colé, 2013a, p. 63), et la transcription des diphtongues est bien plus problématique. En lecture, le français et l’anglais comptent bon

143 nombre de consonnes qui ne se prononcent pas, telles que le « k » de « know » ou le « s » de « gris ». Dans ces deux langues, certaines lettres peuvent être doublées mais n’entrainent généralement pas d’irrégularités de prononciation. En anglais, la prise en compte d’unités plus larges que le phonème permet de repérer des régularités qui rendent la langue plus consistante. Dans la rime « ight », par exemple, la lettre « i » se prononce toujours /aj/. Les voyelles du français et de l’anglais sont relativement transparentes lorsqu’il s’agit d’aller du graphème vers le phonème, elles sont beaucoup plus opaques lorsqu’il s’agit de faire le chemin inverse. L’espagnol n’échappe pas non plus aux variations de prononciation de certains graphèmes contextuels. Les lettres « c » et « g » prennent différentes valeurs en fonction des contextes, comme c’est le cas en français, en anglais et en allemand. Le « g », par exemple, se prononce comme une occlusive ou une fricative selon la nature des lettres qui le suivent.

Aucune des orthographes que nous venons de décrire n’est totalement transparente mais leur degré de transparence a une incidence sur le niveau de difficulté de l’apprentissage de la lecture. Une étude comparative impliquant des enfants de différents pays européens a souligné l’augmentation des temps de latence en lecture de mots et de pseudo-mots de ceux qui faisaient davantage appel à leurs compétences lexicales pour lire (Seymour, Aro et Erskine cités par Sprenger-Charolles et Colé, 2013a). Elle indique également que les effets d’une orthographe peu transparente persistent jusqu’à l’âge adulte, y compris chez les normolecteurs.

Bref, l’orthographe française est plus consistante dans le sens de la lecture que dans celui de l’écriture, autrement dit de l’écrit vers l’oral que de l’oral vers l’écrit. Souvent, les graphèmes ne renvoient qu’à une seule prononciation alors que les phonèmes peuvent être transcrits par plusieurs phonogrammes. En outre, il est plus simple de retenir la position et la nature des lettres muettes que d’effectuer un marquage morphologique. Par exemple, lorsqu’un enfant a compris que le graphème « é », mais aussi « és », « ée », « ées », se prononcent /e/, il peut lire tous les items qui se terminent de cette façon. En revanche, il sera plus difficile pour lui de trouver l’orthographe correcte de /e/ en fin de mot (Sprenger- Charolles et Colé, 2013a). En effet, l’écrit code à la fois du son et du sens et il ne suffit pas d’avoir mémorisé les correspondances phonographiques pour produire un écrit normé.

Le fait que la lecture soit a priori d’un accès plus facile que l’écriture ne signifie pas pour autant que la pratique du décodage doit précéder celle de l’encodage. En effet, de nombreuses

144 études rappellent l’intérêt précoce des élèves pour le fonctionnement de notre système d’écriture, et soulignent la place croissante des processus orthographiques au fur et à mesure que se développent les compétences de lecteur.