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Chapitre 2 La planification de l’étude du code alphabétique

5. Discussion

Les travaux anglo-saxons ont souligné l’intérêt d’un enseignement précoce et explicite des correspondances graphophonémiques (NRP, 2000). En revanche, ils n’ont pas relevé de différence significative d’efficacité entre les approches synthétiques et analytiques, autrement dit entre les démarches qui reposent sur l’association de lettres ou de groupes de lettres à des sons pour former des syllabes et des mots et celles qui consistent à nommer les syllabes et les mots pour ensuite identifier les correspondances lettres-sons qui les composent.

Nous souhaitions savoir si nous retrouverions ces résultats dans l’école française. Nous nous sommes donc doté d’une méthodologie qui réponde aux exigences de scientificité de l’éducation basée sur la preuve. Nous avons élaboré des modèles multiniveaux nous permettant de contrôler les performances initiales des élèves, leurs caractéristiques propres, les caractéristiques de la classe et celles des enseignants. Les analyses statistiques que nous avons réalisées vont dans le même sens que celles de nos collègues anglo-saxons et confirment l’influence significative d’une étude précoce et explicite du code alphabétique sur les performances des élèves en décodage et en orthographe. Elles ne permettent pas non plus de faire de différence entre entrée graphémique et phonémique : l’important est que les correspondances soient étudiées, quel que soit le sens de l’étude.

70 Lorsque nous avons testé les effets de la variable didactique tempo sur les performances des élèves en décodage, nous avons identifié 15 comme valeur optimale. Autrement dit, l’élévation du tempo influence significativement et positivement les performances des élèves jusqu’à un optimum de 15 correspondances graphophonémiques enseignées pendant les neuf premières semaines de classe. Cet optimum est de 14 pour les élèves qui obtiennent des scores faibles à l’entrée du cours préparatoire. Nous avons identifié un effet linéaire moyen qui s’étend sur l’ensemble des valeurs de l’étude, c’est-à-dire de 5 à 26, pour les élèves initialement forts en code. Nos analyses statistiques nous ont également permis de mettre en évidence des effets paliers, l’un à 11 en considérant l’ensemble des élèves de l’étude, l’autre à 12 en considérant seulement les élèves initialement faibles. Autrement dit, selon le niveau initial des élèves, leurs performances en décodage sont meilleures lorsque le tempo atteint 11 ou 12.

Nous avons souligné l’influence de l’élévation du tempo sur les performances des élèves en orthographe, en particulier sur celles des élèves qui obtiennent des scores intermédiaires ou forts à l’entrée du cours préparatoire. Cette influence est moins nette pour les élèves initialement faibles.

Le tempo moyen pratiqué par les 131 enseignants expérimentés de l’étude Lire et Écrire est très légèrement supérieur aux valeurs pénalisantes pour les apprentissages. Toutefois, 67 enseignants adoptent un tempo inférieur à 11 et pourraient être mis en alerte sur le bien-fondé de leurs choix, même s’il n’est pas exclu que d’autres caractéristiques de leur organisation didactique puissent compenser cette faiblesse. Il est intéressant de noter que parmi ces 67 classes au tempo lent, 11 font partie des 15 classes les moins efficaces en code de tout l’échantillon.

95 enseignants suivent un tempo inférieur à 14, c’est-à-dire plus lent que la valeur optimale que nous avons identifiée pour les élèves initialement faibles, et 24 adoptent un tempo supérieur à 15 qui semble avant tout bénéficier aux élèves initialement forts. La très grande majorité des enseignants n’étudie donc pas suffisamment de CGP avant la dixième semaine de classe mais certains vont trop vite pour les élèves qui obtiennent des scores faibles à l’entrée du cours préparatoire.

Le rythme d’enseignement le plus propice aux apprentissages des élèves initialement faibles équivaut à l’étude explicite de 3 correspondances graphophonémiques par quinzaine avant la dixième semaine de classe. Nous avons vu que l’élévation du tempo était corrélée à

71 celle du rendement théorique, autrement dit que le pouvoir déchiffrer augmentait en même temps que la vitesse d’enseignement des relations lettres-sons. Un enseignement plus rapide du code alphabétique, supérieur d’environ 3 CGP à la moyenne de l’étude Lire et Écrire, améliorerait l’autonomie de déchiffrage des élèves et créerait des conditions plus favorables à leur auto-apprentissage.

Les enseignants expérimentés de cours préparatoire étudient principalement des CGP aux fréquences élevées mais jamais toutes ni exclusivement celles qui font partie des 15 plus fréquentes en français. Sous certaines conditions, nous avons vu que ceux qui adoptaient un tempo lent offraient à leurs élèves un pouvoir déchiffrer plus élevé que certains de leurs collègues qui suivaient un tempo plus rapide. Ils parvenaient donc à compenser la lenteur de leur enseignement par le choix de correspondances graphophonémiques à fréquence élevée. Dans quelques classes, nous avons aussi constaté le faible pouvoir déchiffrer offert aux élèves qui bénéficiaient pourtant de tempos élevés, ce qui révèle des choix discutables d’enseignement de CGP rares en français. Peut-être serait-il bon d’alerter les enseignants sur ce point, surtout si l’on fait l’hypothèse qu’ils n’en sont pas très conscients (nous y reviendrons chapitre six).

Nous avons aussi noté que seuls 77 % des enseignants étudient la correspondance graphophonémique la plus fréquente en français (« r, rr » /R/) avant la dixième semaine de classe, et qu’ils sont moins de 4 % à étudier explicitement le « e » muet qui possède pourtant la troisième fréquence théorique la plus élevée. Si le pouvoir déchiffrer offert aux élèves est retenu comme facteur de réussite en lecture, des recommandations peuvent être faites sur la nature des correspondances à étudier en priorité, en particulier pour favoriser les apprentissages des élèves les plus dépendants de l’intervention pédagogique.

Les analyses que nous avons conduites sur la nature des CGP étudiées par les professeurs expérimentés de cours préparatoire, les propositions des guides pédagogiques des manuels de lecture et la progression établie par Liliane Sprenger-Charolles nous laissent penser qu’une planification de l’étude du code élaborée à partir du seul critère de fréquence théorique des CGP est fondée. Elle optimiserait la part de texte directement déchiffrable par les élèves, susciterait probablement un mécanisme d’auto-apprentissage et répondrait à certains critères énoncés par les sciences cognitives pour sélectionner les graphèmes et organiser la progression des enseignements.

72 Si nous choisissions le tempo optimal des élèves initialement faibles en code pour établir une recommandation de progression, nous retiendrions les 14 correspondances graphophonémiques les plus fréquentes en français. Nous proposerions donc d’étudier les graphèmes « r (rr) », « a (à, â) », « e# », « i », « t (tt) », « o (ô) », « l (ll) », « é », « s (ss) », « m (mm) », « n (nn) », « p (pp) », « c (cc) », « d » et leurs correspondants phonémiques respectifs /R/, /a/ ou /A/, /i/, /t/, /o/, /l/, /é/, /s/, /m/, /n/, /p/, /k/ ou /s/, /d/ au cours des neuf premières semaines de classe. Leur enseignement offrirait aux élèves la possibilité de déchiffrer seuls un peu plus de 64 % des textes écrits en français standard (cf. tableau 8, § 4.2.).

Si nous comparons notre liste de correspondances graphophonémiques à celle proposée par Liliane Sprenger-Charolles, nous constatons que nous en avons 10 en commun. Ce sont les voyelles « a », « i », « o » et « é » que notre collègue propose d’étudier dès la première semaine de classe, les consonnes liquides « r » et « l » la deuxième, la lettre muette « e » la sixième semaine, et les consonnes occlusives « p », « t » et « d » en septième et huitième semaine. En revanche, les graphèmes « s », « m » et « n » sont proposés un peu plus tard que nous, en dixième et onzième semaines, la lettre ‘c’ qui a pour correspondant phonémique /k/ en treizième semaine et la lettre ‘c’ prononcée /s/ beaucoup plus tard dans l’année. Nos propositions de progression ne sont donc pas très éloignées l’une de l’autre mais nous recommandons d’étudier moins de CGP et de cibler les plus fréquentes pour rendre les textes plus aisément déchiffrables.