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Chapitre 3 Les supports d’enseignement de la lecture

6. Discussion et conclusion

Le modèle simple de la lecture (SVR) définit la compréhension écrite comme le produit de l’identification des mots écrits et de la compréhension orale. Les lecteurs experts qui ont automatisé la reconnaissance des mots écrits atteignent donc un niveau de compréhension écrite équivalent à leur niveau de compréhension orale. En revanche, les lecteurs débutants s’appuient sur le contexte littéral pour identifier les mots écrits, palliant ainsi l’insuffisance de leurs compétences. Les habiletés de décodage sont déterminantes au début de l’apprentissage de la lecture puis celles de compréhension du langage deviennent de plus en plus explicatives des performances des élèves en compréhension écrite (Bianco, 2010).

Ces résultats conduisent certains chercheurs à tout miser sur l’enseignement du code au début du cours préparatoire, quitte à délaisser provisoirement celui de la compréhension (Dehaene et al. 2011 ; Sprenger-Charolles et Colé, 2013a). Ceux-ci considèrent par exemple que les premières leçons de lecture ne doivent pas contenir de mots « qui font appel à des associations entre graphèmes et phonèmes qui n’ont pas encore été apprises. […] Cela inciterait (l’élève) à deviner plutôt qu’à décoder » (Dehaene et al. 2011, p. 92). D’autres pensent que l’enseignement du code doit s’effectuer dans le cadre de « véritables activités

123 langagières », en réception ou en production, au hasard des rencontres avec des œuvres de littérature enfantine (Boussion et al., 1998 ; Ducancel et al., 2006). Entre ces deux visions de l’enseignement de la lecture qui accordent la primauté soit au code soit au sens, nous sommes à la recherche d’équilibres.

Nous ne considérons pas les effets de contexte comme une caractéristique des faibles lecteurs mais plutôt comme une étape du développement des lecteurs débutants. Tous les élèves recourent au contexte pendant leur apprentissage, y compris les bons lecteurs, mais tous ne le font pas au même moment. Lorsque c’est le cas, le rôle de l’enseignant est d’inciter les élèves à la vérification graphique de leurs anticipations afin d’éviter tout malentendu sur le sens de l’activité qui est en train de se dérouler. Par ailleurs, nous pensons qu’il est indispensable de planifier un enseignement rigoureux des correspondances graphèmes- phonèmes et de prêter attention au contenu linguistique des textes utilisés comme supports d’enseignement de la lecture, notamment au fait que les textes contiennent une quantité suffisante de graphèmes explicitement étudiés en classe.

Les valeurs des rendements effectifs indiquent que les textes utilisés comme supports d’enseignement de la lecture ne sont pas entièrement déchiffrables par les élèves, y compris lorsqu’ils proviennent de manuels syllabiques. Cependant, les écarts sont très importants entre les classes du premier décile de notre échantillon qui proposent des textes déchiffrables à 23 % en moyenne et celles du dernier décile qui proposent des textes déchiffrables à 71 %.

Nos résultats soulignent l’influence positive et significative du rendement effectif sur les performances des élèves en décodage, notamment lorsque ces derniers obtiennent des scores faibles ou intermédiaires en code à l’entrée du cours préparatoire. Ils soulignent également les effets positifs et significatifs du rendement effectif sur les performances en orthographe des élèves pris dans leur ensemble et sur les performances en compréhension autonome de texte des élèves initialement faibles en code et en compréhension. Ils confirment ainsi nos hypothèses de départ. Lorsque la part déchiffrable des textes est suffisante, elle favorise la mémorisation des correspondances graphophonémiques, génère un mécanisme d’auto- apprentissage, accroit le sentiment de compétence et la clarté cognitive des élèves, autrement dit elle induit davantage de progrès.

Les 26 classes qui présentent des rendements effectifs supérieurs à 57 %, autrement dit celles qui placent les élèves initialement faibles dans un contexte favorable pour développer à la fois leurs compétences en code, en orthographe et en compréhension autonome de texte,

124 utilisent des supports d’apprentissage issus de manuels de lecture qui relèvent d’approches extrêmement variées. En effet, 10 enseignants utilisent un manuel intégratif, 11 un manuel syllabique et 1 s’appuie sur un manuel phonique. Par ailleurs, 4 enseignants n’utilisent pas de manuel de lecture (cf. tableau 28). En portant plus ou moins sciemment une attention particulière à l’autonomie de déchiffrage qu’ils offrent aux élèves lors des leçons de lecture, les enseignants de ces classes créent les conditions de la réussite.

Identifiant

classe Manuel Typologie effectif en % Rendement

89 Ribambelle (Hatier) Approche intégrative 57,08

127 Un monde à lire (Nathan) Approche intégrative 57,14

103 Taoki (Istra) Approche syllabique 59,09

18 Sans manuel 60,19

1 À tire-d'aile (Hatier) Approche intégrative 60,78

6 À l'école des albums (Retz) Approche intégrative rapide 61,43

47 Taoki (Istra) Approche syllabique 61,64

79 Bulle (Bordas) Approche intégrative 62,37

54 Léo et Léa (Belin) Approche syllabique 62,66

119 Léo et Léa (Belin) Approche syllabique 64,18

5 Sans manuel 64,72

112 Albums série libellule (SEDRAP) Approche intégrative 64,72

108 À l'école des albums (Retz) Approche intégrative rapide 64,77

111 Justine et compagnie (Belin) Approche phonique 64,97

100 À coup sûr (Istra) Approche syllabique 65,98

105 Un monde à lire (Nathan) Approche intégrative 66,4

17 À l'école des albums (Retz) Approche intégrative rapide 67,27

78 Lire avec Patati et Patata (Accès) Approche intégrative 67,68

63 Je lis, j'écris (Les lettres bleues) Approche syllabique 69,34

113 Léo et Léa (Belin) Approche syllabique 69,65

68 Sans manuel 72,83

15 Sans manuel 73,81

80 Léo et Léa (Belin) Approche syllabique 74,14

61 Je lis, j'écris (Les Lettres bleues) Approche syllabique 74,82

131 Je lis, j'écris (Les Lettres bleues) Approche syllabique 75,29

91 À coup sûr (Istra) Approche syllabique 76,29

Tableau 28. Classes de l’étude Lire et Écrire qui présentent des rendements effectifs supérieurs à 57 %

En 2000, les auteurs du National Reading Panel s’étonnaient que « très peu de recherches aient évalué la contribution de la part déchiffrable des textes à l’efficacité des programmes d’enseignement des correspondances graphèmes-phonèmes » (NICHD, 2000, chapitre 2, p. 97-98, traduit par nous). Depuis, seule une étude expérimentale portant sur des élèves susceptibles de rencontrer des difficultés de lecture a été menée (Vaughn, Denton et Fletcher,

125 2010). Deux groupes d’élèves ont bénéficié d’un programme d’enseignement intensif de lecture de mots et de décodage, l’un a lu des textes fortement déchiffrables, l’autre des textes qui ne l’étaient pas, et un troisième groupe a servi de contrôle. Les résultats de cette étude soulignent l’influence significative et positive du programme d’enseignement intensif sur les apprentissages des élèves. En revanche, aucune conclusion n’a pu être tirée concernant les effets de la part déchiffrable des textes.

Notre recherche peut donc être considérée comme pionnière sur ce plan. Nos résultats valident l’hypothèse selon laquelle le rendement effectif influence les performances des élèves en décodage, en orthographe et en compréhension autonome de texte. Nous verrons dans le chapitre 6 comment nous pouvons automatiser son calcul de manière à rendre cette donnée accessible à tous les enseignants de cours préparatoire.

Chapitre 4