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LE CADRE MÉTHODOLOGIQUE

3.2 LE TRAVAIL DE TERRAIN

3.2.1 Raisons d’une enquête

Nous avons dit que cette enquête naît suite à des constatations et à des doutes surgissant de notre expérience de professeur de Fle : en tant que vacataire (malgré l’habilitation à l’enseignement) nous changeons de lycée chaque année et voyons que les élèves connaissent assez mal le français et ont une image stéréotypée de la langue et du pays. Nous nous en sommes demandé souvent la raison, malgré les heures de Fle par semaine et les années d’études.

Cette recherche, qui se concentre sur la seule province de Modène en raison des moyens et des temps limités propres à une enquête de doctorat, voudrait :

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repérer et décrire les représentations des apprenants et des enseignants ;

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vérifier si les deux se ressemblent ;

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contrôler si les représentations varient selon des paramètres (âge, genre, type d’école..) ou si elles sont standardisées chez les adolescents ;

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chercher si celles-ci sont l’effet des cours suivis ;

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recueillir des informations sur les activités menées en classe et sur les expériences à l’étranger des apprenants et des enseignants.

Notre hypothèse principale est que les représentations des apprenants de Fle sont assez vieillottes et que l’enseignement reçu par la plupart de ces apprenants est responsable de cette vision. Quelle est la part de la culture/civilisation dans la didactique du français dans le territoire de Modène (et vraisemblablement en Italie) ? Vise-t-on à un apprentissage interculturel là où le manque d’heures à consacrer à l’histoire/littérature étrangère empêche l’accès à la mentalité de l’Autre ?

Pour ce qui est de la quête des représentations en contexte scolaire, nous avons déjà souligné l’influence de ces composantes sur l’aptitude à l’apprentissage, mais, en rappelant la dimension identitaire des représentations, nous voudrions ajouter qu’étudier les représentations des adolescents peut être très important puisque

c’est souvent à cet âge que les images apparaissent le plus “stéréotypées” […]. On observe que la langue et la mentalité de l’ ”autre” [...] sont [...] stigmatisées radicalement et que, à travers ce processus de mise à distance, c’est avant tout une élaboration de l’identité propre qui est opérée (MULLER, DE PIETRO 2005 : 56). Le mouvement identitaire adolescent nous intéresse pour son intensité, mais, d’ailleurs, il rappelle l’attitude typique des groupes humains qui construisent leurs images à travers des processus négatifs, se définissant lentement à travers le choix progressif de ce qu’ils ne sont pas, en marquant leur différence de quelque chose ou de quelqu’un. Pour se définir, un individu comme un groupe ou une nation éclaircit ses caractéristiques à travers des comparaisons finalisées à trouver les différences plutôt que les similitudes. À travers ce même processus, par exemple, Edward Said explique comment l’Occident à augmenté sa force et son sentiment identitaire en s’opposant constamment à l’Orient dont il avait ontologiquement besoin, comme antagoniste (SAID 2005 : 11-13). Ce mécanisme mental, ce processus binaire, cette exigence de se reconnaître d’abord en se séparant nettement est considéré par Edgar Morin lors d’une conférence et synthétisé par l’expression « si je suis ceci donc je ne suis pas cela » (MORIN 2006).

Zarate nous rappelle en effet que les représentations de l’autre

renvoient à l’identité du groupe qui les produit [...]. Elles portent aussi en elles une lecture dynamique d’un espace social, agité par des rapports de force [...]. Les représentations ne se côtoient pas dans une relation de simple juxtaposition, mais dans un espace concurrentiel où les enjeux sont ceux d’une lutte symbolique pour la conquête d’une reconnaissance sociale et parfois politique (ZARATE 1994 : 30-1).

3.2.2 Méthodologie de notre enquête

Le choix d’une méthodologie (de recueil, comme d’analyse) est déterminé, bien entendu, par des considérations empiriques (nature de l’objet étudié, type de population, contraintes de la situation), mais aussi, et de façon plus fondamentale, par le système théorique qui sous-tend et justifie la recherche (ABRIC 1994 : 211).

Pour notre travail de terrain, nous avons utilisé l’entretien et le questionnaire, en insérant à l’intérieur de celui-ci des techniques associatives sous différentes formes (mots associés, dessins).

Nous avons commencé par des entretiens en petit groupe afin de repérer les mots clés circulant autour de nos thématiques.

Avant de nous consacrer à la description des démarches effectuées, nous répétons qu’il f a u d r a i t q u i t t e r l ’ i d é e d e “ d o n n é e s ” c l a s s i q u e s p o u r a c c u e i l l i r c e l l e d’“observables” (Blanchet 2011 : 16) non plus donc des données rigides comme celles des sciences dures dont l’objectivité n’est ni reproductible ni intéressante en sciences humaines, mais des données de recherches sous le paradigme de l’intersubjectivité.

Les sciences dures procèdent de manière hypothético-déductive en proposant au début une théorie à valider à travers une expérimentation, faite en situation contrôlée et reproductible, et utilisent des données quantitatives : elles s’appuient sur un déterminisme total qui cherche des causes et des effets. Ce modèle a déterminé l’idée courante de science et de scientificité à partir du XVIIe siècle. Les sciences humaines apparaissent comme le contraire exact : les phénomènes observés précèdent toute

théorie, l’approche est empirico-inductive, procédant par interprétations. Leur objet est l’Homme dans sa complexité et elles doivent faire face à plusieurs paradoxes, comme l’explique Morin qui nous rappelle ici la phrase célèbre de Terenzio “Homo sum, humani nihil a me alienum puto” : 83

Alors que les sciences ‘normales’, y compris cognitives, se fondent sur le principe disjonctif qui exclut le sujet (ici le connaissant) de l’objet (ici la connaissance), c’est-à-dire exclut le connaissant de sa propre connaissance, la connaissance de la connaissance doit affronter le paradoxe d’une connaissance qui n’est son propre objet que parce qu’elle émane d’un sujet (MORIN : 22).

Il s’agit donc de comprendre, de connaître, de donner du sens et de la valeur, et non d’expliquer en donnant des lois générales, en visant à une “vérité”. Il en découle que les “données”, les “observables” prévalent sur les principes et que « les constructions théoriques doivent être mises au service des données empiriques et non l’inverse » (KERBRAT-ORRECCHIONI 1998 : 58).

Voilà alors pourquoi nos entretiens sont fondamentaux pour le repérage des mots clés et des thèmes récurrents et ils nous permettent de créer un questionnaire qui ne serait ni la projection de nos idées ni une production théorique, mais au contraire un outil pensé exactement pour les exigences de cette enquête. Nos questionnaires, rédigés en langue italienne pour mettre les interviewés à l’aise et pour confirmer que notre but n’était pas celui de vérifier les compétences des personnes concernées, suivent une approche mixte, quantitative et qualitative, présentant des questions fermées et des questions ouvertes que nous illustrerons dans ce chapitre.

3.2.3 Les entretiens préalables

En psychologie sociale l’entretien, une interrelation qui a lieu dans un espace interlocutoire (GHIGLIONE 1987), permet, en tant qu’outil de recherche : la mise en ! Je suis un homme et rien de ce qui est humain, je crois, ne m'est étranger 83

(Heautontimorumenos v. 77)

relation de deux ou plusieurs individus, engendrant une certaine égalité entre les protagonistes ; un échange d’informations entre des interlocuteurs où ce n’est que dans la mesure où le sujet croit en la valeur de cet échange qu’il sera coopérant et apportera un maximum d’informations.

L’entretien implique aussi l’ouverture au changement. L’intervieweur devient autre par le fait qu’il a vécu une situation et reçu une certaine information, il se transforme du fait de cet échange.

Les entretiens préalables à notre enquête ont été fondamentaux pour repérer les mots clés et les thèmes récurrents des acteurs du Fle, de manière à pouvoir rédiger des questionnaires stimulants et essayer de ne pas y insérer machinalement nos idées sur la situation. Ces interviews semi-directives, conduites à partir d’un canevas flexible et en donnant libre cours aux réflexions des protagonistes, ont concerné 3 petits groupes d’un/deux enseignants à la fois et 1 groupe d’une dizaine d’apprenants. Nous admettons d’ores et déjà que ces groupes ne sont pas représentatifs de la situation générale : en effet tous les apprenants fréquentent un lycée linguistique, une seule enseignante concernée travaille au collège, tous les autres au lycée : comme on dira encore le long de ce travail, les conditions idéales d’enquête ne correspondent presque jamais aux réelles possibilités du chercheur et, ainsi, nous n’avons pu proposer ces entretiens qu’aux collègues les plus disponibles pour offrir leur temps et celui de leurs apprenants. Dans ce cas, nous avons eu soin de demander la composition d’un groupe assez varié en ce qui concerne l’âge, les résultats scolaires et leurs antécédents par rapport au français langue étrangère.

Tous les entretiens, effectués et traduits entre janvier et mars 2012, ont été vidéo enregistrés pour éviter de bloquer la communication à travers la prise de notes ; nous sommes bien conscients du fait que l’enregistrement peut lui aussi modifier la conversation et notre choix est assumé : après avoir considéré les risques dans les deux cas, nous avons choisi la méthode la plus fluide et l’outil qui pourrait le plus aisément être oublié une fois le discours commencé. On a demandé aux parents la permission de filmer les apprenants selon les dispositions de la loi italienne , en précisant la nature 84

Document en annexe. 84

de l’interview et en assurant l’anonymat, tout comme l’utilisation des tournages aux seules fins de l’enquête.