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LE CADRE THÉORIQUE

2.1 LA PSYCHOLOGIE SOCIALE ET LES REPRÉSENTATIONS SOCIALES

2.1.1 Histoire d’un concept, définitions, caractéristiques et fonctions

Avant de présenter notre enquête il est nécessaire d’expliquer ce que nous avons cherché, pourquoi et comment.

Isoler une définition précise, communément reconnue de représentation sociale n’est pas simple puisque tous les chercheurs qui s’en occupent offrent un point de vue différent. Nous croyons alors utile de donner une brève histoire du concept, d’offrir plusieurs descriptions des représentations selon les domaines d’études envisagées et de cerner la notion à travers l’illustration de ses caractéristiques fondamentales, des mécanismes de fonctionnement ainsi que des tâches.

De nombreuses disciplines, comme la psychologie sociale, l’anthropologie, l’ethnologie utilisent le concept de représentation, concept qui apparaît à la fin du XIX" siècle. Nous nous concentrerons surtout sur les études françaises (ou francophones) des représentations sociales, dans le domaine de la psychologie, de la sociologie et de la sociolinguistique.

C’est Émile Durkheim (1898) qui décrit pour la première fois les représentations collectives : pour le sociologue leur rôle est de maintenir les liens entre les membres

d’un groupe ; en effet elles sont partagées par la totalité de la communauté et, contrairement aux représentations individuelles, elles ont un caractère relativement fixe, ce qui garantit leur transmission à travers les générations. Il s’agit ici de la naissance d’un « objet d’étude autonome » (BOYER 2003 : 10) qui sera reprise et développée beaucoup plus tard par la psychologie sociale.

Serge Moscovici proposera en 1961, la notion de “représentation sociale” pour accentuer la dimension dynamique et interactionnelle des représentations et circonscrire le concept en créant le cadre théorique de référence. Même si « chez Durkheim, la représentation désigne, en priorité, une vaste classe de formes mentales (sciences, religions, mythes, espace, temps), d’opinions et de savoir sans distinction » (MOSCOVICI 1989a : 82) et désigne une pensée sociale par rapport à la pensée individuelle, il serait erroné de considérer la représentation sociale comme la somme des représentations des individus. Selon Moscovici, il faut bien comprendre que la société, comme l’individu, pense et que les représentations sociales constituent

un système de valeurs, de notions et de pratiques relatives à des objets, des aspects ou des dimensions du milieu social, qui permet non seulement la stabilisation du cadre de vie

des individus et des groupes, mais qui constitue également un instrument d’orientation de la perception des situations et d’élaboration des réponses. (MOSCOVICI 1961 : 302 - notre italique)

Une représentation assure donc « la base fondamentale des jugements humains » (BONARDI, ROUSSIAU 1999 : 12), elle est en même temps statique et dynamique, comme le précisent Jodelet et Rouquette & Rateau, ces derniers soulignant surtout l’historicité d’une représentation :

La pensée des individus se fonde en permanence sur un héritage et se déploie dans un espace collectif […]. Nul n’est besoin à chacun de fabriquer la totalité de ses outils de connaissance […]. La société est déjà là lorsque l’action commence, toujours là lorsque l’action se développe, et l’Histoire n’en finit pas de peser.[…]

L’individu n’est rien sans la société qui l’invente et lui offre un champ balisé pour son action, ses illusions et son destin. (ROUQUETTE & RATEAU 1998 : 27-28)

Les représentations seraient alors des théories spontanées (MUCCHIELLI 2001 : 93) pour faire face aux situations de la vie. Denise Jodelet définit les représentations comme

une forme de connaissance, socialement élaborée et partagée, ayant une visée pratique et concourant à la construction d’une réalité commune à un ensemble social. Également désignée comme savoir de sens commun ou encore naïf, naturel, cette forme de connaissance est distinguée, entre autres, de la connaissance scientifique. (JODELET 1989 : 36 - notre italique)

De cette manière les représentations permettent la (re)construction du réel et, vu leur caractère naturel, les individus finissent très souvent pour les considérer comme la réalité, sans percevoir leur influence, puisqu’en effet « nous percevons d’autant moins cet héritage intellectuel et matériel qu’il s’identifie pour nous à la vérité même du monde » (ROUQUETTE & RATEAU 1998 : 17).

Les représentation, en tant qu’elles construisent une organisation du réel à travers des images mentales, elles-mêmes portées par du discours ou d’autres manifestations comportementales des individus vivant en société, sont incluses dans le réel, voire sont données pour le réel lui-même. Elles s’appuient sur l’observation empirique de la pratique des échanges sociaux et fabriquent un discours de justification de ceux-ci qui met en place un système de valeurs, érigé en norme de référence. Ainsi est construite une certaine catégorisation sociale du réel qui témoigne à la fois du rapport de “désidérabilité” que le groupe social entretient avec son expérience de la quotidienneté, et du type de commentaire d’intelligibilité du réel qu’il produit, sorte de métadiscours révélateur de son positionnement. En bref, les représentations témoignent d’un désir social, produisent des normes et révèlent d’un système de valeur.

Or, si les savoirs de connaissance et de croyance se construisent à l’intérieur de ce processus de représentations, on voit à quel point la frontière entre les deux est difficile à déterminer. (CHARAUDEAU 1997 : 47 - notre italique) . 52

Cette notion aide donc à concevoir la compréhension du monde de la part des individus : ils ne s’appuieraient ni sur la réalité objective, ni sur les expériences individuelles, mais sur les représentations sociales construites à travers des interactions. Une représentation naît à partir d’un objet, abstrait ou concret ; les représentations aident les individus à (re)créer une réalité sociale : elles rendent compréhensibles les objets inconnus ou mal connus ; elles transmettent des connaissances pratiques, permettant d’agir sur le monde.

Moscovici précise que

L’individu subit la contrainte des représentations dominantes dans la société, et c’est dans leur cadre qu’il pense ou exprime ses sentiments. Et ces représentations diffèrent selon la société dans laquelle elles prennent naissance et sont façonnées. Chaque type de mentalité est distinct et correspond à un type de société, aux institutions et aux pratiques qui lui sont propres (MOSCOVICI 1989a : 84 - notre italique)

En psychologie sociale les recherches sur les représentations sociales sont menées selon deux directions : leur structure et organisation d’un côté, leur fonction de l’autre. Dans le premier volet nous trouvons par exemple Abric (1994), Flament (1994), Rouquette et Rateau (1998) qui ont élaboré la théorie du « noyau central » et du « système périphérique » pour expliquer le caractère stable et en même temps flexible des représentations sociales : si d’un côté le noyau contient les lignes fondamentales et caractéristiques d’une représentation, de l’autre il y a une série de traits accessoires, modifiés selon les contextes et les situations, composant le système périphérique et permettant à une représentation de s’adapter aux nouveautés. Voilà alors que les représentations peuvent évoluer, même si très lentement.

Moscovici, lui aussi, conçoit la réalité sociale comme « mi-physique, mi-imaginaire » (1984 : 7). 52

Selon Moscovici (1961) les représentations se créent et travaillent selon deux “mouvements”, objectivation et ancrage. Le processus « d’objectivation » vise à « rendre réel un schéma conceptuel » (MOSCOVICI 1961 : 107-109) et procède en trois étapes : 1. triage des caractéristiques d’un objet en choisissant non les plus complètes, mais les

plus faciles à la compréhension de l’objet, selon les valeurs sociales et culturelles ainsi que selon les représentations préexistantes. Ces informations deviennent la propriété de l’objet ;

2. ensuite il y a l’effacement des traits plus conflictuels pour figer les informations restantes dans un schéma figuratif ;

3. enfin la naturalisation transforme les éléments du schéma en éléments de la réalité de sorte que « les idées ne sont plus perçues comme des produits de l’activité intellectuelle de certains esprits, mais comme les reflets de quelque chose d’existant à l’extérieur » (ibid. 109), quelque chose de vrai.

« L’ancrage » est le processus successif et consiste à lier la nouveauté à ce qui est connu, à l’insérer dans notre schéma de catégories en adaptant à ce schéma l’élément nouveau. En nommant et en classant un objet nous pouvons l’imaginer, le représenter ; la représentation se manifeste en effet en système de classification et de dénotation, d’attribution de catégories et de noms (MOSCOVICI 1989b : 52). Classer quelque chose signifie choisir un prototype, un modèle parmi ceux présents dans notre mémoire, y insérer l’objet et le limiter à un stock prédéterminé des comportements et des règles.

Toujours d’après Moscovici (1961), une représentation sociale implique trois dimensions :

L’attitude, une disposition générale, positive ou négative envers l'objet de la représentation ;

L’information, les connaissances sur l’objet de la représentation ; elles peuvent être plus ou moins abondantes, hétérogènes, exactes ou stéréotypées ;

Le champ, l’organisation de ces informations qui constitue le coeur de la représentation, formée d’éléments cognitifs et affectifs en même temps.

Parmi les études concernant le rôle principal des représentations et leur nature Jodelet (1995 : 362) insiste sur la dimension sociale des représentations et indique comme leur but principal la création d’un « savoir commun ».

Les représentations sociales sont des modalités de pensée pratiques orientées vers la communication, la compréhension et la maîtrise de l’environnement social, matériel et idéal (ibid. 361).

Pour exister, une représentation sociale nécessite :

✴ d’un objet (pouvant être une personne, une chose, un fait, une idée, etc., donc un objet réel et/ou imaginaire, mythique);

✴ d’un contexte discursif et d’un contexte social qui sont les vecteurs de la communication.

Nous pouvons aussi dire que les représentations possèdent les qualités de vitalité, transversalité et complexité (JODELET 1989 : 55) et décrire leurs fonctions en précisant qu’elles :

-

guident les comportements et les relations sociales selon le respect des valeurs du groupe d’appartenance, définissant « ce qui est licite, tolérable ou inacceptable dans un contexte social donné » (ABRIC 1994 : 17) ;

-

simplifie la communication permettant aux individus de rendre la réalité intelligible en insérant toute nouveauté dans le cadre des valeurs du groupe ;

-

permettent la connaissance du monde et du milieu social, en reconduisant ce qui est nouveau, étranger, inquiétant à ce qui est connu, commun, familier ;

-

facilitent la construction d’une identité sociale dans laquelle les personnes se reconnaissent, s’insèrent elles-mêmes dans un groupe, dans une catégorie et les autres dans des catégories différentes ;

-

légitiment les actes et les idées des individus.