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LE CADRE THÉORIQUE

II. Dans la deuxième strate, moins stable, changeante nous trouvons :

2.3 L’AVÈNEMENT DE L’INTERCULTUREL ET DU PLURILINGUISME

2.3.1 Définir la culture et la civilisation

Les chercheurs qui s’occupent de l’enseignement des langues selon une visée culturelle se sont penchés sur l’analyse des manuels et sur le repérage des représentations des apprenants pour comprendre leur capacité de faciliter ou de bloquer le rapport avec la langue étrangère. La réflexion veut donc approfondir le lien entre représentations et stéréotypes pour accéder à une compétence de communication ethnosocioculturelle.

Mais qu’est-ce qu’on entend par le mot culture ? Quelle acception assume-t-il en didactique ? Et le mot civilisation ? Un petit détour dans le domaine historique, anthropologique et sociologique se rend nécessaire pour répondre.

Dans l’ancien français le mot culture désignait un champ labouré et ensemencé et ce n’est pas un hasard si l’historien Jacques Le Goff explique ainsi la différence entre culture et civilisation :

La civilisation repose sur la recherche et l'expression d'une valeur supérieure, contrairement à la culture qui se résume à un ensemble de coutumes et de comportements. La culture est terrestre quand la civilisation est transcendante. La beauté, la justice, l'ordre… Voilà sur quoi sont bâties les civilisations. Prenez le travail de la terre, la culture va produire de l'utile, du riz, là où la civilisation

engendrera de la beauté, en créant des jardins. (JACQUES LE GOFF, interviewé par Nicolas Truong, Le Monde 21 janvier 2014 ). 57

En 1871 l’anthropologue anglais Edward Burnett Tylor est l’un des premiers à définir la culture dans son essai Primitive Culture:

Culture, or civilization, taken in its broad, ethnographic sense, is that complex whole which includes knowledge, belief, art, morals, law, custom, and any other capabilities and habits acquired by man as a member of society (TYLOR 1871 : 1)

Nous voyons que “ce tout complexe comprenant à la fois les sciences, les croyances, les arts, la morale, les lois, les coutumes et les autres facultés et habitudes acquises par l’homme dans l’état social” peut être appelé indifféremment culture ou civilisation selon cet auteur et, d’ailleurs, la traduction française de son ouvrage aura pour titre La civilisation primitive (1876, Paris, Reinwald).

Aux États-Unis l’anthropologie devient une véritable science de la culture et on parle en effet d’anthropologie culturelle, opposée à l’anthropologie physique qui étudie le développement du corps humain (ROCHER 1992 : 101). Par la suite le terme culture est emprunté par les premiers sociologues américains alors qu’en France il entre avec plus de difficulté dans le vocabulaire scientifique pour s’affirmer définitivement dans le deuxième après-guerre.

Selon les historiens allemands, on peut inclure dans la culture tous les moyens collectifs à la disposition de l'homme ou d’une société pour dominer et modifier le monde environnant, et donc la science et la technologie. La civilisation par contre indique l'ensemble des moyens collectifs auxquels l'homme peut faire appel pour exercer un contrôle sur lui-même, pour s’ennoblir intellectuellement, moralement, spirituellement. Les arts, la philosophie, la religion, le droit sont alors des faits de civilisation (ROCHER).

http://www.lemonde.fr/livres/article/2014/01/21/jacques-le-goff-la-beaute-la-justice-l-ordre-voila-sur-57

quoi-sont-baties-les-civilisations_4352034_3260.html 81

D’autres ont postulé exactement l’inverse : les moyens utilisés à des fins utilitaires et matérielles sont catégorisés comme civilisation vu l’effort rationnel qu’ils exigent pour être employés et le progrès qu’ils amènent ; les aspects désintéressés et plus spirituels de la vie découlant d’une pensée pure, de l’idéalisme, de la sensibilité sont désignés sous l’étiquette culture. Les Américains adoptent généralement cette dernière distinction, mais il faut dire que, globalement, les anthropologues et les sociologues s’abstiennent d’utiliser le mot civilisation ou utilisent “culture” dans le même sens en estimant leur équivalence . Parfois on parle de “civilisation” pour 58 indiquer un groupe de cultures possédant des traits en commun (par exemple, civilisation occidentale), pour d’autres encore le mot “civilisation” désigne des sociétés pouvant vanter un certain niveau de progrès scientifique et technique. Dans ce dernier cas, le terme assume une valeur évolutionniste et a été utilisé en tant que concept théorique sur la base duquel justifier et même louer les aventures coloniales.

La “culture” a, de son côté, certaines caractéristiques :

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elle pourrait être décrite dans un premier temps comme un ensemble de « manières de penser, de sentir et d’agir » (DURKHEIM 1894) ;

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ces façons de penser et de sentir peuvent avoir différents degrés de formalisation (rites, cérémonies, lois..) ;

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le trait essentiel qui constitue une culture est cependant le fait que ces “habitudes”, ces règles de vie, soient partagées, communes à un groupe de personnes les considérant idéales ou normales, leurs règles de vie, peu importe l’extension du groupe même ;

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enfin la culture n’est pas transmise, héritée de manière biologique ou génétique, mais relève de l’apprentissage et a été correctement définie comme « tout ce qu'un individu doit apprendre pour vivre dans une société particulière » (ROCHER 1968 : 113)

La culture construit, définit, délimite une collectivité à un niveau concret et symbolique. Dans le premier cas, les manières de sentir, penser et agir construisent des liens réels et sont à la base de sentiments comme la solidarité sociale (DURKHEIM) et le consensus de la société (COMTE). Symboliquement, la culture offre tous les

Par exemple Claude Lévi-Strauss parle de “civilisations primitives” dans Du miel aux cendres (1967) 58

symboles rendant possible la communication (le langage, les règles de vie…) et construisant l’identité de l’individu et des groupes. C’est donc un « ensemble lié » qui découle de la culture, un système dont les éléments sont interdépendants et cohérents, ce qui ne veut pas dire logiques, mais vécus comme cohérents par les membres d’un groupe qui, eux, perçoivent leur culture comme un système.

Rocher expose les fonctions psychosociales de la culture : elle regroupe une collectivité en rendant plus complexes les liens naturels (par exemple du lien de sang à la notion de parenté, à la prohibition de l’inceste et de la cohabitation dans un territoire à la construction de l’idée de nation et de patrie) ; la culture en outre façonne, confère une forme à la personnalité en offrant des modèles de pensée, des connaissances, des idées, des manières d’exprimer les sentiments et les émotions. Pourtant ce « moule » (ROCHER 1992 : 125) qu’est la culture n’est pas fixe et autorise les adaptations individuelles, « au surplus, la culture offre des choix, des options entre des valeurs dominantes et des valeurs variantes » (ibid.)