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5. Etre un médecin malade

5.3. Le ressenti de l’influence du statut de patient

A la question de savoir ce que le fait d’être médecin a pu changer dans les rapports aux autres et dans les soins, plusieurs sentiments ont émergé. Les médecins ont tous un avis, qui parfois varie selon leur interlocuteur : un confrère ou un professionnel paramédical. La passivité de cette influence est importante, le médecin n’ayant pas de lui-même incité à une modification.

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5.3.1. Un statut avantageux

Cette position a pu être vécue de façon positive. L’idée d’appartenir à un même milieu a facilité ou simplifié les rapports.

« Sachant que j‘étais un soignant, ça permettait de discuter. Je l’ai vécu comme quelque chose de

positif par rapport aux soignants plutôt que quelque chose de négatif qui les aurait embarrassés »

Dr C

« Et sinon, avec l’hématologue, avec lui, il y avait une certaine proximité du fait de ma profession, ça

n’a pas du tout été un écran ou un motif pour… ça n’a pas du tout posé de problème » Dr C

« Je sentais qu’il y a avait de la part des infirmières qui faisaient mes chimios, une attention

particulière mais pas parce qu’elles avaient peur de soigner un médecin, parce que j’étais du métier, plutôt dans ce sens-là, ça je l’ai senti. Ça n’a pas du tout été une complication, au contraire, ça a facilité plutôt les choses » Dr C

« Quand on discute de médecin à médecin c’est beaucoup plus facile » Dr B

« J’ai cherché à entrer en contact avec elle qui m’a répondu très gentiment et très simplement » Dr K

5.3.2. Un statut qui pose des difficultés

Quel que soit leur rôle dans les échanges, chacun a pu ressentir un embarras. Une barrière imaginaire semble exister : celle entre le médecin et l’infirmière et celle entre le médecin soigné et le médecin soignant.

« Pour moi, c’est un vrai exercice de mettre à distance le fait que je connaisse le praticien que je vais

voir » Dr K

« Quand tu es interne tu as beaucoup plus de contact avec les médecins, avec les chefs, tu peux

toujours demander un conseil. Moi comme généraliste, c’est plus gênant au téléphone… » Dr D

Au sujet du diagnostic de lymphome : « Il m’a opéré le matin et il est venu me voir le soir, il est venu

me voir le soir, les épaules tombantes comme ça, Dr G qui est un type très gentil, qui était certainement très embêté de m’annoncer ça » Dr C

« Le bébé faisait d’énormes bradycardies donc il avait sorti la euh la… ventouse, il disait « il faut la

sortir, il faut la sortir ». Je pense que ça l’a stressé que ce soit moi. Je pense » Dr J

« Les jeunes infirmières quand elles venaient et qui savaient que j’étais docteur, c’est marrant, elles

n’arrivaient pas à me faire de prise de sang (rires) » Dr B

« Je pense que si d’une certaine façon, je pense que pour le médecin, il y a une gêne des infirmières,

peut-être…une peur voilà » Dr D

« Le personnel, les infirmières, je pense, sont intimidés euh... et que ça peut perturber un peu la

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« C’est sûr que de recevoir un confrère, c’est pas facile, on peut comprendre » Dr A

5.3.3. Un statut désavantageux

La position de médecin semble perturber les relations qui s’établissent habituellement avec les soignants, créant une asymétrie entre les deux parties. Mais le médecin peut aussi attendre quelque chose de précis de son interlocuteur, qu’il n’obtient pas.

« E qui m’a opérée m’a dit « ah voilà un grand docteur qui visite un petit docteur ». (Elle ouvre grand

les yeux) Comme ça... je te jure... Ça a été … donc pas sympa » Dr K

« Elle est restée comme ça, elle n’a pas osé donner son avis par rapport au chef de service. Et du

coup, je ne l’ai pas rappelée, je n’ai rappelé personne. Je lui ai dit « est-ce que tu peux essayer de voir ? » parce que moi je ne connaissais pas, elle ne m’a pas donné le renseignement » Dr D

« J’ai vu le chirurgien. Alors le chirurgien, ça s’est pas très bien passé parce que moi je je le

connaissais en tant que médecin correspondant […] J’y suis allée avec mon mari et il ne nous même pas fait asseoir, on ne s’est pas assis. On ne s’est pas assis. Parce qu’on le sentait très anxieux, très... […] Surtout quand je suis sortie, je me suis dit « mais euh, il ne m’a même pas fait asseoir, il m’a fait directement allonger sur la table et m’a dit « il y a un ganglion » » tout de suite, pfff redouche froide. « Euh… bon on va quand même essayer de… d’enlever que la tumeur et on verra » […] Et il m’a nommé par mon nom d’exercice […] Il n’a pas regardé le dossier. Je pense qu’il n’a pas su faire » Dr

A

« Et si toi tu es sincère dans ton rapport à ton patient, les autres ne sont pas forcément sincères dans

leur rapport au patient. C’est aussi ça que j’ai aussi ressenti » Dr K

« Il m’a dit que quelqu’un lui avait dit, la technique c’est MYA : Move Your Ass. Bouge-toi le cul, tu

vois. Alors quand il m’a dit ça, je me suis dit « c’est tellement nul de dire ça à quelqu’un de déprimé » c’est la réaction que tout le monde a gentiment, en disant « change-toi les idées, va au cinéma » […] Peut-être que c’était une maladresse de sa part mais je l’ai vraiment pris comme ça, bon c’est vraiment pas la peine d’aller voir un psychologue pour entendre des trucs comme ça » Dr E

« J’ai été voir une fois un médecin généraliste pour lui déballer tout, en lui disant est-ce que je ne suis

pas en train d’oublier quelque chose, ça fait du bien d’avoir un regard un peu extérieur, donc j’ai été voir mais ça l’a plus embêté qu’autre chose » Dr E

« Je pourrais même dire que pour le sondage urinaire c’était même plutôt… l’infirmière était un petit

peu stressée de sonder un médecin (rires), c’était plutôt en ma défaveur » Dr L

« Justement d’être médecin, pour moi c’est un handicap, vis-à-vis du personnel parce que je les

comprends. « Ah c’est un médecin, il va nous compliquer la vie, il va ... ». Elles le perçoivent, j’ai l’impression, négativement » Dr F

« Pendant la chirurgie bah… pas très bien parce que là, elles ont eu l’information que j’étais

médecin. En neurochir… ah oui, avec une aide-soignante ça s’est vraiment pas bien passé, non... »

Dr K

« Quelque chose me dit que j’étais plutôt un peu moins bien traité que la moyenne. C’est mon

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« Alors je me suis demandée, est ce qu’ils sont au courant est-ce qu’ils savent que je suis médecin ou

pas, parce que je trouvais que l’information n’était pas très bonne à ce moment-là » Dr A

5.3.4. Un statut particulier

Trois médecins ont ressenti une prise en charge différente, sans qu’ils ne la jugent positivement ou négativement.

« C’est compliqué parce qu’en fait lorsqu’on va voir un confrère euh on n’est pas forcément

considéré comme un patient lambda » Dr H

« Alors que si j’avais été un véritable patient, je ne pense pas qu’ils auraient dit le mot cancer tant

qu’ils n’avaient pas la preuve formelle, pas l’anapath » Dr L

« Le jour de l’accouchement, j’ai pas été prise en charge comme tout le monde. Je suis sûre » Dr J Au sujet d’une hospitalisation dans son propre service : « Les filles étaient sympas, euh… elles étaient

sympas mais ça aurait pu les mettre en difficulté » Dr K

« Le fait que je remplace, je pense que ça les a peut-être un peu poussés à m’arrêter plus vite que si

j’avais fait un boulot dans un bureau » Dr A

« J’ai pas eu de réunion pluri disciplinaire, ça a été d’emblée hop, de médecin à médecin. Alors que si

j’avais été un simple patient, on aurait eu une réunion pluri disciplinaire, on aurait discuté le pet scan, on aurait dit « bon contrôle dans 3 mois », ou je ne sais pas » Dr L

« Je ne sais pas s’ils avaient fait la même chose si euh si je n’avais pas été médecin. Il est possible

qu’ils ne soient pas précipités pour m’opérer » Dr L

« C’est patient éclairé/médecin » Dr G

5.3.5. Un statut indifférent

Certains médecins n’ont pas perçu de différence du fait de leur profession. En revanche d’autres ont apprécié d’avoir été reçus de façon neutre.

« Il m’a examiné, vraiment, comme un médecin, il m’a… j’ai amené mes radios, il a examiné mes

radios » Dr G

« Il a fait comme si j’étais un patient normal » Dr C « Elles étaient sympas, j’ai eu aucun problème » Dr D

« C’est ça que j’apprécie aussi, c’est le côté que je sois un patient, je n’ai pas de passe-droit » Dr I « C’est pas parce que je suis médecin que je vais utiliser mon droit euh j’ai pas un droit supérieur aux

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« Je suis pour chacun à sa place donc je suis très bien avec euh le personnel soignant, les

infirmières » Dr I

« - Ils savaient que vous étiez médecin ? […] Ça a changé quelque chose ? (question de l’enquêteur)

- Non, je crois pas » Dr G

« C’est complètement anonyme, déshumanisé, ah oui, alors médecin ou pas, ils n’en ont rien à foutre

eux » Dr F