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mon associé s’est trouvé tout seul avec des remplaçants Avec un remplaçant un peu attitré, un

GUIDE D’ENTRETIEN

M, mon associé s’est trouvé tout seul avec des remplaçants Avec un remplaçant un peu attitré, un

peu comme toi mais il n’était pas pressé de s’installer et ça a demandé… Enfin la commune avait décidé de faire un cabinet pour 4 médecins, donc le temps que ça se fasse tout ça, le gars attendait.

C’est le Dr L ?

Oui. Donc là le cabinet s’est fait. Il a fallu vraiment se battre pour qu’il se fasse enfin là où il est, parce qu’il voulait le faire dans la zone artisanale dans un coin un peu perdu. Et puis donc, ça s’est fait. Mon successeur a fini par euh par prendre toutes les dispositions pour s’installer avec M et 2 jeunes femmes qui s’installaient et puis Mme T.

C’est un joli cabinet.

Il y a un dentiste qui s’est installé et qui avait demandé à ce qu’il y ait 2 fauteuils et il y a un autre dentiste est arrivé. Et il y avait une pédicure mais malheureusement, elle est décédée. Il y en a une autre qui est arrivée là. Donc tout est pris, la commune gagne de l’argent hein, c’est ce qu’on leur avait expliqué. Si tout de suite nous on a du monde à vous proposer, mais c’est peut-être en dehors du sujet…

Non, non…

Mais on a du monde à vous proposer, on a des gens prêts à s’installer puisqu’il y avait deux jeunes médecins qui voulaient s’installer. Evidemment, je ne pouvais pas faire d’emprunts, Mme T avait des problèmes de santé, mon associé aussi donc pas question de faire d’emprunts quoi, c’était pas possible.

Il y a aussi la question financière aussi derrière.

Oui, de toute façon, si on ne peut pas faire d’emprunts, on ne peut pas installer un gros cabinet comme ça.

Donc ceux qui sont dedans là louent à la mairie ?

Oui voilà. Et tout est occupé.

Oui j’imagine.

Ce dont ils avaient peur c’était se retrouver avec un truc vide. Là, tout est occupé donc c’est rentabilisé et en plus, c’est… c’est un service pour la commune, pour le canton. Même pour ville V…

Euh qui vous suit au niveau cardiologique ?

J’ai un cardiologue, c’est un copain de mon fils, qui s’appelle Dr M, qui est à ville C.

Je le connais. Les patients vous ont dit quoi quand ils ont su que vous étiez en arrêt ?

Quand je suis parti avec les pompiers, il y en a une qui courait après en disant « et moi docteur, qu’est- ce que je vais devenir ? » (rires). Elle courait après le camion (rires). Surtout quand… Ils demandent beaucoup de nouvelles de la santé. Ils étaient inquiets et perturbés. Ça se comprend… Et puis évidemment, il y a beaucoup de regrets, de souvenirs en commun... Beaucoup… « C’était bien mieux quand vous étiez là », c’est toujours comme ça. C’est vrai que c’était mieux parce que c’était la belle époque de la médecine générale où les médecins étaient beaucoup plus libres, où on était tout le temps disponible. Evidemment cette époque-là est révolue donc pour eux, quand je suis parti… tout a changé. Les jeunes qui se sont installés ne voulaient plus du tout travailler comme comme moi.

Vous aviez des horaires qui étaient énormes.

Oui, c’est ça.

Là, vous êtes toujours suivi par le cardiologue ?

Oui.

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Non, il y en a un qui a commencé, puis c’est dommage, non remarque, il avait pas envie. En fait quand il a vu la charge de travail et tout, bah il a reculé. Il faisait la première année, puis il avait un partiel en milieu d’année ou je sais pas quoi, il avait des très bonnes notes, il s’est dit « merde, je vais être pris » (rires). Alors là ça l’a travaillé vachement. Du coup il a arrêté tout. Puis il a voulu faire pharmacie mais c’était encore pire, ça l’intéressait pas du tout. Donc il est parti dans le commerce là maintenant. Il est vraiment dans le commerce, il travaille chez E, il s’occupe de la gestion de l’interface entre les mutuelles et les fabricants. Parce que ça c’est compliqué.

Comment ils ont vécu ça eux? Ça a dû leur faire peur ?

Oh oui bien sûr.

Et votre femme aussi?

Faudrait lui demander mais... C’est sûr qu’ils étaient inquiets et puis c’était surtout les circonstances, c’était pas vraiment... C’était une période difficile à négocier à tout point de vue. Du fait de la maladie, avec M, on s’entendait bien, on était à la fois confrères, amis et tout, c’était...

Ça tombait mal ?

Ça tombait mal, c’est comme ça qu’on fait un infarctus. Mais j’avais déjà de l’angor d’effort qui était traité. Enfin pour te dire que c’est quand même… que c’est étonnant, on peut passer à côté. Le matin, j’étais parti sur la plage… Je faisais toujours une course à pied le dimanche matin enfin quand j’avais un WE. Donc le dimanche matin donc l’après- midi j’ai fait l’infarctus, le matin j’étais sur la plage de ville C, entre ville C et ville Q. Donc je partais vers ville C, là où il y a la maison qu’on appelle la maison J… Il y avait du vent de nord, il faisait pas chaud, j’ai couru, j’ai fait l’aller et retour, ça fait presque 10 km et j’ai eu aucune douleur… (ton étonné).

Vous étiez médecin des pompiers à l’époque ?

Oui, aussi.

Il a fallu arrêter après ça ?

Oui. Je ne pouvais plus me déplacer, donc fallait pas faire les urgences non plus, là ça aurait pu être… Aller sur une urgence et faire une douleur thoracique, ça complique tout. Je préférais rester à la maison.

Dès le premier infarctus vous avez arrêté ?

Oui j’ai arrêté de faire, mais pas médecin de pompiers parce qu’il y a quand même les consultations, il y a tout ce qui est paperasse et tout… oui, il n’y a pas que les interventions. Et à cette époque-là, il y avait le SMUR qui était arrivé. On n’était plus tout seul. Il y avait le SMUR à ville V.

Par rapport à vos patients, le fait d’avoir été malade, ça a changé quelque chose ?

D’avoir été malade… Alors là je ne me souviens pas. Je travaillais moins, j’essayais de travailler moins.

Et par rapport à la prise en charge des patients ?

Si, ce qui était euh enfin ce qui était dur c’était… Quand on a des bêta-bloquants, on est quand même diminué. Ce qui était dur c’est d’être obligé de travailler quand on sait qu’on n’est pas vraiment capable de le faire quoi. C’est-à-dire, on met quand même un peu en… On… Il a des moments où pffff, tu voudrais dire « écoutez messieurs dames, j’en peux plus je vais partir une heure parce que je n’en peux plus quoi » mais ça c’est pas possible. Tu sais que quand tu vas revenir une heure après, ça va être encore plus le bazar. Mais il y avait des moments, on voyait des gens, pfff, bah oui c’est sûr qu’on les soignait pas bien, ça c’est sûr.

Vous n’étiez pas plus prudent pour tout ce qui était cardiaque pour les patients ?

Bah oui c’est sûr que ça éveille davantage… au diagnostic. Bon… J’étais quand même déjà âgé, j’avais déjà beaucoup d’expérience le dessus.

Est-ce que ça a changé quelque chose sur votre vie en dehors du travail ?

A côté euh… Ca diminue. On ne peut plus courir comme on veut. On a toujours peur… Avant je faisais beaucoup de bateau, on a toujours peur… Moi j’aimais bien faire du bateau mais tout seul. On a toujours peur d’être coincé. Quand on va quelque part, on se dit « oh bah oui mais est-ce que je ne vais déranger du monde si il nous arrive quelque chose », on est toujours inquiet.

C’est resté dans un coin de votre tête ?

Oui

Encore maintenant ?

Oh oui, oui.

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Oh je fais des épreuves d’effort. Ça va sauf que je ne peux pas faire de gros efforts quoi.

(Silence)

Et pour l’entretien de tout votre terrain ? Il y a l’air d’avoir de la surface.

C’est énorme comme travail, mais il faut que j’évite de faire de gros efforts. Parfois bah on est amené à le faire quand même parce qu’on est en danger, une branche qui va tomber. En plusieurs fois, on y arrive quand même.

Ça ne vous manque pas le cabinet ?

Maintenant non, ça fait… mais au début oui énormément. Oui ça manque énormément, quand on est habitué à voir plein de monde, à ... Et encore j’ai du mal à… Je suis habitué à travailler vite. Alors soit je me raisonne, je fais vraiment lentement minutieusement. Sinon, bah il y avait beaucoup de choses à faire. Le matin, quand je commençais, quand c’était la grippe, il y avait parfois 15 visites, donc il fallait régler vite les problèmes quoi. Donc je suis toujours dans cet esprit-là, j’ai du mal à me débarrasser de ça... Si il y a quelque chose à faire, il faut que ça se règle vite... Alors que j’ai du temps mais non. On reste toujours avec un peu de pression.

L’habitude est restée.

Oui

Euh est-ce que vous voyez d’autres choses à me raconter ?

Bah c’est la solitude face à la maladie aussi... c’est qu’on est… C’est sûr que quand on est malade, on est tout seul, personne ne va faire votre travail à votre place. Je parle de l’immédiat quoi, quand ça vous tombe dessus.

Le fait d’être médecin, c’est euh un avantage ou à l’inverse, il y a des inconvénients ?

L’avantage ce que pour le diagnostic et la conduite à tenir, on sait ce qu’il faut faire et ne pas faire. Mais d’un autre côté, c’est un travail qui n’est pas fait pour guérir les problèmes cardiaques quoi. C’est le stress tout le temps donc...

Par rapport aux médecins et infirmiers de l’hôpital, ça a changé quelque chose que vous soyez médecin ?

Oui forcément hein parce que... Quand on discute de médecin à médecin c’est beaucoup plus facile. Avec les infirmières c’est euh… plus… facile quoique. Là

le problème que j’avais vu, c’était quand j’avais eu une hernie discale dans le cou, j’avais été opéré. Les jeunes infirmières quand elles venaient et qui savaient que j’étais docteur, c’est marrant, elles n’arrivaient pas à me faire de pris de sang (rires). (Sa femme me propose à boire puis s’en va.)

Sinon pour parler oui. Pour les gestes techniques qu’on se croit inférieur parce qu’on est… Quand on est médecin, on discute de médecin à médecin mais quand on est une infirmière, ah bah oui c’est « docteur » c’est un chef, alors il y a une espèce de panique chez certaines. C’était ce que je voyais mais ça me faisait plutôt rigoler.

Vous l’avez dit que vous étiez médecin ? Vous ne l’avez pas gardé pour vous ?

Oh non, de toute façon tout le monde savait. Il vaut mieux pas le cacher, parce que… ça met les gens mal à l’aise si on le cache. Par contre il y a un endroit où il ne faut pas dire qu’on est médecin, c’est quand on va en vacances quelque part quoi. Si tu vas dans un centre de vacances par exemple et que tu dis que tu es médecin. J’étais allé faire un stage de thalasso parce que j’ai pas mal de douleurs tout ce qui est rhumatisme et il y avait un médecin qui était là aussi à faire la même chose que moi à la thalasso et on en discutait tous les deux. Alors évidement nous on était médecin, on savait tous les deux qu’on était médecin et il me dit « pfff toute ma carrière, ça a été ça, si j’allais quelque part, si jamais ils réussissaient à savoir que j’étais médecin, j’étais foutu, mes vacances étaient gâchées, il n’y a avait plus qu’à partir ». Ah bah il y a toujours un gamin qui a un pet de travers. Ça tourne toujours autour de… « j’ai eu ça, je prends tel médicament ». C’est toujours du médical.

Est-ce qu’il y a d’autres choses à dire ?

Sur la maladie en général ?

Oui et sur le vécu de l’infarctus.

Sa femme arrive dans la pièce et prend part à la discussion.

En fait quand j’ai fait mon infarctus, j’ai pas du tout eu peur.

De la douleur ? Du diagnostic ?

Bah le diagnostic je l’avais hein, mais c’était pas très fort. Et puis bon je savais qu’il fallait se calmer. J’ai réagi vraiment en me détendant au maximum, en attendant... C’est vrai… J’ai jamais fait de yoga mais

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je suppose que ça doit être ça. On se décontracte. T’attends…

Sa femme : c’était un peu troublant quand même. T’étais quand même pas rassuré au point, tu souffrais, tu souffrais.

J’étais pas rassuré évidemment, puisque….

Sa femme : mais c’est vrai que tu n’as pas paniqué.

Ce qui me rassurait bon, c’était que bon, j’avais fait ce qu’il fallait, j’attendais les pompiers. Ils ont fait ce qu’il fallait, ils ont fait… Bon l’électro n’était pas perturbé vraiment. Par contre, j’ai été surpris quand ils ont annoncé le résultat de la prise de sang.

Vous pensiez que ça allait être normal ?

Bah oui, électro normal, oui je me disais c’est un syndrome coronarien aigu mais sans nécrose. Sa femme : en fait il y a avait une nécrose Bah oui

Sa femme : pourquoi t’as pas… t’as pas paniqué…je suis pas sûre que tu n’aies pas paniqué, t’étais pas fier. C’est vrai que nous, on était en attente. Tu nous as quand même dit que tu faisais un infarctus.

Bah quand on fait un infarctus, il vaut mieux le dire, il y a quand même une chance sur quatre de mourir subitement.

Sa femme : c’est vrai que tu étais sur ton caillou, tu attendais. On sentait que tu te contrôlais, mais tu n’étais pas à l’aise. Tu n’as pas donné l’alerte, c’est pas ton tempérament. Tout ce qui est douloureux, tu le gardes en toi. Euh, non, c’est vrai, il faut reconnaitre que tu ne nous as pas donné l’image de quelqu’un qui était vraiment en danger.

Non, ça c’est contagieux, si on fait paniquer les autres après c’est un cercle vicieux. Les gens autour de moi étaient calmes. Je ne voulais surtout pas d’attroupement.

Sa femme : on n’a pas fait de bruit autour. On était sur la plage, avec mes beaux-parents, on sortait de table hein... C’est vrai que tu nous as pas donné cette impression de de d’épouvante, mais on sentait que c’était tendu. Voilà

Déjà qu’en tant que médecin pompier je ne supportais pas ça, c’est pas moi qui allais le provoquer, tous les curieux qui arrivent, qui

empêchent les gens de passer, qui sont là à regarder oh c’est quelque chose que je déteste.

Sa femme : Nous, on était entre nous. Quand les pompiers sont venus, tu es parti de façon très discrète. Mais en fait, on t’a pas donné beaucoup de temps, 2 mois… la CARMF est dure, c’est tout. On l’a vite reconnu apte au boulot.

Il a fallu passer par un médecin pour retourner travailler ?

Sa femme : on avait des indemnités de la mutuelle du médecin puis ils t’ont reconnu très vite apte au boulot. Hein? T’as rien eu de la CARMF parce que tu n’as pas eu 3 mois d’arrêt et la mutuelle du médecin t’a pas fait de cadeau, au bout de 2 mois il fallait reprendre le boulot hein. Et en 2011, ça a été pareil mais t’as pas repris le boulot puisque tu as pris ta retraite. Il n’aurait pas fallu, il aurait fallu continuer à prendre des remplaçants, se mettre en arrêt pendant encore 1 an et demi. En fait, tu as perdu 1500-1600 euros par mois. La CARMF n’est pas sympa du tout, elle ne fait pas de cadeau, du tout. En 2011 quand tu as fait ton 2eme problème euh et que tu t’es arrêté, au bout d’un mois la CARMF t’a reconnu apte au boulot hein. Ah non, ils ne font pas de cadeaux, du tout !

Comme je te disais, je faisais de la marche à pied et les épreuves d’efforts ne sont pas parlantes. N’empêche que c’était plus le stress moi, les efforts contrôlés… sauf les gros efforts, ça serrait dans la poitrine, ça je savais, mais tout ce qui était effort contrôlé, ça allait. C’était plus le stress du boulot. Surtout quand on se sent pas bien, c’est de ne pas pouvoir s’arrêter parce que pfff.

Oui, il n’y a pas de poses aménagées dans la journée.

Non et c’est de se dire, là j’ai été 30 minutes … et moi j’ai toujours une tension très basse, quand j’étais crevé, j’avais plutôt envie de fermer les yeux. Et puis on a des gens en face de soi, on fait des visites… Et dans la journée, on n’a pas l’esprit clair, c’est pour ça que j’ai arrêté, parce que quand on n’a pas l’esprit clair, le soir on se dit « oh mais lui en fait qu’est-ce qu’il avait pfff? ». Ca déclenche beaucoup d’inquiétude.

Si il n’y avait pas eu les problèmes cardiaques, vous auriez continué jusqu’au bout ?

Oh oui évidement.

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D’arrêter oui pas la médecine, mais oui de ne plus travailler comme ça. Mais parce que ça faisait déjà longtemps que j’avais des problèmes cardiaques hein, depuis 1998.

Vous étiez suivi entre 1998 et 2010 ?

Oui, j’avais une épreuve positive pour les gros efforts quoi, mais seulement seulement le tapis roulant. Etant jeune, j’ai fait beaucoup de vélo, et je ne sais pas pourquoi, quand j’étais sur un vélo, ça n’allait pas assez fort pour me coincer. Mais par contre en course à pied, dès qu’il y avait des côtes assez fortes... Le pire c’était le stress quoi, j’aurais bien voulu diminuer.

Comment vous vous organisiez avec votre associé ?

On travaillait tous les jours, on avait chacun une journée de libre par semaine. C’est-à-dire qu’il y en a un qui faisait les visites le matin et je travaillais l’après-midi et M l’inverse.

Sa femme : la mort du docteur H, t’as miné. Ça a préparé le terrain. Ça remonte à loin mais c’était tout un processus. Le Docteur H était quelqu’un qui comptait énormément pour toi…

Oui mais ça on a tous des problèmes. Tout le monde en a. Ça fait partie de la vie. On a tous des proches qui meurent, des amis qui meurent. Mon premier associé est mort subitement. J’ai essayé de le réanimer. Son cœur est reparti mais pas le cerveau. C’est sûr que oui ces choses-là… mais bon. Tout le monde a des problèmes dans la vie. On peut pas faire une vie sans… A moins d’avoir beaucoup de chance.

Oui, c’est sûr. Merci beaucoup de m’avoir reçue, ça m’a fait plaisir de vous revoir.

Entretien Dr C

Je prépare ma thèse sur les médecins qui sont ou ont été malades et sur la façon dont ils ont géré le parcours de soins, du diagnostic à… maintenant. Même pour ceux qui sont en retraite. Le Dr B m’a expliqué que vous