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Le rôle restructurant du travail de deuil

Dans le document The DART-Europe E-theses Portal (Page 96-101)

3.2 P ROCESSUS D ’ ELABORATION ET DE RESTRUCTURATION DES FORMES D ’ ANTICIPATION DE SOI

3.2.2 Processus de restructuration du système des formes d’anticipation de soi

3.1.2.2 Le rôle restructurant du travail de deuil

Toute perte d’un objet, sujet d’investissement affectif, inaugure dans la vie de l’individu un processus de deuil. Dans sa définition générale, le deuil représente l’ensemble des réactions suite à n’importe quelle « perte d’objet » concret ou abstrait. Les travaux de Freud occupent une place importante dans les origines de l’analyse du deuil. Freud a introduit le terme de

« travail de deuil » pour faire référence à l’énergie psychique mise en œuvre pour affronter la réalité douloureuse de la perte.

Bien qu’il n’existe pas de paradigme théorique ou de discipline dominante dans la recherche sur le deuil, l’ensemble des études de ces vingt dernières années sont influencées par deux grandes théories (Zech, 2006) : les théories de l’attachement qui sont fondées sur les travaux de J. Bowlby et les théories cognitives du stress (Lazarus & Folkman etc.).

Les théories de l’attachement proposent « un cadre conceptuel de compréhension des effets du deuil en terme de cassure des liens affectifs » (Zech, 2006, p. 149). Dans les travaux de Bowlby (1978), l’attachement de l’enfant à une « figure maternelle » apparaît comme un élément essentiel à la survie de l’espèce humaine. L’attachement procure à l’enfant un sentiment de sécurité. Ainsi, l’absence de la figure d’attachement constitue une menace pour le sentiment de sécurité et provoque chez l’enfant « des comportements dont le but est de restaurer ce lien » (Zech, 2006, p. 151). Le danger de la perte suscite chez l’enfant des réactions de protestation qui se traduisent par une tension physiologique et une détresse émotionnelle. La théorie de l’attachement montre également qu’il y a des différences interpersonnelles dans la manière de réagir à la perte de la figure d’attachement. Cette

réaction dépend de ce que ces théoriciens appellent des « styles d’attachement », c’est-à-dire de la représentation que l’enfant se constitue à propos de la figure d’attachement (sa disponibilité, sa réceptivité, la valeur qu’il a pour la figure d’attachement etc.). A partir de ses relations avec la figure d’attachement, se développent chez l’enfant des modèles mentaux, une représentation de soi et des relations interpersonnelles. D’après ces travaux sur l’attachement, ce processus se maintiendrait chez l’adulte dans son mode d’interprétation de ses expériences avec autrui et sa façon de voir le monde (Zech, 2006).

Dans cette perspective théorique, le deuil est conceptualisé « comme une forme d’anxiété de séparation chez l’adulte qui résulte de la rupture d’un lien d’attachement par la perte » (Zech, 2006, p. 152).

Quant aux théories cognitives du stress, développées notamment par Lazarus et Kofman (1984), elles analysent les stratégies de coping. Ces analyses portent sur l’ensemble des processus cognitifs et comportementaux qu’un individu met en œuvre pour faire face à une situation aversive afin de maîtriser ou diminuer l’impact de celle-ci sur son bien être physique et psychique. Dans cette optique, le travail du deuil « implique un processus cognitif de confrontation à la perte pour examiner les événements qui sont produits [...] pour travailler vers un détachement » (Zech, 2006, p. 152). Face à une situation de perte, le déni est considéré comme une attitude néfaste. En effet, selon les tenants de ce courant, le déni est un obstacle à la bonne résolution du deuil puisqu’il empêche la personne de percevoir la réalité de la perte afin d’y faire face. Il faut donc « travailler la perte » en y confrontant le sujet pour « amener la réalité de la perte à la conscience » (Zech, 2006, p. 152).

Ces théories de l’attachement et du coping nous paraissent particulièrement intéressantes pour appréhender la problématique du renoncement qu’exige la transformation des formes d’anticipation professionnelle de soi chez les jeunes docteurs en reconversion. Dans de telles perspectives théoriques (attachement, coping), le processus de résolution du conflit cognitif dû à la reconversion, passe par une réflexion sur la signification des représentations de l’objet d’attachement (formes identitaires anticipées).

Les « figures d’attachement » chez ces jeunes docteurs "forcés" à la reconversion correspondent aux Formes Identitaires Subjectives Anticipées (FISA) construites pendant les études supérieures (parfois avant) et la préparation du doctorat. Ces FISA renvoient notamment au contexte académique, à des personnages modèles réels ou imaginaires, au

directeur de recherche, au chercheur type dans une discipline donnée, à la préférence pour la recherche fondamentale, à la sécurité d’un emploi public etc. Devoir se reconvertir vers le secteur privé nécessite donc un détachement que le jeune docteur peut différer en cumulant des emplois précaires (Post-doc, ATER, etc.). Le travail de renoncement consistera dans un premier temps à transformer l’événement différé en « événement manquant », pour pouvoir renoncer et perdre l’espoir de transformer les anticipations de soi en réalité (Schlossberg, 2005).

Conclusion

Le grand intérêt de ces approches théoriques (la dissonance cognitive et les processus de renoncement grâce au travail du deuil) pour notre étude, réside dans le rapport dynamique qu’elles établissent entre l’aspect cognitif et affectif. La dissonance est conçue comme « une source d’activité orientée vers la réduction de la dissonance » (Poitou, 1974, p. 11). Elle est source de motivation à l’action. Festinger décrit en effet « l’état de dissonance » comme un

« état psychologique désagréable susceptible de déclencher une dynamique cognitive en vue de sa réduction » (Grand dictionnaire de psychologie, 1999, p. 287). Ainsi, l’activité de réduction de la dissonance peut devenir un processus de transformation de la situation désagréable en ressources pour le développement de nouvelles actions.

Toutefois, les travaux de Savickas (2005, 2006) montrent que l’impact restructurant des processus de réduction de la dissonance peut avoir des limites. Selon cet auteur, les individus ont dans leur vie des enjeux qui ont une importance capitale pour eux. C’est ce qui importe dans l’histoire de vie de l’individu, son thème de vie qui renvoie à « un problème ou un ensemble de problèmes qu’une personne souhaite résoudre par-dessus tout avec les moyens qu’elle trouve pour parvenir à une solution » (Savickas, 2005, p. 59). Ce thème de vie peut évoluer à condition qu’il ne soit pas en trop grande dissonance avec les perspectives d’évolution. La dissonance cognitive peut donc être source de développement si elle n’est pas en rupture avec la ligne de vie. Les échecs d’insertion de certains jeunes docteurs en entreprise privée laissent supposer cette difficulté (déconnexion des réalités de l’entreprise, centration excessive sur les problématiques de recherche, manque de flexibilité, etc.)1.

1. Quelques remarques formulées par certains recruteurs ayant déposé leurs offres sur le site de l’ABG

La théorie de Savickas (2005, 2006) sur la construction de carrière, trouve son origine dans les postulats avancés par Super, notamment celui selon lequel le choix d’une profession est déterminé par l’idée que l’individu se fait du genre de personne qu’il est. L’orientation vers une profession est donc une tension vers la réalisation du concept de soi. De ce fait, l’exercice d’une profession doit permettre à l’individu de préserver une certaine estime de soi grâce à la mise en œuvre de ce concept de soi. Selon Savickas, le point stratégique du choix professionnel repose sur cette orientation du projet de vie. Il est défini par des thèmes majeurs qui donnent sens à la vie de l’individu : par rapport à soi mais aussi à la société et aux autres. Savickas les présente comme des processus dynamiques, des possibilités et non des caractéristiques stables. Dans cette perspective théorique, la construction d’un projet professionnel repose sur quatre dimensions fondamentales :

- l’intérêt pour son avenir professionnel ;

- le contrôle des différents paramètres pouvant favoriser la réalisation de ce projet ; - la curiosité dans l’exploration des différentes possibilités ;

- la confiance en soi nécessaire pour mettre en œuvre ses aspirations.

Ces orientations théoriques, issues du modèle de la construction de carrière de Savickas, montrent que les choix présents de l’individu sont soutenus par une reconstruction des événements antérieurs mis en perspective (préparation du futur). Ainsi, pour aider l’individu à faire face aux situations qui bouleversent son processus de construction de soi et à gérer au mieux les dissonances cognitives qui en découlent, il faut l’amener à comprendre ce qui fait de ses différentes expériences un tout, un ensemble qui se tient. Le travail de deuil et par delà, celui du renoncement, joue certes un rôle important dans ce processus de restructuration de soi mais cela ne semble pas suffisant. En effet, pour Savickas, la réussite de cette restructuration des anticipations de soi dépend de la capacité de l’individu à mettre en perspective ce qui constitue le thème majeur de sa vie.

Cette conception de la construction du parcours professionnel est à rapprocher de celle plus générale de la construction de soi proposée par Jean Guichard (présentée au début de ce chapitre). Nous retenons de ces deux modèles, l’importance accordée au langage comme forme d’action qui construit l’expérience et qui aide l’individu (dans la relation de conseil) à

« accroître son pouvoir d’agir en lui offrant la possibilité de symboliser à sa manière ses

différentes expériences »1. Dans le modèle de la construction de soi, Guichard (2000, 2004b, 2008) définit cette symbolisation comme la mise en œuvre de processus dialogiques de re-définition et de ré-interprétation continue de soi. Les processus de réflexivité dialogiques apparaissent ainsi comme un élément majeur dans l’analyse de l’efficacité des pratiques de conseil en orientation professionnelle.

1. Intervention de Jean Guichard au colloque INETOP – CNAM 17-19 mars 2010

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ROCESSUS PSYCHOLOGIQUE ET EFFICACITE DU CONSEIL EN

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