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L’apport de la théorie de l’énonciation de Benveniste

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4 PROCESSUS PSYCHOLOGIQUE ET EFFICACITE DU CONSEIL EN ORIENTATION

4.4 P ROCESSUS COMME DYNAMIQUE DE REFLEXIVITE DIALOGIQUE

4.4.2 L’apport de la théorie de l’énonciation de Benveniste

Les travaux de Benveniste se caractérisent par une approche à la fois purement linguistique mais également ouverte aux autres sciences humaines. Dans son article consacré à l’analyse des études d’Emile Benveniste, Mosès (2001) présente les travaux de cet auteur comme une contribution majeure à l’analyse des « faits linguistiques, de leurs implications les plus générales concernant la nature du langage, sa place dans l’ensemble des activités humaines, et avant tout le rôle de la subjectivité humaine dans l’exercice de la parole » (p. 509).

Si l’apport des analyses linguistiques de Benveniste nous intéresse dans le cadre de cette recherche, c’est en raison de la place centrale qu’il accorde au Sujet dans le langage.

D’abord en 1958, à travers l’article La subjectivité dans la langue, puis en 1966, dans Problèmes de linguistique générale (cinquième chapitre), Benveniste montre les limites de la définition que Saussure donne du signe linguistique (l’articulation d’un signifiant et d’un signifié). Selon lui, la langue ne pourrait être considérée comme un système de signes qui se définissent les uns par rapport aux autres, dans un système clos (Benveniste, 1958). En effet, pour Benveniste, le mot (considéré comme une unité sémantique) et la phrase (conçue comme une organisation sémantique plus complexe), se réfèrent toujours à un certain état de la réalité. Partant de ce principe, Benveniste considère le langage comme le moyen par lequel l’individu donne du sens aux réalités qui l’entourent : « le langage est porteur de signification, et c’est pourquoi il représente le médium à travers lequel l’homme donne un sens au monde » (Benveniste, 1967, p. 217). Pour lui, l’essence du langage est de signifier.

C’est ce processus qu’il désigne par le concept de « signifiance ».

La signifiance se réfère non seulement au langage humain mais à tout système de signes : l’écriture, la signalisation, les signes monétaires, le codes sociaux, etc. La spécificité du langage humain dans ce système de signes est liée au fait que « la langue est le système interpretant de tous les autres systèmes sémiotiques, et ceci parce qu’elle seule est capable, non seulement d’articuler tous les autres systèmes de signes mais aussi de se catégoriser et de s’interpréter elle-même » (Mosès, 2001, p. 511). Cette « double signifiance » du langage humain est liée à son mode de fonctionnement en tant que système de signes linguistiques et

discours. Benveniste dénomme le premier aspect, mode sémiotique et le second aspect, mode sémantique de la signifiance (Benveniste, 1969). Le mode sémiotique se rapporte à la structure de la langue en tant que système de signes et le mode sémantique de la signifiance se traduit par l’appropriation subjective de la langue (à travers le discours, la parole) par le locuteur. C’est à travers ce processus d’appropriation que se manifeste l’autoréflexivité du langage. Par le discours, le locuteur tient « des propos signifiants sur la signifiance » (Benveniste, 1969 p. 65). C’est sur ces deux modes de signifiance que se fonde, chez Benveniste, la différence entre énoncé et énonciation. L’énoncé renvoie au système de la langue et l’énonciation, à son « appropriation subjective par le locuteur ». C’est à partir de ce processus d’appropriation subjective de la langue, i.e. l’énonciation, que Benveniste explique le principe de la communication. Selon lui, communiquer implique la présence d’un locuteur et d’un allocutaire mais aussi d’un référent qui renvoie au « contexte », à

« l’état des choses » auquel le discours se réfère, c’est « l’objet particulier auquel le mot correspond dans le concret de la circonstance ou de l’usage » (Benveniste, 1967, p. 226).

En intégrant la dimension contextuelle dans l’analyse de la langue, Benveniste introduit l’idée de l’instabilité des phénomènes linguistiques. En effet, les réalités auxquelles la langue se réfère étant par essence changeantes, Benveniste en conclut que chaque phrase énoncée est un événement différent et nouveau. Dans cette perspective, l’approche des processus d’énonciation « implique l’aptitude à comprendre l’émergence du nouveau – car chaque énoncé se réfère à une situation inédite, que nous ne pouvons jamais ni prévoir, ni deviner » (Benveniste, 1967, p. 227). Ce processus passe par une conversion du langage en discours.

Pour Benveniste, l’énonciation est une réalisation individuelle qui peut être définie par rapport à la langue « comme un procès d'appropriation ». Le locuteur « s'approprie l'appareil formel de la langue et il énonce sa position de locuteur par des indices spécifiques, d'une part, et au moyen de procédés accessoires, de l'autre » (Benveniste, 1970, p. 14). L’énonciation est donc un processus qui « introduit celui qui parle dans sa parole » (p. 14). C’est également l’expression d’un certain rapport au monde, un processus de « co-référence » par le discours qui lie les co-locuteurs. L’énonciation renvoie ainsi à trois caractères formels :

- la situation, le contexte qui donne du sens au discours du locuteur ;

- l’intersubjectivité : parler c’est toujours, explicitement ou implicitement s’adresser à quelqu’un ;

- la référence à une réalité extérieure.

Dans la conception de Benveniste, le discours a une structure fondamentalement dialogique.

Ainsi, le processus d’énonciation implique nécessairement un « cadre figuratif » : la source de l’énonciation et le but de l’énonciation. C’est ce cadre qui va définir la structure du dialogue. Cette structure s’appuie sur la théorie des pronoms personnels dont les fondements sont exposés dans trois études de Benveniste : « Structure des relations de personnes dans le verbe » (1946), « La nature des pronoms » (1956) et « De la subjectivité dans la langue » (1958). Cette théorie définit le mode de relation qui existe entre les trois les pronoms personnels : Je, Tu, Il/Elle.

- Je est défini comme celui qui parle. C’est celui qui émet l’énonciation.

- Tu est celui à qui l’énonciation est adressée.

- Il/Elle renvoie à celui qui est absent, exclu de la relation Je-Tu.

Selon Benveniste, c’est la relation Je-Tu qui rend possible le processus de subjectivation.

Ce qu’il appelle par ailleurs « appropriation subjective de la langue » et qui se manifeste dans l’énonciation par la posture de Je qui se pose comme sujet (Benveniste, 1958).

L’existence du pronom personnel Je est intrinsèquement liée au langage du fait qu’il ne se réfère à aucun objet extérieur. Il a également un caractère unique : Je correspond chaque fois à un être unique, « c’est le locuteur lui-même, tel qu’il se désigne précisément dans l’instance de discours où apparaît le pronom Je (Mosès, 2001, p. 517). Je a donc une nature exceptionnelle par rapport aux autres pronoms (Tu et Il/Elle). C’est dans ce sens que Benveniste considère le pronom Je comme une référence intérieure à l’énonciation alors que Tu est présenté comme extérieur. Il désignera alors Je comme « personne subjective », Tu comme « personne non-subjective » et Il/Elle comme « non-personne ». Dans cette perspective théorique, toute énonciation nécessite forcement l’existence d’une relation entre Je et Tu. C’est ainsi que Benveniste analyse le monologue comme un processus d’énonciation qui procède d’un « dialogue intériorisé » formulé en « langage intérieur, entre un moi locuteur et un moi écouteur. Parfois le moi locuteur est seul à parler ; le moi écouteur reste néanmoins présent ; sa présence est nécessaire et suffisante pour rendre signifiante l’énonciation du moi locuteur » (1970, p. 16).

Cet auteur montre par ailleurs que le caractère subjectif et instable (car fluctuant au gré de la mobilisation que le locuteur fait de la langue, dans un contexte donné et en référence à des réalités…) du processus d’énonciation ne constitue pas un obstacle à une analyse linguistique rigoureuse des formes de l’énonciation. Benveniste propose ainsi un ensemble de règles qui permettent d’analyser cette « mise en fonctionnement de la langue » (1970, p.

12). Mais avant, il montre les différents aspects sous lesquels ce procès peut être étudié : - la réalisation verbale, à savoir, les sons émis et perçus ;

- le mécanisme de la conversion du sens sous forme de mots. C’est ce que cet auteur étudie dans son analyse de la signifiance (1969) ;

- la définition de l’énonciation dans le cadre formel de sa réalisation. C’est cette approche qui nous intéresse plus particulièrement dans le cadre de cette étude.

L’analyse de l’énonciation dans le cadre formel de sa réalisation se rapporte à l’observation d’un certain nombre d’indices (Benveniste, 1970) :

- les indices de personne : le rapport Je-Tu-Il, avec Je comme indice fédérateur ; - les indices d’ostension : ce, ceci, etc. ;

- les formes temporelles : les temps verbaux.

Benveniste définit certaines règles pour analyser les processus d’énonciation, dont celles en rapport avec la fonction d’influence de l’énonciation. L’analyse de l’énonciation en tant que processus d’influence, s’intéresse à l’impact que, l’utilisation de la langue par le locuteur, peut produire sur le comportement de l’allocutaire. (Benveniste, 1970). Les marqueurs linguistiques de ce processus d’influence sont :

- l’interrogation qui est « une énonciation construite pour susciter une réponse, par un procès linguistique qui est en même temps un procès de comportement […] Toutes les formes syntaxiques de l’interrogation, séquences, intonation, etc. » (Benveniste, 1970, p. 15) ;

- l’intimation qui se rapporte aux formes qui consistent à donner des ordres, l’impératif, le vocatif, etc. ;

- l’assertion qui « vise à communiquer une certitude est la manifestation la plus commune de la présence du locuteur dans l’énonciation » (Benveniste, 1970, p. 15) ; - les modalités formelles renvoient aux différentes formes se rapportant « aux

attitudes de l’énonciateur à l’égard de ce qu’il énonce » : attente, souhait, appréhension, incertitude, indécision, refus d’assertion, etc.

Ces approches théoriques de Benveniste ont néanmoins fait l’objet d’un certain nombre de critiques. Bronckart (1977) par exemple, lui reproche le manque d’élaboration conceptuelle des domaines de la sémantique et de l’énonciation ; le fait que ni le mot, ni la phrase, ni le sujet parlant ne reçoivent une définition témoignant d’un véritable approfondissement conceptuel ; etc.

Malgré les remises en cause de certains aspects de la théorie de Benveniste, les approches de cet auteur restent une référence majeure dans le domaine de la linguistique de l’énonciation (entre autres) comme en témoigne, par exemple, les analyses de Stéphane Mosès (2001), les travaux de Kerbrat-Orecchioni (1998), le colloque tenu en 1983 sur le thème : « Emile Benveniste aujourd’hui », etc. Dans les actes de ce colloque, la théorie de l’énonciation développée par Benveniste est présentée comme « l’édification d’un système de mise en rapport des formes et de leurs emplois qui met en évidence le problème du sens tel que la parole le construit avec le moyen de la langue » (Serbat & al., 1984, p. 111). Les travaux de Kerbrat-Orecchioni (1998) en constituent une illustration. Les approches de cette auteure sont très influencées par les orientations définies par Benveniste. Elle propose notamment un inventaire des unités linguistiques (très proches des marqueurs linguistiques de Benveniste) qui permettent selon elle, d’appréhender la manière dont le locuteur s’approprie son propre discours : les pronoms personnels, les formes verbales, les informants spatiaux, l’ensemble des modalités qui instituent les rapports entre les interlocuteurs et l’énoncé.

Cette approche théorique de l’énonciation présente un grand intérêt pour l’analyse des processus de réflexivité dialogique, dans la mesure où elle propose une vue complémentaire à la théorie sémiotique de Peirce et une explicitation du fonctionnement linguistique des processus de réflexivité trinitaire (modèle des FIS). En effet, l’analyse des processus d’énonciation offre un cadre permettant de mieux comprendre d’une part, les mécanismes linguistiques en œuvre dans l’expression de la subjectivité dans le processus dialogique et d’autre part, l’identification des aspects réflexifs de ce processus dialogique dont le repère est le sujet Je : Je (personne subjective) – Tu (personne non subjective) en rapport avec Il/Elle (non personne).

L’acte langagier a donc une dimension constructiviste dans la mesure où il permet à l’individu d’inscrire dans son discours sa singularité, sa subjectivité : en se désignant comme Je, le locuteur devient par le langage un sujet. Les pronoms personnels Je et Tu permettent à celui qui parle de devenir sujet d’un discours adressé à un récepteur et font partie de cet appareil formel de l’énonciation. L’énoncé prend toute sa signification dans le contexte dans lequel se situe l’énonciation, le moment, les interlocuteurs, les situations auxquelles il se réfère, etc.

Selon Benveniste, l’acte langagier a également une dimension pragmatique qui repose sur des processus d’influence. En énonçant, le locuteur réalise une action dont le but est d’influencer le comportement de l’allocutaire ou de soi-même dans le cadre « figuratif » d’un « dialogue intériorisé ». Benveniste présente, entre autres, l’interrogation comme un moyen linguistique d’influence dans le processus d’énonciation. En ce sens, cet

« instrument linguistique » peut être considéré comme un facteur important dans l’activation des processus de réflexivité dialogique. Ce qui suppose l’hypothèse implicite d’un impact cognitif du questionnement.

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