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L’apport de la théorie sémiotique de Peirce

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4 PROCESSUS PSYCHOLOGIQUE ET EFFICACITE DU CONSEIL EN ORIENTATION

4.4 P ROCESSUS COMME DYNAMIQUE DE REFLEXIVITE DIALOGIQUE

4.4.1 L’apport de la théorie sémiotique de Peirce

Cette théorie propose une conception « triadique » de la signification dans la « relation signe ». Pour Peirce, la caractéristique fondamentale de l’homme est son action réfléchie.

C’est ainsi qu’il fait œuvre de lui-même en signifiant : « en donnant un sens à sa vie à travers différents univers symboliques, l’être humain accomplit et dépasse sa forme de sujet en devenant créateur et interprète de ses signes et des signes qu’il découvre dans le monde » (Tremblay1). La construction de soi est ici présentée comme un processus sémiotique (théorie du sens), i.e. comme un rapport « triadique » entre un signe ou representamen, un objet et un interprétant (Everaert-Desmedt, 2006).

- Peirce définit le signe comme « quelque chose de déterminé par quelque chose d'autre, son objet, lui-même influençant quelque personne de telle manière que cette personne devient par là même médiatement influencée ou déterminée sous quelque rapport par cet objet [...] » (Peirce, 1909, Lettre à William James du 25 décembre 1909) 2. Peirce a une conception très large du signe qui peut être toute chose, tout

1. Se reporter au site de l’Encyclopédie hypertexte de la philosophie, http://www.cvm.qc.ca/encephi/.

2. 76 définitions du signe dans les écrits de C.S.PEIRCE., http://robert.marty.perso.cegetel.net/semiotique/76-fr.htm#analyse

phénomène qui entre dans un processus sémiotique, i.e. un rapport triadique : signe - objet - interprétant (Everaert-Desmedt, 2006).

- L’objet représente l’objet de la pensée, c’est ce qui existe et dont on parle.

- L’interprétant est une représentation mentale de la relation entre le signe et l’objet, l’idée que fait naître le signe et l’effet qu’il produit. C’est l’interprétant qui dynamise la relation de signification dans la mesure où, une fois interprété, l’interprétant devient à son tour un signe déclencheur d’un nouveau processus d’interprétation et ainsi de suite jusqu’à l’infini.

Le « modèle » théorique de Peirce établit un lien étroit entre la pensée et le signe : « la pensée procède toujours sous forme de dialogue entre les différentes phases de l’ego, de sorte que, étant dialogique, elle est essentiellement composée de signes qui en constituent la matière » (Peirce, cité dans Morand, 1997)1.

Pour Peirce, le soi est un signe (Colapietro, 1989). Par là, Peirce entend que c’est un signe engagé dans son processus de développement. La théorie de Peirce est en effet à la fois une ontologie et une sémiologie. Le soi est cependant un signe d’une nature particulière : il est une personne individuelle incorporée. Comme, nous allons le voir, chacun de ces termes est d’une importance capitale pour saisir la richesse des analyses de Peirce.

Parce qu’il est incorporé, le soi est doté d’une continuité primordiale : celle de la sensation (que lui procure les sens) qui est au fondement de la continuité de la conscience de soi.

Celle-ci (liée à la condition humaine) se développe à l’occasion des actions, interactions et interlocutions (dont la forme fondamentale est celle de la relation signe : objet, signe, interprétant). Ces actions, interactions et interlocutions conduisent la personne individuelle à construire un système d’habitudes, c’est-à-dire de dispositions qui caractérisent sa personnalité. Ces habitudes sont schémas d’action, de manières d’être et d’agir, de se représenter soi-même et autrui, de se rapporter à ses expériences, de se représenter le monde, etc. En utilisant le vocabulaire de la sociologie de Bourdieu, on serait tenté de parler à propos de cet ensemble de l’habitus de l’individu ; dans le cadre de la psychologie cognitive et sociale d’aujourd’hui, on pourrait parler de ses scripts et schémas, de ses cadres cognitifs, de ses représentations sociales. Ces habitudes (dispositions, schémas d’action, représentations) sont les « interprétants finaux » des multiples séries de relations signes

1. Se reporter au site de l'IUT de Caen, http://www.iutc3.unicaen.fr/%7Emoranb/sensign2.html#314

dans lesquelles la personne individuelle s’est trouvée engagée (elle a, par exemple, construit l’habitude d’agir de cette manière-là pour traiter de tel type de problème).

La personne individuelle ne se réduit cependant pas à ce système d’habitudes. En effet, elle n’a pu le construire que parce qu’elle est une personne, c’est-à-dire un signe pouvant fonctionner selon les modalités sémiotiques du « je – tu – il/elle ». Pour Peirce, une personne (qui peut être supra-individuelle) désigne un processus sémiotique tel que, « je » dit quelque chose à un « tu » (qui peut être un autre extérieur ou un autre soi-même) à propos de quelque chose (un référent) et qui peut aussi se prendre pour référent (il/elle), c’est-à-dire être cet objet « délocuté » (Francis Jacques) à propos duquel « je » et « tu » sont engagés dans un dialogue. En tant que personne individuelle, le soi fonctionne précisément comme un soi innovateur qui interroge et interprète l’ensemble de ces habitudes qui constituent, dans cette relation, le soi critique (le soi critique désigne donc l’ensemble des habitudes quand elles sont prises dans un processus sémiotique d’interprétation qui conduisent à leur développement, à leur mise en perspective, à leur remises en cause, etc.).

Le signe comme essence de l’être constitue par conséquent une source de développement, un « pouvoir d’action » sur soi-même et sur son environnement de façon continue. De ce point de vue, la construction de soi est un processus qui n’est jamais achevé. La conséquence logique d’une telle conception est qu’il est impossible de dissocier le sens de l’expression. Le langage n’est plus considéré comme un simple véhicule de la pensée mais en est « la matière », « l’essence de la pensée » : « la pensée procède toujours sous forme de dialogue entre les différentes phases de "l’ego", de sorte que, étant dialogique, elle est essentiellement composée de signes qui en constituent la matière » (Peirce, dans Morand, 1997)1.

Partant de ces analyses, Guichard présente la construction de soi comme un processus continu d’interprétation de soi fondé sur un dialogue intrapersonnel ou interpersonnel, et fonctionnant sur un mode d’interprétation dialogique trinitaire. Ce dialogue a, à la fois, un caractère intra-individuel (dialogue interne) et supra-individuel (dialogue interindividuel).

En effet, dans la perspective théorique sémiotique de Peirce, la personne est conçue comme

« l’articulation d’un dialogue à plusieurs voix » (Guichard, 2004b, p. 21) : il peut s’agir

1. Se reporter au site de l'IUT de Caen, http://www.iutc3.unicaen.fr/%7Emoranb/sensign2.html#314

d’un dialogue de soi avec soi-même, d’un dialogue avec autrui intégré qui parle en soi à soi, un dialogue entre soi et autrui. De ce point de vue, le raisonnement est une activité qui met en rapport deux instances : le « soi critique » et le « soi innovateur ». Dans l’acte de pensée,

« le soi innovateur essaye de persuader le soi critique. Le soi critique représente les habitudes de l’individu – ses dispositions – alors que le soi innovateur met en question ses habitudes » (Guichard, 2004b, p. 21). Comme le souligne Everaert-Desmedt (2006), ce sont les signes qui provoquent le renforcement ou la modification des habitudes.

De ce fait, ce qui est fondamental dans le processus de construction/reconstruction de soi tout au long de sa vie, c’est de pouvoir « relire », « interpréter », « reconstruire son passé selon les différentes perspectives qu’offrent les diverses possibilités de construction de soi dans telle ou telle forme identitaire à venir (soit alternativement, soit simultanément). De telles pratiques correspondent à une activité réfléchie de construction d’un "champ des possibles" par laquelle l’individu peut parvenir à s’affranchir, dans une certaine mesure, des facteurs sociaux et psychologiques qui déterminent sa conduite » (Guichard, 2004b, p. 22).

Il s’agit donc pour l’individu, de pouvoir remanier indéfiniment ces formes identitaires grâce à l’activation d’un processus dialogique trinitaire.

Cette conception rejoint celle de Bakhtine (cité par Clot, 1999/2002) selon laquelle le développement de la pensée sur ce que l’on fait est source de transformation permanente car il maintient la pensée ouverte sur l’inconnu, sur ce que l’on cherche à faire mais qui reste en permanence inachevé et ouvert à d’autres possibles (Clot & Diallo, 2003). Schlossberg (2005) précise que c’est à cette condition que l’individu peut se « décentrer pour reformuler de nouveaux projets en recadrant le soi futur et en identifiant clairement un nouveau rêve, une vision nouvelle ou un nouveau self plus réalisable » (p. 96). La construction de soi est donc un processus interminable de construction et de reconstruction de ses propres réalités subjectives. Ce processus basé sur une mise en perspective permanente de soi est une forme de réflexivité en tension avec une réflexivité duelle, celle en miroir de soi, qui va dans le sens d’une résistance au changement : c’est celui là que je suis, auquel je m’identifie (enseignant-chercheur ou chercheur dans le domaine de la recherche fondamentale) et que je veux être plus encore. Ces processus d’interprétation continue de soi qui sont à la base de la réflexivité dialogique, évoquent des mécanismes liés à « l’exercice de la parole ». Les

processus d’énonciation constituent donc une dimension importante de la réflexivité dialogique.

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