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La dissonance cognitive comme source de développement

Dans le document The DART-Europe E-theses Portal (Page 93-96)

3.2 P ROCESSUS D ’ ELABORATION ET DE RESTRUCTURATION DES FORMES D ’ ANTICIPATION DE SOI

3.2.2 Processus de restructuration du système des formes d’anticipation de soi

3.1.2.1 La dissonance cognitive comme source de développement

Rogers (1951) souligne dans ces travaux que les expériences de l’individu sont organisées, symbolisées ou ignorées, ou refusées à la symbolisation en fonction de leur consonance avec la structure de soi. La construction de cette structure étant le résultat des interactions avec l’environnement, des valeurs introjectées ou reprises. Face à une situation qui nécessite un remaniement de cette organisation, l’individu doit « restructurer son soi pour le rendre congruent avec son monde » (Guichard & Huteau, 2001, p. 211). L’approche de la dissonance cognitive met en évidence le rôle actif de l’individu dans ce processus de restructuration.

La théorie de la dissonance cognitive développée par Festinger en 1957, repose sur deux postulats : l’existence d’états cognitifs privilégiés et un travail cognitif de réduction de tout écart par rapport à ces états. Festinger définit la dissonance cognitive comme « un état de tension désagréable dû à la présence simultanée de deux cognitions psychologiquement inconsistantes » (Poitou, 1974, p. 11). Il entend par cognition, l’ensemble des représentations conscientes : les connaissances, les informations, les opinions, les croyances sur soi-même et sur son environnement physique, social ou sur sa propre conduite. Les relations entre les cognitions peuvent être de trois types : consonantes, dissonantes, neutres (Poitou, 1974) :

- Il y a une relation de consonance entre deux cognitions si l’une peut être obtenue par implication de l’autre. Toutefois, ce rapport d’implication n’est pas forcement logique mais subjectif.

- Deux cognitions sont en relation de dissonance si la deuxième cognition est l’opposée de celle que l’on devrait avoir par implication. « La dissonance peut aussi surgir d’une incompatibilité entre l’expérience présente et l’expérience passée » (Poitou p. 11)

- Quand deux cognitions ne sont ni en relation d’implication ni d’opposition, leur relation est considérée comme neutre.

La théorie de la dissonance cognitive repose sur trois paradigmes expérimentaux qui nous semblent pertinents pour l’analyse des stratégies de remaniement des formes d’anticipation de soi dans une situation de transition. Il s’agit de la soumission forcée, la prise de décision et les attentes non confirmées.

- La soumission forcée : ce paradigme expérimental « consiste à démontrer quels changements d’opinion se produisent chez un individu à qui on demande d’exécuter un acte contraire à ses convictions » (Poitou, 1974, p. 41). Festinger montre que le manque de correspondance entre l’opinion que l’individu affiche publiquement et ses convictions intimes crée un état de dissonance.

- La prise de décision est considérée comme source de dissonance dans la mesure où il y a un arbitrage entre les inconvénients des options choisies et les avantages des options rejetées : « les éléments cognitifs favorables à l’éventualité choisie sont consonants avec le comportement et tous ceux qui sont favorables à l’éventualité rejetée sont dissonants avec celui-ci » (Poitou, 1974, p. 75). Cette dissonance peut être réduite « grâce à une modification des notions relatives à la valeur des éventualités entre lesquelles le choix avait été fait » (Poitou, 1974, p. 31).

- Les attentes non confirmées : c’est l’état de dissonance induit par le décalage entre l’investissement affectif et l’effort qu’un sujet consent pour atteindre un objectif supposé intéressant et l’intérêt réel de l’objectif atteint. Plus l’écart entre le degré d’investissement et le but atteint est important, plus la dissonance est forte.

Ces facteurs de dissonance cognitive pourraient s’appliquer à la situation des jeunes docteurs en reconversion. Pour s’intégrer dans une entreprise privée, ils doivent s’adapter aux contraintes du marché en adoptant certains comportements qui vont à l’encontre de leur représentation de soi et de leur conception de la recherche : e.g. le code vestimentaire, la recherche développement, le management, le marketing, la soumission aux contraintes de temps (abandonner un programme de recherche pour un autre en fonction de la conjoncture, etc.). Ils se retrouvent ainsi dans une situation que l’on pourrait qualifier de "soumission forcée", d’après les principes de la théorie de la dissonance cognitive.

Par rapport à la prise de décision, le choix du privé et le renoncement à la recherche académique ou publique crée un état de dissonance que le jeune docteur pourra essayer de réduire en modifiant son évaluation du secteur privé ou de la recherche publique.

Le paradigme des attentes non confirmées s’applique également au cas de ces jeunes. En effet, ces derniers se sont anticipés dans des formes identitaires subjectives professionnelles que les circonstances ne leurs permettent pas de réaliser : leurs attentes ne sont donc pas confirmées.

Pendant la préparation de la thèse, le cadre universitaire conduit les doctorants à se construire des structures mentales spécifiques et des formes d’anticipation de soi que les circonstances ne leur permettent pas toujours d’actualiser. Les postulats cognitifs sous-jacents à ces formes ne sont pas toujours consistants avec ceux correspondants aux stéréotypes de l’ingénieur/chef de projet que recherchent les entreprises privées. En effet, différentes études1 sur l’insertion des jeunes docteurs dans le privé mettent en évidence chez ces jeunes, une méconnaissance du secteur privé et une conception assez négative de l’entreprise qu’ils perçoivent comme une « boîte noire », qui n’a d’égard que pour la productivité et le gain. Ces idées reçues, voire ces croyances, ne peuvent que renforcer l’écart entre les formes cognitives qui servent de référence aux formes dans lesquelles ces jeunes docteurs se sont anticipés et leurs représentations du monde de l’entreprise.

Pour un jeune docteur qui s’était construit une image de soi en tant qu’enseignant chercheur, s’envisager dans une profession différente, dans un autre secteur (l’entreprise), entraîne une certaine perturbation dans ses structures mentales : une dissonance cognitive.

Les grandes différences imaginaires et sans doute réelles, entre le monde de l’université et celui de l’entreprise sont à l’origine de cette perturbation. La culture de l’université est basée sur des critères bien définis, auxquels le jeune docteur s’est familiarisé alors que celle de l’entreprise fonctionne sur une logique assez floue dont les caractéristiques lui échappent. Le secteur public est caractérisé par une certaine stabilité « sécurisante », alors que l’entreprise évolue dans l’incertitude et privilégie la flexibilité, l’adaptabilité et la polyvalence. Le monde de l’entreprise lui renvoie par conséquent une image de soi dans laquelle il a du mal à se reconnaître. Il en résulte un écart entre la réalité et les formes identitaires dans lesquels l’individu s’est construit. Plus cet écart de représentations est grand, plus le conflit cognitif et les réponses émotionnelles sont importants (Zech, 2006).

1. CEREQ, ABG, UREDI, Magazine Guilde etc.

Pour résoudre ce conflit entre les données issues de la réalité et ses modèles de représentation internes, l’individu dispose de deux solutions (Zech 2006) :

- soit il modifie la situation,

- soit il modifie ses représentations internes préexistantes.

Les jeunes docteurs en reconversion vers le privé sont confrontés à ce dilemme qui nécessité, dans tous les cas, un travail de renoncement. Ce travail implique bien souvent une réévaluation des constructions antérieures. Ce processus passe par un détachement des

« formes de soi » dont la réalisation est « empêchée », processus qui s’apparente à un véritable travail de deuil.

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