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Le passage à l’acte : le montage financier

Dans le document Les « captifs » du périurbain ? (Page 180-184)

Une figure de l’accession en maison individuelle plus contrainte : celle des familles modestes du périurbain lointain

1. La maturation du projet d’accession

1.3. Le passage à l’acte : le montage financier

La combinaison de certains éléments déclencheurs et des « désirs » va générer le passage à l’acte. Le dosage entre les deux éléments donnera à cette accession son caractère plus ou moins subi, plus ou moins risqué. L’élément économique est central dans la réussite de cette aventure et dans l’évaluation du risque encourue. C’est particulièrement sur ce champ que vont d’ailleurs se distinguer les périurbains rencontrés dans l’agglomération et ceux rencontrés en périurbain lointain.

• Une accession à la propriété banalisée

Chez les premiers, la plupart des discours présentent des situations financières favorables où le risque de l’échec est peu détectable. Deux types de financement peuvent être relevés, soit une accession par accumulation, soit une accession par opportunité.

La première se fait par étapes successives. L’achat de la maison individuelle actuelle est concrétisé par des achats de transition qui permettent un apport conséquent et ne semble pas entraîner de gros risque (revente ou location du bien antérieur, 10 cas) :

« Disons qu'on a investi dans quelque chose qui ne nous plaisait absolument pas, qui était dans notre budget et qui n'était pas notre maison idéale, et on a justement acheté l'autre dans le but d'avoir un apport pour plus tard avoir quelque chose de mieux » (R5, H, 38 a, professeur faculté, Ramonville).

La deuxième correspond à des ménages pour qui la conjoncture financière relève d’une opportunité (offre bancaire intéressante, héritage, promotion ou insertion sur le marché de l’emploi du conjoint) et qui vont contracter un prêt sans pour autant aller aux limites de leurs capacités. On ne trouve d’ailleurs auprès de ces périurbains agglomérés que 6 cas de déclarations d’un financement par PAS (prêt d’accession sociale) :

« On voulait bien accéder mais sans pour autant se priver, ou alors pas trop longtemps, il faut vivre quand même ! » (R1, F, 40 a, profession intermédiaire, Ramonville),

« C’est une opportunité, vous savez l’accession c’était pas notre truc, mais quand on a des enfants, …, et puis il y a un peu cette notion d’épargne, le fait d’avoir l’impression comme disent les parents « de ne pas jeter l’argent par les fenêtres », … » (R6, H, 45 a, ingénieur, Ramonville),

« En fait, ce qui nous a décidé c’est le plan de financement qu’on nous proposait et qui était intéressant, puisqu’on pouvait avoir une maison qui a ici trois chambres et un jardin pour le prix du loyer de l’appartement » (A9, H, 43 a, employé, St Alban).

• Une accession davantage forcée

A contrario, chez les périurbains lointains, on constate plutôt dans la plupart des discours sur leur accession, une absence ou une minimisation du facteur économique. Pour donner quelques chiffres (c.f. tableau 7), sur les trente-huit ménages rencontrés, la répartition des différents prêts est la suivante : les sept ménages installés récemment ont tous contractés un PTZ (Prêt à Taux Zéro), vingt et un ménages ont accédé avec un PAP (Prêt d’Aide à l’accession à la Propriété) (six y ont rajouté un apport non bancaire, cinq ont demandé le support d’un autre prêt bancaire et deux l’on associé à un PC (Prêt Conventionné)), sept ménages disent avoir financé leur acquisition avec un PC et enfin seulement trois n’ont contracté qu’un prêt bancaire (moyennant un apport lié à une revente).

Tableau 7 : Récapitulatif du type de financement de l’acquisition

Périurbains agglomérés Périurbains lointains

Prêt bancaire majoritaire 28 3

Prêt à l’accession sociale majoritaire

6 35

Dont PC 7

PAP 6 21

PTZ 7

Revente ou location d’un bien

10 3

Source : entretiens

Pour beaucoup, non seulement l’accession ne semble pas avoir été préparée financièrement, mais la décision est prise en dépit d’une conjoncture relativement défavorable (un seul actif stable dans le ménage, une sécurité de l’emploi limitée, l’absence d’un deuxième véhicule, pas de permis automobile …). Pour ces familles, le passage à l’acte tire sa force essentiellement de la conjoncture résidentielle négative, le logement collectif HLM ou pas, qui cristallise les attentes par rapport à la future maison.

En effet, pour les ménages rencontrés en périurbain lointain et autrefois résidents des quartiers d’habitat social, au désir d’acquisition de « sa maison à soi » s’ajoute le souci de se séparer socialement et géographiquement des groupes peuplant ces espaces, côtoyés lors du passage en ville, et considérés comme privés d’un horizon socio-résidentiel. Il s’agit alors d’engendrer par cette accession, une rupture avec un substrat social et urbain symbolisé par le HLM. Le logement HLM, dont le coût de location est considéré comme élevé et qui est parfois la seule expérience résidentielle de la ville, vient justifier le choix d’un habitat pavillonnaire :

« D’abord l’entourage de là-bas [HLM au Mirail] parce que c’était plus possible, …, je ne voyais vraiment pas l’utilité de payer 2 800 balles d’impôts pour un appartement » (Ll3, F, 43 a, sans profession, Lavernose Lacasse).

Ce qui apparaît, c’est surtout la volonté de déménager d’un environnement qui ne correspond plus à leurs valeurs, car comme le souligne la même personne, plus que le logement lui-même c’est l’espace urbain et l’environnement social qu’il caractérise qui a poussé à partir : « L’appartement par lui-même il n’était pas mal, mais c’était l’entourage [au Mirail]…, … et puis, la cité, c’était trop dangereux pour les enfants » (Ll3, F, 43 a, sans profession, Lavernose Lacasse).

Il s’agit donc pour ces ménages plus que de partir, de fuir :

« On voulait déménager à tout prix, …, je voulais foutre le camp […]. Nous ce qu’on voulait surtout c’était fuir ! » (Ll4, 42 a, chômage, Lavernose Lacasse), « Parce que le HLM c’est pas une vie, on n’en pouvait plus, on craquait, il fallait fuir avant que ça dégénère … » (Lh8, H, 48 a, agent de maîtrise, Le Lherm).

Ce départ porte en lui les promesses d’une vie en maison individuelle en propriété, mais surtout il permet de quitter cette banlieue, « l’environnement de là-bas…, Chicago » et les immigrés. Difficile de distinguer lequel de ces motifs a le plus porté le projet. Dans tous les cas c’est une volonté de se différencier.

Pour la plupart de ces ménages, les éléments mis en avant tiennent lieu de négatif à des attentes en positif ; par exemple les nuisances de l’habitat nourrissent les attentes d’un habitat plus confortable et indépendant, … et comme l’ont souligné B. LEFEBVRE, M.

MOUILLART et S. OCCHIPINTI : « Plus la motivation préalable est élevée, plus les ménages sont prêts à fournir un effort de mobilisation intense de leurs ressources et moins le degré d’incitation a besoin d’être important pour qu’ils se lancent dans cette voie »42.

La réalisation du projet se fait dans le cadre d’un dispositif très contraint, peu maîtrisé et dicté par le budget disponible : recherche de taxes foncières faibles ; influence du constructeur qui, de fait, « choisit » la localisation du terrain, construction « minimale » sur des terrains sans qualités. La plupart se laissent alors guider par le constructeur qui propose un plan de financement sans garantie. Rétrospectivement, cette faiblesse dans le choix du prêt bancaire s’avère, parfois, difficile à accepter :

« On a fait un prêt conventionné qui augmente tous les ans et ça on le savait pas, parce que sinon on ne l’aurait pas fait, …, on s’est bien fait avoir … » (Ll3, F, 43 a, sans profession, Lavernose Lacasse),

« Ils nous avait fait des simulations et au bout d'un moment le prix dépassait 5000 F et ils nous disaient mais oui ça sera possible parce que vous aurez l'allocation pour le second enfant et « patin couffin », comme ils nous avaient raconté un peu n'importe quoi, qu'on avait donné des sous, donc on a été plus ou moins au tribunal avec eux, enfin, … on avait pris un avocat et on a perdu 12 000 F et lui il ne nous a toujours pas rappelé » (I2, F, 30 a, congé maternité, Larra).

Même quand certains ont avoué avoir essayé de résister, leurs propos montrent que le système bancaire a réussi à s’imposer : « On n’a pas écouté ce que nous disait le crédit immobilier, ni le crédit foncier, parce que eux ils nous poussaient à prendre plus, …, on avait l’allocation logement et ils voulaient nous la mettre dans le dossier, nous on savait qu’elle ne durerait pas puisque j’allais reprendre le travail et bien, le mec de la banque il l’a marqué quand même… » (S10, F, 48 a, agent de maîtrise, Saint-Sulpice).

42 B. LEFEBVRE, M. MOUILLART et S. OCCHIPINTI, Politique du logement : 50 ans pour un échec, Paris, l’Harmattan, coll. « Habitat et Sociétés », 1991, p. 113.

Si quelques-uns ont essayé d’être prévoyants… : « C’est vrai qu’on a calculé de faire un prêt où il soit possible de rembourser sans se priver à côté, on n’a pas emprunté au maximum de nos capacités » (Lh9, F, 44 a, employée, Le Lherm)… d’autres au contraire ont tout misé sur cette accession : « Pour la banque on a fait en sorte que ça colle, on a même demandé de l’argent à des amis et à nos parents qu’on leur rendra plus tard… » (Lh2, H, 37 a, employé, Le Lherm).

Une telle situation financière peut avoir, comme nous l’ont avoué certaines personnes et comme le laisse penser la rapidité de rotation de certains pavillons, des conséquences dramatiques (le retour en HLM, l’expulsion…) pour les familles qui se retrouvent prises à la gorge par le surendettement.

L’accession reste donc, pour beaucoup, un acte aux conséquences financières lourdes et durables dans le budget, notamment quand les ressources sont modestes. Les risques liés à l’endettement même s’ils sont minimisés par un certain nombre de dispositifs de sécurisation (assurances perte d’emploi) ou de lois protégeant les intérêts des accédants, sont bien réels.

Malgré les aides de l’Etat, malgré une industrialisation des constructions abaissant les prix, et malgré la dédramatisation de l’endettement par les banques, l’accession continue de représenter un acte majeur. Cet acte peut être la source d’un épanouissement lorsqu’il est réussi. Qu’en est-il lorsqu’il est mal préparé ?Plus particulièrement, comment va se négocier la localisation de ce logement ?

Dans le document Les « captifs » du périurbain ? (Page 180-184)