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La cohabitation de deux villes : l’une compacte et l’autre diffuse

Dans le document Les « captifs » du périurbain ? (Page 45-49)

« ville émergente »

3. De l’autonomisation de l’espace périurbain à la ville émergente

3.3. La cohabitation de deux villes : l’une compacte et l’autre diffuse

Pour reprendre les propos de M. AQUACHAR-CHARPENTIER : « la ville est considérée comme un tout, un ensemble, où divers éléments s’articulent les uns aux autres et c’est cette articulation, cette « nouvelle urbanité » qui devra être analysée »42.

L'extension du « phénomène urbain » (BEAUJEAU-GARNIER, 1997), qui a été en grande partie favorisée par la banalisation de la voiture individuelle, pose la question de la redéfinition de la ville et de ses limites. P. LUSSON note ainsi que « grâce à l'automobile, on a pratiquement multiplié par 100 la surface disponible pour les choix de localisation : de l'habitat, des entreprises, des services, comme du commerce et des loisirs (rayon de 30 kilomètres en automobile au lieu de 3 kilomètres à pied) »43. La croissance exceptionnelle des espaces de périphérie a été principalement rendue possible par le développement de l'automobile. Cet essor de la voiture particulière dans les modes de déplacements a engendré une forme d'urbanisation sans précédent en termes d'extension spatiale. Alors que la croissance urbaine était auparavant conditionnée par l'accessibilité au centre-ville en transport en commun, en marche à pied ou en deux roues, le phénomène actuel s'affranchit de cette contrainte grâce à la voiture, qui devient du même coup indispensable. Cette « mobilité facilité a ouvert un vaste territoire à l'urbanisation en permettant d'être encore lié de diverses façons à la ville agglomérée sans y habiter »44.

Mais si l’automobile a porté le mouvement périurbain, la vitesse, d’après les travaux de V FOUCHIER (2000), porte celui de l’étalement et de la diffusion. Un changement qui affecte aussi bien le déplacement automobile que celui en transport en commun, en particulier en région parisienne avec l’effet du RER. Ainsi, pour ce même auteur, il y aurait deux villes,

41 O. PIRON & G. DUBOIS-TAINE, La ville émergente. Constats pour renouveler les lignes d’action publiques, Paris, PUCA, 1998, p. 28.

42 M. AQUACHAR-CHARPENTIER, Péri-urbain : bibliographie, CIEU, METT, DAU, CDU, 1996, p. 8.

43 P. LUSSON, « L’étalement de la ville », in La ville émergente, op. cit., p. 43.

44 M. WIEL, La transition urbaine ou la passage de la ville pédestre à la ville motorisée, Paris, Madraga, 1999, p. 21.

l’une héritée de la ville dense et qui s’appuierait essentiellement sur une proximité physique, et une autre plus récente, périurbaine et dans laquelle la proximité temporelle s’affranchirait des distances géographiques.

Comme l’ont souligné les résultats du dernier recensement, les villes se sont développées selon le schéma de l’étalement urbain, même si selon P. BESSY-PIETRI (2000) celui-ci serait moins vif que par le passé. Si, elle observe une sorte de tassement des augmentations de population des périphéries (seulement à peine plus de 30 % de la croissance urbaine entre 1990 et 1999 se réalise à l’intérieur des aires urbaines définies par leurs limites de 1990, contre presque 60 % par extension territoriale). Les années quatre-vingt-dix sont en effet marquées par un regain démographique des agglomérations, que ce soit les villes-centres ou les banlieues. Elle souligne surtout qu’il y a dans le même temps une diffusion de la croissance de la population sur de vastes territoires de plus en plus éloignés du centre des agglomérations, en particulier à proximité des aires urbaines les plus dynamiques et dans les espaces où le maillage urbain est dense : « un mouvement par vague concentrique repoussant toujours plus loin les limites de l’influence de la ville et celles des territoires que l’on qualifie de périurbains »45 (2001).

Il serait alors tentant de croire que ces franges périurbaines ne sont, comme leurs précédentes, qu’un simple sous-produit urbain et qu’elles sont donc destinées à plus ou moins long terme à s’incorporer, elles aussi à la ville dense. Or il semble, en étudiant les flux migratoires, qu’ils soient destinés à perdurer. Au-delà d’un seuil de population, certaines communes ne s’accroissent plus et la périurbanisation se diffuse plus loin. Bien loin d’une zone frontière entre l’urbain et le rural, elles apparaissent comme une production socio-spatiale relativement pérenne et donc comme une forme urbaine à part entière.

Il y aurait donc bien une transformation en profondeur de l’organisation et de la structuration non seulement des villes mais aussi des systèmes socio-spatiaux sous-jacents. La production d’une nouvelle forme de ville associe, une ville agglomérée faite de la ville-centre et d’une banlieue, et une ville diffuse, moins dense et plus rurale dans ces caractères physiques. Loin de s’exclure, les dynamiques en cours tendent à la fois à conforter la ville dense, voire à la renforcer et, dans le même temps, à produire de nouvelles formes urbaines

dans des périphéries éloignées constituées de communes rurales et de quelques bourgs fournisseurs d’aménités.

Ne peut-on pas alors identifier un périurbain, aujourd’hui intégré dans ce que l’INSEE nomme le pôle urbain, aggloméré et plutôt dense, et un périurbain qu’on peut rencontrer au-delà de cette limite statistique, voire même au-au-delà de l’aire urbaine elle-même ? Ces deux espaces périurbains, le proche et le lointain, ne vont pas se développer de la même manière.

Si hier il s’agissait, pour les communes de l’espace périurbain proche de la ville-centre, d’accroître la capacité d’accueil en logement exclusivement dans un mode individuel, aujourd’hui elles cherchent surtout à renouveler et diversifier leur parc immobilier.

On y observe certes toujours de la construction de maisons individuelles mais également du logement collectif, même dans les communes éloignées du cœur de l’agglomération mais intégrées à sa dynamique. Se développent donc, des espaces périurbains plus composites, alors que la ville diffuse se développe quasi exclusivement sur le mode individuel (exception faite de quelques logements collectifs dans les bourgs ayant un souci de diversification). Le développement des franges périurbaines n’impliquerait plus, comme cela fut le cas dans les années soixante-dix et quatre-vingt, le dépérissement de l’agglomération.

Ainsi, le périurbain a acquis au fil du temps un poids démographique et une consistance particulière qui en font, dans le système urbain contemporain, une composante à part entière, capable de développer des stratégies propres indépendamment de la ville-centre et parfois même contre elle. Cet espace n’est cependant pas aussi indifférencié qu’on pourrait le laisser supposer. Il n’y a pas vraiment de similitude entre une commune de première couronne aux fonctions diversifiées et aux caractères physiques périurbains affirmés et une commune de troisième couronne exclusivement résidentielle et encore très rurale. Le même constat peut être fait sur le plan politique et sur la capacité à affirmer son point de vue face à la ville-centre.

Ces variations, il est possible de les appréhender plus finement par l’identification du processus de disposition au sol des groupes sociaux qui y résident et qui permettent à minima, de bien saisir le périurbain comme une catégorie complexe où s’exercent aussi des phénomènes de spécialisation et de ségrégations socio-spatiales.

45 P. BESSY-PIETRI & Y. SICAMOIS, « Le zonage en aires urbaines en 1999. 4 millions d’habitants en plus dans les aires urbaines », INSEE Première, n°765, avril 2001

Alors, comme le suggère J.P. ORFEUIL « c’est sans doute l’inscription du phénomène de suburbanisation des couches moyennes dans son processus de production qui donne la clé de compréhension »46. Comme le montre une étude de l’Institut National de Recherche sur les Transports et leur Sécurité (INRETS) (POLACCHINI & ORFEUIL, 1998) sur la région parisienne, si la part du budget d’un ménage pour financer l’accession à la propriété reste cantonnée à 30 % du revenu, il n’en est pas de même pour le budget transport. Celui-ci augmente avec la distance, ce qui influe fortement sur les ménages choisissant d’habiter loin.

A travers cette recherche, les auteurs montrent bien « qu’il y a une relation nette entre le prix du m² et le revenu (et plus particulièrement le revenu par unité de consommation) des ménages, …, et que cela signifie plus sûrement que nous sommes orientés vers des zones compatibles avec nos revenus, dans les conditions définies par le marché et les pouvoirs publics »47.

46 J.P. ORFEUIL, « La mobilité révélatrice du nomadisme ou de la volonté d’ancrage ? », in T. SPECTOR et alii (Dir.), Villes du XXI° siècle, Actes du colloque de La Rochelle, Tome 2, Lyon, CERTU, 2001, p. 233.

47 Idem, p. 232.

CHAPITRE II

De l’accueil des couches moyennes à l’affirmation d’un modèle

Dans le document Les « captifs » du périurbain ? (Page 45-49)