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La complexification de la division sociale de l’espace périurbain

Dans le document Les « captifs » du périurbain ? (Page 64-68)

De l’accueil des couches moyennes à l’affirmation d’un modèle social

3. La complexification de la division sociale de l’espace périurbain

Plusieurs logiques expliquent la répartition au sol des couches moyennes. Si elles dessinent une division sociale en lien avec les valeurs foncières ou les marquages sociaux de la « ville mère », elles ont tendance, au fur et à mesure de la complexification de l’espace périurbain et

27 Voir en particulier les travaux du programme de recherche multi-sites, Du marché aux politiques de l’habitat et des politiques au marché : quels rapports et quelles interactions ?, coordonnés par R. BALLAIN et M.C.

JAILLET, à l’initiative du Plan Construction Architecture et de la Caisse des Dépôts et Consignations, 1998.

du système urbain, à mobiliser d’autres vecteurs de différenciations et à complexifier davantage l’appréhension des ségrégations socio-spatiales.

Un premier schéma apparaît autour d’une structure dite en « auréoles » qui dispose du centre vers la périphérie les couches moyennes par niveau de ressources, les plus riches d’entre elles s’installant dans la première couronne, les plus modestes étant repoussées dans une troisième couronne plus lointaine, là où le prix du terrain à bâtir est le moins cher. Le marqueur social qui organise cette logique de classement est celui de la valeur du foncier et de l’immobilier. A ce titre, le travail de M. BERGER (1992) à propos de la région parisienne montre parfaitement ces auréoles concentriques qui renvoient à la baisse des valeurs foncières et immobilières au fur et à mesure qu’on s’éloigne du centre. Pour J.C. CAVARD (1992) ce desserrement de population, en région parisienne, ne pourra que s’amplifier dans la mesure où les logements financièrement accessibles dans le centre de l’agglomération sont difficiles à trouver, ce qui conduit les ménages dans l’incapacité financière de se loger en zone centrale vers des sites d’urbanisation lointaine. On retrouve cette diffusion des classes sociales selon un schéma radioconcentrique dans d’autres agglomérations. Les travaux de M.H. LE GOASCOZ (1989) sur Rennes et de J. JEANNEAU (1989) sur Angers constatent un double phénomène.

Ils soulignent que, d’une part, cette exurbanisation s’effectue dans un rayon plus restreint, en particulier pour les ménages les plus aisés, « comme si la périurbanisation tendait à redevenir une banale suburbanisation » et pour qui « tout se passe comme si la localisation dans l’espace urbain avait aujourd’hui plus d’importance que le statut du logement »28. D’autre part, ils observent au niveau du flux des sortants du parc social deux dynamiques, soit un départ dans un parc social plus valorisé, soit un départ en périurbain pour ceux qui souhaitent accéder à la propriété, mais dans ce cas dans une commune de troisième couronne.

Mêmes observations à Toulouse, où les agents du cadre bâti ciblent des catégories sociales et de ce fait cloisonnent les filières d’accès au logement ce qui fait dire à M.C. JAILLET et G. JALABERT que « la société pavillonnaire est en réalité une société ségréguée, même si elle est présentée idéologiquement comme consensuelle »29.

28 J. JEANNEAU, « L’exurbanisation des citadins d’Angers dans les années 80 », in Dynamiques urbaines, op.

cit., p. 101.

29 M.C. JAILLET & G. JALABERT, « Politique urbaine et logements : la production d’espace pavillonnaire », L’Espace géographique, n°4, 1982, p. 297.

La deuxième logique reprend les grands marquages sociaux qui ont structuré l’espace de la

« ville mère ». A ce titre, M. BERGER observe, à travers le mouvement périurbain en Ile-de-France, l’apparition d’une mobilité de proximité à l’intérieur même du parc périurbain et montre qu’on ne peut plus assimiler la dynamique de ces espaces à un simple mouvement d’exurbanisation (1991). Ce réagencement se calque sur une division en quadrants, prolongeant la répartition différenciée des bassins d’emplois, des niveaux de qualification et des types d’activités qui les caractérisent. Ainsi « le dispositif sectoriel des Beaux Quartiers de l’Ouest parisien prolongé par les « belles banlieues » de l’Ouest et du Sud-Ouest, s’élargit aujourd’hui aux secteurs périurbains qui les jouxtent »30. Ces mouvements internes sont possibles grâce à la forte diversification de l’offre de logements en périphérie. Toutefois, elle note que « les combinaisons sociales dans le périurbain d’Ile-de-France reflètent la variété des types de parc et leur inégal degré de valorisation compte tenu de leur distance aux différents bassins d’emplois et de qualification »31. Pour M. BERGER, il n’y a pas un seul espace périurbain, et le processus paraît se modifier qualitativement. La mobilité résidentielle touche alors toutes les catégories sociales et les modalités de répartition apparaissent de plus en plus différenciées : « la disposition résidentielle des groupes dans l’espace urbain apparaît donc comme une des modalités de la ségrégation sociale »32. Comme le note F. BEAUCIRE,

« l’espace péri-urbain est en voie de segmentation sociale selon les dispositions qui rappellent la ségrégation sociale des quartiers en milieu dense »33.

Ce schéma radioconcentrique, selon lequel chaque ménage est censé se localiser en fonction des ressources dont il dispose et de l’importance qu’il accorde à la centralité, est perturbé par les politiques des collectivités territoriales, des promoteurs privés et des stratégies résidentielles des ménages (tout au moins ceux qui ont une capacité stratégique forte). Ainsi s’affirment, sous couvert de la métropolisation entendue ici comme la « concentration des richesses humaines et matérielles dans les agglomération les plus importante » et comme « un processus plus large qui intègre progressivement, autour des villes importantes, la vie quotidienne, économique, sociale, culturelle, politique de zones urbanisées, rurbanisées ou

30 M. BERGER, « Division sociale de l’espace et parc de logements », L’Ile de France et la recherche urbaine, STRATES n°2, CNRS, DATAR, Université Paris 1, p. 13.

31 Idem, p. 62.

32 Ibid., p. 16.

33 F. BEAUCIRE, « L’évolution démographique et sociale de la couronne péri-urbaine d’Ile-de-France », in Dynamiques urbaines, op. cit., p. 57.

rurales de plus en plus éloignées et diversifiées »34, deux autres logiques. L’une est liée aux axes de transport tandis que l’autre est qualifiée de « logique de site ». « La métropolisation, par le jeu du changement d’échelle du bassin de vie et par les modifications des structures urbaines, devrait entraîner une diversification des caractéristiques des logements, en renforçant notamment le poids des variables liées à la localisation, aux transports et à l’accessibilité des diverses fonctions urbaines »35.

La logique d’axe s’affirme ainsi de plus en plus, et vient perturber de ses radiales l’ordonnancement des cercles. Elle s’appuie sur les grandes voies de communication routières ou autoroutières et les lignes de transports en commun à desserte fréquente (en particulier les aménagements ferroviaires cadencés). Ces structures contribuent à irriguer les espaces qui les bordent et à les relier au centre dans de bonnes conditions de déplacement, avec un différentiel de rapidité et/ou d’optimisation de son temps appréciable. Leur accessibilité accroît leur attractivité et les transforme de ce fait en des lieux davantage convoités.

Cette tendance semble liée, comme le souligne les travaux de J.P. ORFEUIL (2000), à la déconnexion croissante entre lieux de résidence, lieux de travail et lieux d’activités hors-travail. Il semble aujourd’hui que les migrations résidentielles s’effectuent davantage selon des logiques plus ou moins déconnectées des questions professionnelles. Quant aux localisations des entreprises, elles ne s’effectuent plus, du moins en premier lieu, en vertu d’une recherche de proximité avec les zones d’habitation de leur main-d’œuvre. Trajectoires résidentielles et trajectoires des activités ne semblent plus être déterminées par des questions de proximité mutuelle, mais davantage par des questions d’accessibilité, comme le montre l’interpénétration des divers bassins d’emplois et d’habitat (GALLEZ et ORFEUIL, 1998).

Mais c’est sans aucun doute sur les questions relatives aux liens entre la vitesse et les budgets-temps que leurs résultats sont les plus parlants. Ainsi, ce sont les ménages les plus éloignés géographiquement qui consacrent le moins de temps à leurs déplacements. Un éloignement en distance n’est pas pour autant synonyme d’éloignement en temps, puisque la vitesse est deux fois plus élevée pour un habitant de la périphérie dite rurale (où la densité de circulation est faible et lorsque la desserte autoroutière est bonne) que pour un résident du centre.

34 F. ASCHER, « Prospective de l’habiter », in Logement et habitat l’état des savoirs, op. cit., p. 398.

Toutes ces variations apparaissent d’autant mieux compensées que l’ensemble des activités urbaines connaît déjà depuis quelques années un mouvement de déconcentration, évitant ainsi de plus en plus aux résidents périphériques d’avoir à se rendre dans les centres-villes. Des observations que confirment M. BERGER et F. BEAUCIRE, dans un article récent : «…les actifs ont tendance à rechercher du travail dans des cercles de plus en plus larges autour de leur domicile et en prendre en compte dans leurs choix résidentiels les probabilités de mobilité professionnelle. Le rôle d’un système de transport de plus en plus densément maillé est de permettre l’émergence d’un grand marché du travail métropolitain… »36.

La dernière logique de division sociale, celle dite de « site », englobe aussi bien des appréciations paysagères, environnementales que sociales, dont la « valeur » est presque indépendante de la localisation. Il en est de même, mais à l’inverse, pour des sites « frappés » de nuisances.

Ainsi, une véritable marqueterie sociale tend à se dessiner en lien avec les transformations urbaines et socio-économiques. Cette disposition est d’ailleurs de plus en plus difficile à observer tant elle combine de logiques et correspond de plus en plus à des changements dans les modes de vie de ménages qui s’y installent. Ces bouleversements accentuent les difficultés d’identification des espaces et modifient la répartition des inégalités spatiales et sociales de ce groupe social longtemps perçu comme homogène.

Dans le document Les « captifs » du périurbain ? (Page 64-68)