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Les composantes nécessaires

Dans le document Les « captifs » du périurbain ? (Page 171-174)

Une figure de l’accession en maison individuelle plus contrainte : celle des familles modestes du périurbain lointain

1. La maturation du projet d’accession

1.1. Les composantes nécessaires

Les ménages présentent la propriété comme la motivation principale, celle-ci étant argumentée par une série de « nécessités ». Quatre d’entre elles semblent prendre une place prépondérante. Il s’agit des variables d’ordre professionnel, d’ordre familial, d’ordre économique et enfin de l’ordre de l’habitat.

• La composante d’ordre professionnel

Dans un premier temps, l’acquisition d’une certaine stabilité professionnelle et partant de la possibilité d’une accumulation financière permet d’envisager l’accession à la propriété :

« Dans la mesure où on a une stabilité de l’emploi, autant se lancer » (I2, H, 28 a, technicien, Larra)37, « En tant que fonctionnaire on peut se lancer » (S6, H, 47 a, employé, Saint-Sulpice), « On pensait pas que ça irait aussi vite… et puis la situation professionnelle de mon mari a évoluée favorablement… » (Ll5, F, 38 a, chômage, Lavernose Lacasse).

• La composante d’ordre familial

Dans un deuxième temps, la construction ou l’agrandissement de la famille, et en particulier l’importance du rôle que peut jouer la naissance du premier ou du second enfant, pousse les ménages à faire un investissement dans la pierre : « C’est lui le déclencheur parce qu'à partir du moment ou il est arrivé … on a accéléré le processus » (I2, F, 30 a, congé maternité, Larra).

37 Chaque extrait d’entretien est suivi d’indications permettant de se reporter à la fiche jointe à la thèse afin de disposer des quelques éléments sommaires permettant de situer l’interviewé(e). Exemple : I2, H, 28 a, … Homme de 28 ans habitant en pavillon isolé à Larra et apparaissant en second rang dans le tableau récapitulatif. Pour plus de précisions, des notices biographiques placées en annexe peuvent être consultées.

Le souci de l’éducation des enfants, semble également un moteur important, avec pour objectif un meilleur environnement ou la crainte de mauvaises fréquentations. Un passé pavillonnaire heureux pour eux-mêmes sert, en outre, de référent. Les parents souhaitent alors en faire bénéficier leurs descendants :

« … une maison c’est ce qu’il y a de mieux pour des enfants, …, moi j’étais heureuse en maison, on avait le jardin, on pouvait sortir quand on le voulait et j’ai eu envie de leur donner ça aussi, en ville c’est pas possible… » (Lh2, F, 36 a, sans profession, Le Lherm),

« C’était surtout pour les enfants, pour qu’ils puissent grandir dans un environnement plus paisible, qu’ils aient de l’espace, un jardin, de la liberté pour aller et venir entre dedans et dehors, c’est plus épanouissant pour eux » (Lh5, F, 28 a, chômage, Le Lherm),

« Parce que c’était négatif qu’on remette les pieds dans un immeuble HLM, ça ne donne que des mauvaises fréquentations surtout pour les enfants et à cet âge là c’est très influençable et il fallait tout le temps les surveiller, ou t’étais, avec qui, c’était trop craignos le HLM, donc maison, ça joue dans le jardin et ça sort pas du lotissement, on sais avec qui ils traînent… » (Lh2, H, 37 a, employé, Le Lherm),

«Une maison et du terrain, …, de l’espace,…, pour lui [l’enfant] et pour nous » (I2, F, 30 a, congé maternité, Larra).

• La composante d’ordre économique

La troisième variable, d’ordre économique, est majeure. Elle pousse les ménages à s’orienter vers l’accession d’une maison individuelle pour « ne plus jeter l’argent par les fenêtres ». Ce discours déclinant les avantages de la propriété par rapport à la location, semble dominant même s’il n’est pas toujours exprimé. Une différence notable transparaît cependant avec ce qui avait pu être observé par le passé : l’argument n’évoque plus le refus de la dépendance envers un bailleur mais plutôt un avantage financier, en particulier sur la location :

« Notre premier souci était de devenir propriétaire parce qu’à force de payer des loyers on a l’impression de jeter l’argent par les fenêtres…» (Lh8, H, 48 a, profession intermédiaire, Le Lherm),

« Pour une maison qui a ici trois chambres, un grand jardin, on payait le prix du loyer de l’appartement, … » (Ll6, F, 44 a, congé maladie, Lavernose Lacasse).

A ce titre, une étude de P. CUTURELLO38 comparant les discours de propriétaires de 1978 à 1995, montre bien comment l’ensemble des propos qu’il a recueilli présentent des différences d’avec ceux décrits dans « familles mobilisés » : « L’ensemble de ce discours (des accédants à la propriété de 1995) présente les avantages du statut de propriétaire par rapport à celui de locataire, tant du point de vue économique que de la sécurité qu’il assure, mais il ne contient pas à proprement parler les arguments forts de la rationalité économique supérieure inhérente à la propriété qui était présents par exemple dans la noyau de l’échantillon initial »39.

Ainsi, devenir propriétaire « c’est de l’argent qui n’est pas perdu », c’est ne « pas donner un loyer pour rien ». Dans bien des cas, c’est même un acte qui est décrit comme normal pour tous les ménages ayant un emploi et des enfants :

« Bon c'est un moment on a des visions de la vie qui correspondent à une époque. Bon à l'époque c'était ça tout le monde devait faire du pavillonnaire » (S9, H, 48 a, cadre, Saint-Sulpice), « C’était montrer qu'on pouvait faire comme tout le monde » (Ll3, H, 42 a, ouvrier, Lavernose Lacasse), « Aujourd’hui tout le monde peut devenir propriétaire d’une maison, c’est plus facile… » (Lh4, H, 48 a, employé, le Lherm).

• La composante de l’ordre de l’habitat

L’achat d’une maison est, aujourd’hui, perçu comme une acquisition banale, la caractéristique d’une amélioration du niveau de vie et d’un changement familial, par rapport à la situation précédente. On peut même souligner que cette accession n’est pas seulement présentée comme un rêve. Elle est aussi, pour certains périurbains, l’expression d’un besoin de propriété et le plus souvent de maison, élaboré sous l’influence du milieu familial et rendu aujourd’hui plus facile avec la banalisation du financement et de la construction :

« … enfin on est accédant à la propriété, mais ça veut dire qu'on sera propriétaire plus tôt dans notre vie et ça nous laissera une marge de manœuvre pour faire des activités, enfin on pourra les faire plus jeunes que nos parents, on sera pas obligés d'attendre l'âge de la retraite pour les faire…» (I2, H, 28 a, technicien, Larra),

38 P. CUTURELLO et alii, Dialogues de propriétaires. De comment le devenir à comment le rester, Paris, PCA, MELT, 1997, 252 p.

39Idem, p. 164.

« Autant se lancer jeune, vous savez aujourd’hui c’est plus facile que pour nos parents et puis on sera vraiment propriétaire plus tôt… » (Ll8, F, 30 a, employée, Lavernose Lacasse).

Quelques ménages de l’échantillon du groupe des PL présentent cependant des discours plus complexes sur ce désir de propriété. En effet, pour certains, outre l’avantage financier sur la location, se profile une valeur de maîtrise et de sécurité que ne permettrait pas la location :

« Je suis chez moi et je fait ce que je veux, si j’ai envie de casser un mur, je casse un mur » (Ll2, H, 51 a, technicien, Lavernose Lacasse), « Pour avoir un toit, pour soi et pour sa famille » (Lh4, H, 48 a, employé, Le Lherm).

D’autres présentent aussi la propriété comme procédant de l’habiter. L’unique ambition affichée ici étant celle de l’usage, rendant secondaire la dimension d’appropriation : « …, Donc on a fait construire mais pour habiter pas pour se faire plaisir » (S10, H, 48 a, agent de maîtrise, Saint-Sulpice). Est-ce parce que ce projet, pour certaines familles, apparaît aujourd’hui plus aléatoire qu’auparavant ?

Dans tous les cas, l’emploi récurrent des expressions « chez soi », « à soi », « pour soi » marque toujours le besoin d’un espace à l’abri de l’autre, « le lieu de l’autonomie, de la liberté et du pouvoir faire »40 comme l’avait formulé N. HAUMONT. L’appropriation de l’espace sera a priori plus facile si on en est réellement propriétaire. Ces arguments sont, dans l’ensemble, similaires avec les discours des familles installées en périurbain aggloméré.

Dans le document Les « captifs » du périurbain ? (Page 171-174)