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Le périurbain support d’un modèle résidentiel

Dans le document Les « captifs » du périurbain ? (Page 37-40)

« ville émergente »

2. L’espace périurbain : support d’une politique du logement et d’un modèle résidentiel

2.3. Le périurbain support d’un modèle résidentiel

Comme le souligne la réforme de 1977, la conception consumériste du logement requiert plusieurs conditions. D’une part, il convient d’organiser une filière de production et de distribution du bien logement pilotée et tournée vers l’accession à la propriété de la maison individuelle. D’autre part, il faut que l’offre en logement s’organise autour de différents segments cloisonnés et hiérarchisés et qu’à chacun de ces segments corresponde une étape du parcours résidentiel des ménages. Il s’agit alors, autant pour les pouvoirs publics que pour les garants de l’appareil de production, de préserver un marché unifié, fluidifié et polarisé, depuis déjà quelques années, autour de l’accession à la propriété d’un logement neuf, en particulier d’une maison individuelle comme aboutissement d’une trajectoire résidentielle. Cependant, ce qui est nouveau dans ce phénomène, ce n’est pas tant le développement de cet habitat que

« l’ouverture de vastes zones à des formes nouvelles d’urbanisation »26.

On aboutit ainsi à une configuration du parc qui s’apparente à « un continuum de formes d’habitat hiérarchisées correspondant à autant d’emmarchements que les ménages peuvent franchir au cours d’une carrière résidentielle portée par la dynamique de promotion résidentielle. Pendant tout un temps, cette hiérarchie des formes de logements a été

26 J. MAYOUX, Demain l’espace, l’habitat individuel péri-urbain, Paris, La Documentation Française, 1979, p. 26.

considérée comme un bien établi : les ménages passaient du logement ancien inconfortable au cœur des villes au logement locatif public, puis au locatif privé neuf à la périphérie de villes-centres, et enfin à l’accession à la propriété en collectif puis en maison individuelle »27.

Chaque segment du parc correspond bien à une étape du parcours résidentiel ascendant des ménages. Certes la structure de l’offre reste fractionnée, mais les frontières qui séparent les différents segments du parc sont franchissables au fur et à mesure de l’avancée professionnelle et sociale qui caractérise cette époque. L’ensemble de l’offre est donc en quelque sorte unifiée par le flux qui porte les ménages vers le dernier segment, la maison individuelle en accession à la propriété.

Ce flux fait de la construction neuve un puissant levier d’intervention, c'est-à-dire que « les mécanismes d’ajustement de l’offre et de la demande fonctionnent de façon quasi-automatique à partir de l’injection de logements neufs sur le marché (pour les familles aisées), et du déclassement corrélatif des formes d’habitat antérieures (pour les plus modestes) »28. De plus, outre sa capacité dynamique, la construction neuve commande aussi la hiérarchie des formes de logement, jouant un rôle directeur tant sur la formation des prix que sur les marquages sociaux associés au logement. L’accès à un logement moderne et confortable, le plus souvent individuel, est indéniablement associé à la réussite sociale.

Cet arsenal de mesures mis en place et/ou confirmé par la réforme de 1977 conditionne pour partie les modes de vie des ménages. Ainsi sont pris non seulement en compte leurs revenus, mais également la taille de la famille, la zone géographique de résidence et l’activité éventuelle du conjoint. Ce système est alors censé permettre l’accession à une plus large frange de ménages et un meilleur brassage social de ces espaces de périphérie. L’ensemble combine, dans un même mouvement, la hiérarchie des formes du logement, l’expansion de l’urbanisation du centre vers la périphérie et les trajectoires résidentielles ascendantes des ménages. « La mobilité résidentielle des ménages et une offre immobilière, toutes deux polarisées par l’accession à la propriété en maison individuelle, alimentent ainsi une dynamique migratoire du centre vers la périphérie »29. L’ensemble est, bien entendu, corrélé

27 R. BALLAIN, C. JACQUIER et alii, Sites urbains en mutation. Territoires et trajectoires, Paris, éd.

L’Harmattan, 1990, p. 56.

28 R. BALLAIN, « La chaîne brisée du logement », Les cahiers du CR-DSU, décembre 1995, p. 7.

29 H. LOTTON-TAULET, Vers une territorialisation des politiques de l’habitat? Le cas de l’agglomération toulousaine, Thèse de Géographie et Aménagement, CIEU, UTM, 2001, p. 75.

avec une demande sociale. De ce fait, il y a correspondance entre les structures qui relèvent encore massivement du modèle de la famille avec enfants, les dynamiques socioprofessionnelles des ménages qui sont orientées de façon positive, et leurs trajectoires résidentielles et spatiales.

La domination du modèle familial dans la structure de la population n’est pas nouvelle, mais il s’agit maintenant de familles qui bénéficient, bien plus que dans le passé, d’une amélioration de leurs conditions de vie, rendue possible par la répartition des bénéfices de la croissance qui profite à des fractions sociales beaucoup plus larges qu’auparavant.

Ainsi, tout autant que le modèle de la famille biparentale, « le modèle du salarié jouissant d’un emploi stable, d’un revenu fixe, d’une trajectoire professionnelle ascendante assurant l’accroissement de son pouvoir d’achat logement »30 est constitutif d’une politique du logement et d’un système de production immobilière orientés vers l’accession à la propriété en maison individuelle. Ces projets résidentiels deviennent d’autant plus réalisables que s’accroît le travail féminin, permettant ainsi aux ménages de disposer de deux revenus. Dans le contexte d’une société en « montgolfière » et pour que continue à jouer « l’effet de chaîne » par la confortation de la construction neuve, en particulier en maison individuelle, l’Etat mettra en place, par la réforme de 1977 et les PAP. Ils permettront de renforcer l’accession à la propriété en faveur d’une population plus modeste. Pour les pouvoirs publics, cette stimulation du taux d’effort des ménages, déjà engagé par l’APL, doit à la fois assurer une amélioration des conditions de vie, un accroissement de la production immobilière et une extension des mécanismes marchands. Comme le souligne M.C. JAILLET : « le nouveau système de financement dirige des couches de population de plus en plus larges vers l’accession à la maison individuelle, en particulier pour les familles à faibles revenus qui ne peuvent trouver sur le marché du logement des produits de remplacement pour utiliser le PAP auquel elles ont droit »31. Dans un même mouvement « le retournement des mécanismes de financement (aide à la personnes au lieu de l’aide à la pierre) conduit producteurs et acheteurs à s’orienter vers ce nouveau marché forcément en périurbain »32.

30 H. COING & C. TOPALOV, « Crise, urgence et mémoire : où sont les vraies ruptures ? », in COLLECTIF, Le logement en questions, op. cit., p. 263.

31 M.C. JAILLET, op. cit., p. 45.

32 Idem, p. 45.

Tout ceci concourt à la mise en place d’un modèle résidentiel présenté comme le sommet de l’ascension sociale et d’une association entre espace périurbain et classe moyenne : « en même temps qu’il passe de l’habitat ancien inconfortable, au logement locatif public puis à l’accession en maison individuelle, les ménages quittent le centre des agglomérations pour leurs premières couronnes, puis leurs périphéries. Ce mouvement met en adéquation, autour d’un modèle résidentiel, offre immobilière, structure socio-démographique et organisation spatiale (…). On comprend qu’il ait pu faire système »33. Cette accession résidentielle

« ultime » se réalise donc en périphérie, faisant ainsi correspondre les modalités d’ajustement de l’offre et de la demande en logement avec une assise territoriale allant du centre des villes à leurs périphéries, organisant de nouvelles couronnes de banlieues à dominante pavillonnaire.

Les villages aux alentours des villes ont alors connu un fort développement résidentiel et ont été pour beaucoup « submergés » par une « vague pavillonnaire » souvent bien peu organisée et contrôlée. Bouleversant, dans un premier temps les équilibres sociaux existants, cet appétit des citadins pour un « coin de terre et de verdure » a également permis l’enrichissement de nombreux propriétaires fonciers (KAYSER & SCHEKTMANN-LABRY, 1981). Cependant, les modifications engendrées par l’entrée du pays dans la « crise économique » vont bouleverser, pas tant la validité de ce modèle que sa réalisation, en particulier pour les populations touchées par les transformations de l’emploi. De plus, il convient de rappeler que cet espace pavillonnaire se révèlera peu homogène et sera traversé, comme on le verra dans le chapitre suivant, par de très fortes segmentations.

Dans le document Les « captifs » du périurbain ? (Page 37-40)