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L’idéologie périurbaine

Dans le document Les « captifs » du périurbain ? (Page 51-55)

De l’accueil des couches moyennes à l’affirmation d’un modèle social

1. Un espace d’accueil des nouvelles couches moyennes salariées

1.2. L’idéologie périurbaine

Les populations de ces espaces périurbains semblent partager un certain nombre de valeurs et baigner dans les mêmes champs symboliques que nous présenterons ici succinctement : le pavillon, le refus de la ville et la recherche d’un environnement de qualité. Toutefois, leur installation est également liée à l’acquisition d’une nouvelle compétence individualisée : celle de se déplacer en automobile.

2 D’autres travaux peuvent être recensés, en particulier ceux du programme CNRS Observatoire du Changement Social, « Changer de place pour changer de classe ».

• Le développement de l’automobile.

Pendant longtemps, la ville est restée tributaire des moyens de transports collectifs qui exigeaient une certaine densité. A partir du moment où l’automobile s’est démocratisée, la distance n’est plus vraiment apparue comme un obstacle à la localisation des fonctions urbaines, et encore moins à l’installation des ménages en périphérie de leurs lieux d’activités.

Pour P. CLAVAL, cette « révolution des transports [a permis] la colonisation de la campagne par la ville »3 et dans un même mouvement le développement des voies de communications a mis fin à « l’isolement [de l’espace rural], qui constituait jadis un handicap principal [et qui]

n’est plus perçu comme un facteur inhibant »4. C’est ainsi que le développement du réseau routier a grandement facilité les choix de localisation des habitations par rapport au lieu d’activité, en ouvrant le « champ des possibles » et en démultipliant l’espace accessible pour un temps équivalent.

• Le pavillon

Le retour du pavillon fait apparaître quelques-uns des thèmes idéologiques qui avaient motivé le recours à la maison individuelle dans les phases précédentes : la maison comme garante de la constitution d’un patrimoine familial. Elle est aussi perçue par les familles comme le cadre adapté à leur constitution. L’habitat périurbain, c’est-à-dire la maison, mais aussi l’environnement naturel, exprime également, selon de nombreux travaux, un statut social. Il est « l’expression tangible de projets et de modèle de vie qui varient selon les revenus, les positions, les comportements et les références idéologiques des groupes sociaux »5. Il joue « un rôle très important dans la construction de l’identité sociale des périurbains… »6. De nombreuses recherches ont également souligné à quel point il est pouvait être propice à la hiérarchisation sociale et que malgré la forte homogénéité sociale apparente à

3 Citation empruntée à P. CLAVAL, in M. RONCAYOLO & T. PAQUOT (Dir.), Villes et civilisation urbaine, Paris, Larousse, 1992, p. 279.

4 B. KAYSER, La renaissance rurale. Sociologie des campagnes du monde occidental, Paris, Armand Colin, coll. « U » série Sociologie, 1990, p. 67.

5 R. HERIN, « Les espaces péri-urbains des projets et des systèmes de valeurs inscrit dans l’habitat et les pratiques sociales », in Les périphéries urbaines, op. cit., p. 142.

6 M. BERGER, « L’urbanité des périurbains d’Ile de France », Les Annales de la Recherche Urbaine, n°50, 1991, p. 57.

l’intérieur de l’espace périurbain et les faibles différences de standing des pavillons, les ménages ont tendance à accentuer tous les signes de différence de revenus ou de comportements (BENOIT-GUILBOT 1982, JAILLET, 1979). Ces positions sont aujourd’hui remise en cause par des recherches plus récentes qui font plutôt ressortir une certaine banalisation de cet objet ; une perte de sa fonction de distinction (JAILLET et alii, 2003).

Enfin, une dernière dimension que certains chercheurs, comme P. DRESSAYRE (1979), P.

BOURDIEU (1990) ou encore R. HERIN et A.M. FIXOT (1984), considéreront comme problématique dans l’idéologie du pavillon. Il est en effet, selon eux, susceptible de mettre un frein tangible au développement des solidarités de classe, voire de garantir la montée du conservatisme social et politique.

Nonobstant ces considérations, le pavillon offre un espace vers lequel peuvent être orientées des activités de loisirs pour les adultes (bricolage, jardinage) et les enfants (aire de jeux). Un autre mérite de la maison individuelle en périurbain, qu’elle pourrait d’ailleurs partager avec d’autres lieux et d’autres types de logement, mais dont elle assure peut-être mieux, c'est-à-dire plus communément l’exercice, est de permettre à chacun d’être maître de sa distance aux autres. Autrement dit, dans une société où l’individuation prévaut, la maison individuelle offre la possibilité de s’abstraire des rapports ou relations obligées, qu’il s’agisse des relations intrafamiliales, des relations avec le voisinage ou avec un environnement social plus large. L’autonomie, le libre choix sont devenus des valeurs cardinales qui organisent les modes de vie et le rapport à l’autre. Il ne s’agit pas d’éviter toute relation, mais simplement de tenter d’en maîtriser la nature, la fréquence et le moment. Ainsi, la maison individuelle permet-elle à chaque membre du groupe familial la possibilité d’entrer et de sortir plus librement, elle lui offre un espace spécifique, des coins et des recoins qui permettent de s’isoler ou de vaquer librement à ses occupations (RAYMOND, HAUMONT & alii, 2001 réédition). Dans ce type d’habitat, le jardin, fut-il petit, tient à distance le voisin qu’on peut choisir de voir ou d’ignorer.

• Le refus de la ville

Le mouvement de périurbanisation répond à une aspiration des Français en réaction aux difficultés de la vie en ville. Une des motivations majeure de l’installation en périphérie, se cristallise autour d’un rejet des immeubles, de la proximité non choisie, du confinement dans

l’appartement, du bruit, de la pollution, de l’absence de liberté ou de sociabilité pour les enfants ou encore du sentiment d’insécurité. A la fuite de la ville s’associe, comme par réaction, l’attirance pour des valeurs portées par le milieu rural. Cette attirance est d’autant plus fort que parallèlement, les années soixante sont marquées par un changement dans les représentations de la nature, avec entre autre la montée des valeurs écologistes, et un renversement des images dominantes de la campagne et de la ville : pour la première, elles sont devenues positives, la campagne a été « mise en désir »7, tandis que la ville est souvent considérée comme impropre à l’épanouissement familial, voire personnel.

• Recherche d’un environnement et d’une nouvelle proximité.

Au travers de ce désir de campagne, c’est avant tout un cadre physique qui est recherché, un espace différent de la ville et procurant, aux yeux de ces ex-urbains, verdure, calme et davantage de liberté. Plus qu’un cadre environnemental, on pourrait même dire qu’il y a là la recherche d’une proximité sociale, d’une authenticité qu’incarnerait le village ou l’image du village (HERIN, 1984). Ce mot village, comme vecteur de proximité sociale différente de celle vécue en ville, apparaît à la fin des années soixante dans la propagande publicitaire qui se dessine alors en faveur de la maison individuelle. Cette acception va rester, voire s’affirmer en tant que « figure spatialisée d’un vivre ensemble idéal » et son recours dans les discours

« pourrait être compris comme une condamnation de la ville étendue et ségrégative, …, lieu de l’anonymat, de la solitude et du conflit, opposée à la campagne comme lieu de la fraternité, de la solidarité et de l’harmonie, que celle-ci concerne le rapport aux autres ou à la nature »8. Il serait un « modèle d’adéquation entre cadre physique et relations sociales, modèle d’appropriation d’un espace. Allégorie de l’harmonie, parangon de la réconciliation d’oppositions récurrentes telles que nature/culture, tradition/modernité, travail/loisir, famille/société, frustration/désir… »9.

7 B. HERVIEU & J. VIARD, Au bonheur des campagnes, Paris, éd. de l’Aube, La Tour d’Aigues, 1996, p. 109.

8 G. BAUDIN & S. DUPUY, « Le village ambigu. Des voisins de la ville », Les Annales de la Recherche Urbaine, n°90, 2001, p. 78.

9 Idem, p. 80.

Autrement dit, pour les auteurs, « une échelle de dimension maîtrisable et, pourquoi pas, d’un entre-soi » mais, peut-être surtout et de la même manière que pour « le quartier », un mythe, un « espace de projection et de réservoir de sens », comme dirait C. BIDOU10.

Cependant, bien que partageant un certain nombre de valeurs communes, les périurbains ne sont pas pour autant un groupe totalement homogène. Déjà R. HERIN lors du colloque de géographie sociale d’Angers sur les périphéries urbaine (1984), avait soulignait qu’il n’y a pas nécessairement d’équilibre entre les deux systèmes de valeurs qui gouvernent l’espace péri-urbain (celui de la ville et celui du village). Il pose, dans son travail, la question des populations ayant des moyens plus limités pour maîtriser conjointement ces deux ensembles d’idées : que ce soit en termes de moyens matériels pour les réaliser ailleurs, de moyens sociaux faute d’être dans les systèmes de relations et de moyens culturels pour les amener à en comprendre l’intérêt. Il y aurait donc un inégal accès au « pouvoir qu’ont les habitants péri-urbains de saisir et de valoriser dans un projet global l’ensemble des dimensions de leur double appartenance, fonctionnelle vers le [ou les centres] et résidentielle à la périphérie »11. C. BIDOU reconnaît également que cet activisme des représentants des couches moyennes sur la scène publique ou semi-publique des communes péri-urbaines n’est pas toujours effectif ou possible. Une situation qui peut s’avérer, selon elle et comme nous le verrons dans la dernière partie de cette recherche, sclérosante en termes de relations sociales, d’identité sociale et aboutir à un repli sur soi tout aussi «schizoïde » que celui observé auprès de résidents des zones d’habitat social12.

Dans le document Les « captifs » du périurbain ? (Page 51-55)