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Le concept d’exposition

Sigles et abréviations

1.4 Le concept d’exposition

1.4.1 Définition du concept

L’évaluation de l’exposition, sous ses formes diverses, s’est développée au cours de la seconde moitié du XXe siècle, notamment dans le domaine de l’épidémiologie, de l’hygiène industrielle et de la radioprotection. L’évaluation de l’exposition telle que définie dans la méthode d’évaluation des risques sanitaires s’inspire d’éléments de ces trois disciplines et s’inscrit dans leur continuité. Elle progresse depuis les années 1970 en raison d’une attention croissante portée à la problématique de la pollution chimique à la fois par le public, les sphères académiques, industrielles et gouvernementales. Au cours des trois dernières décennies, plusieurs institutions ont cherché à stabiliser la définition de ce concept. La première à le faire fut l’Académie des sciences états- uniennes qui, en 1983, en proposa une approche dans le « Red book », Risk assessment in the

Federal Government: Managing the Process (NRC, 1983). Dans cette approche, l’exposition

constitue, avec l’identification des dangers et la mesure des relations dose-réponse, l’une des composantes de l’évaluation des risques. Elle dépend de l’ampleur, de la durée, de la fréquence et des voies d'exposition, mais aussi de la taille, de la nature et des catégories de populations humaines exposées, ainsi que des incertitudes présentes dans toutes ces estimations. Toutefois, dans un document rédigé en 1992 pour définir l’application des préceptes édictés par l’Académie des sciences dans le « Red book », l’US EPA rappelle que la terminologie employée dans la littérature de l’évaluation de l’exposition manque de cohérence. Cette situation a évolué. Ainsi, dans le domaine de la santé publique, il existe un consensus sur le fait que l’exposition humaine implique un contact avec l’agent. Le glossaire de l'International Society for Exposure Analysis (ISEA) définit l'exposition comme « contact between an agent and a target. Contact takes place at

an exposure surface over an exposure period » (Zartarian et al., 2005). Mais les modalités de

contact restent discutées entre 1/ la partie extérieure de la personne (peau, bouche, narines, etc.) et 2/ ce qui est défini par les surfaces d’échange où l’absorption a lieu (peau, poumons, tractus gastro-intestinal, etc.). Ces considérations conduisent parfois à des ambiguïtés lors de l’utilisation des termes et des unités en matière de quantification de l’exposition.

En 2004, l’International Programme on Chemical Safety (IPCS) a aussi discuté de la terminologie des termes génériques employés en évaluation des risques sanitaires, parmi lesquels l’évaluation de l’exposition (IPCS, 2004). Cette institution définit l’évaluation de l'exposition comme le processus d'estimation ou de mesure de l'ampleur, la fréquence et la durée d'exposition à un agent, ainsi que le nombre et les caractéristiques de la population exposée. Idéalement, elle décrit les sources, les voies et les incertitudes associées à cette évaluation. L’évaluation de l'exposition est fondée sur des scénarios d'exposition définis comme une combinaison de faits, d’hypothèses et de déductions qui décrivent une situation où des expositions potentielles peuvent se produire. L’Agence européenne des produits chimiques (European Chemical Agency, EChA) précise ainsi dans le chapitre 14 du document « Guidance on information requirements and chemical safety

assessment », portant sur l’évaluation de l’exposition professionnelle aux substances chimiques,

que celle-ci doit normalement être entendue comme une exposition externe. Elle est définie comme la quantité de substance ingérée, en contact avec la peau, et/ou inhalée (représentée par la concentration dans l'air de la substance dans la zone de respiration d'un travailleur) (EChA, 2012).

1.4.2 La mesure des expositions

Les doses d’exposition sont usuellement calculées à partir de mesures réalisées avec la construction éventuelle de scénarios d’exposition réalistes et plausibles ou, à défaut, à partir de la modélisation. Cette étape vise à décrire et quantifier aussi précisément que possible les expositions à un agent, correspondant à un milieu donné, pour une voie d’exposition donnée et pour un groupe d’individus donné, en investiguant la contamination du milieu (médias d’exposition concernés, localisation, niveaux de contamination dans le temps et dans l’espace, etc.), les

populations concernées par cette contamination (nombre, caractéristiques) et leur mode de vie ainsi que les voies d’exposition, les fréquences et les durées de contact avec l’agent dangereux. Les types de mesure de l’exposition concernent à la fois :

des mesurages personnels, en l’occurrence i) une dose externe via par exemple un capteur individuel portatif, pour l’exposition par inhalation ou ii) une dose interne (indicateur biologique d’exposition) pour l’exposition toutes voies confondues via des mesures biologiques dans le sang, les urines, les cheveux, le lait maternel et parfois les ongles et la salive ;

 des données indirectes en s’appuyant sur des facteurs environnementaux (mesures ou modélisation) et sur des facteurs humains d’exposition (activités, comportements ou paramètres physiologiques, morphologiques) pouvant intégrer une dimension historique.

1.4.3 Une approche globale des expositions professionnelles

Depuis une quinzaine d’années, le concept d’exposition professionnelle, notamment aux produits chimiques, a été considérablement enrichi par le développement d’approches interdisciplinaires mettant en jeu notamment l’expologie ou l’ergotoxicologie. Ces approches s’appuient sur le concept d’« activité » tel que l’utilisent les ergonomes pour affiner la compréhension des situations dans lesquelles les travailleurs sont exposés à des agents3 pathogènes présents sur le lieu de travail. Elles considèrent le travailleur à la fois comme un élément productif qui tente de répondre aux objectifs qui lui sont fixés, mais aussi comme un sujet, qui apporte sa contribution individuelle et personnelle au système technique et qui, en retour, peut recevoir certaines formes de reconnaissance formelle ou informelle (Rabardel et Pastré (2005), p. 24). L’activité apparaît dès lors comme un déterminant de l’exposition. Elle « est le lieu de régulations individuelles et

collectives qui peuvent se matérialiser sous forme de conduites d’évitement ou de prise de risque "raisonnée" du point de vue de l’opérateur » (Sari-Minodier et al. (2008), p. 80).

Ces travaux issus de l’ergonomie mettent en exergue deux points :

 L’expologie insiste sur la forte variabilité interindividuelle des expositions. Elle souligne que la compréhension des situations d’exposition professionnelle aux agents pouvant provoquer des pathologies nécessite « la prise en compte de l’homme (…) dans toutes ses

dimensions (médicale, qualification, statuts, compétences, formation et information…) »

(Sari-Minodier et al. (2008), p. 79). Les évaluations de l’exposition reposant sur un « individu moyen » ne sauraient donc être considérées comme fiables.

 L’ergotoxicologie, attire l’attention sur le fait qu’une erreur souvent commise lors de l’analyse des risques est d’aborder les situations d’exposition aux agents pathogènes une par une, en les découpant par facteurs de risque.

Ainsi, par exemple, dans le cas de l’exposition de viticulteurs à des produits phytopharmaceutiques, il est nécessaire d’articuler l'analyse d'une situation d’exposition à un danger d’origine chimique, avec celle d'un travail physique et d'une exposition à la chaleur, le tout avec le port d’une combinaison, voire d’un masque, qui accentuent la pénibilité et gênent la respiration. Ces conditions peuvent, dans certains cas, accélérer le passage des pesticides dans l’organisme. En effet, le travail physique associé au travail et à la chaleur va nécessiter la mise en place de fonctions physiologiques d’adaptation à ces conditions. Cela va se traduire par une augmentation de la fréquence cardiaque puis de la fréquence respiratoire. Si le produit chimique

3 La notion d'agent est ici utilisée au sens de Zartarian V, Bahadori T, McKone T (2005) Adoption of an official ISEA glossary. J Expo Anal Environ Epidemiol 15(1), 1-5. : "A chemical, biological, or physical entity

that contacts a target". La notion d'agent pathogène inclut tous les agents source de pathologie y compris les

se caractérise par une voie de pénétration respiratoire, l’augmentation de la fréquence respiratoire va sensiblement augmenter le passage du produit dans le corps. De plus, la dilatation des vaisseaux sanguins sous-cutanés est nécessaire pour évacuer la chaleur produite par le travail et maintenir la température centrale dans des limites acceptables. Le port d’une combinaison viendra alors fortement limiter la possibilité d’échange thermique. Si le produit chimique se caractérise par une voie de pénétration cutanée, alors cette augmentation du débit sanguin sous-cutané va aussi favoriser son passage dans l’organisme.

Cet exemple illustre la nécessité d’analyser les expositions des individus en tenant compte des pratiques pour saisir les éléments qui se conjuguent dans les situations concrètes d’activité. Une telle approche nécessite d’identifier les déterminants de l’activité qui conduisent à des situations d’exposition, qu’ils soient d’ordre technique, organisationnel, ou bien humain.

1.4.4 Le cas des expositions professionnelles aux pesticides

Quelle que soit la manière dont sont mesurées les expositions aux pesticides (questionnaires, expertises, matrices, biomarqueurs… ), la recherche d’un lien avec la santé conduit à s’interroger sur la pertinence des indicateurs d’exposition retenus vis-à-vis d’un effet donné. Cette pertinence peut être examinée à la lumière de divers paramètres tels que la latence nécessaire pour voir apparaître un effet, la dose (cumulée ou instantanée), la fréquence des expositions, l’existence de fenêtres de sensibilité (âges de la vie), de paramètres individuels de sensibilité, le rôle des combinaisons de substances (à un temps donné ou au cours de la vie)…

La connaissance de mécanismes d’action est en théorie susceptible de fournir des arguments et d’orienter les choix concernant les indicateurs d’exposition mais tous ces mécanismes ne sont pas connus. La connaissance des propriétés toxicocinétiques et toxicodynamiques peut aussi fournir des arguments d’intérêt. Cependant, pour la plupart des substances et la plupart des effets, les connaissances en lien avec le métabolisme et les mécanismes d’action sont souvent partielles et ne permettent pas toujours d’orienter clairement vers les indicateurs d’exposition les plus pertinents vis-à-vis d’un effet donné, pour une substance donnée et dans une population donnée. Dans la plupart des domaines de santé, l’augmentation de l’effet en fonction de la dose reste un principe de base communément admis et cette relation « dose-effet » est un élément fort dans le jugement de causalité. Ainsi, dans le domaine de la cancérogénicité, même si la forme des relations entre l’exposition et la maladie peut donner lieu à des modélisations diverses, prenant en compte ou non des effets seuils, on admet le plus souvent la proportionnalité entre la dose et l'effet pour la survenue d’un cancer. Pour les perturbateurs endocriniens cependant, il a été avancé que des effets à faibles doses se produisent et que ceux-ci peuvent dans certains cas être qualifiés de paradoxaux, car apparaissent plus marqués à faible dose qu’à forte dose. Dans le cas des effets neurologiques, l’effet d’une exposition unique mais massive à des pesticides pourrait être à l’origine d’effets retardés, mais il n’est pas exclu que des doses moindres et répétées puissent produire les mêmes effets. Ces diverses observations soulignent bien la complexité inhérente à l’estimation des effets des expositions qui dépasse la simple question de la mesure mais met également en jeu la construction d’indicateurs devant être adaptés aux substances et aux effets de santé.

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