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Efficience, substitution, reconception : trois grandes logiques d'intervention

Pb i : représente la probabilité qu’un exploitant ait utilisé la molécule par année où il a cultivé la vigne pendant la

6 Moyens actuels de réduction des expositions et/ou des risques

6.1 Réduction d’usage

6.1.1 Efficience, substitution, reconception : trois grandes logiques d'intervention

Dans ce contexte et à la demande des ministères chargés de l’agriculture et de l’environnement, l’expertise scientifique collective « pesticides » (Aubertot et al., 2005), et plus récemment l’expertise technique « Ecophyto R&D » (Butault et al., 2010) ont posé les bases scientifiques et techniques des possibilités de réduction des utilisations de produits phytopharmaceutiques en France. Plusieurs enseignements méritent d'être tirés de ces travaux, et notamment des réflexions conduites à partir du cas des grandes cultures. Dans ce domaine de production, les stratégies actuelles sont guidées par l’espérance de rendements élevés à des coûts de production faibles, et par une organisation du travail facilitant l’agrandissement toujours croissant des exploitations. Ces objectifs favorisent la spécialisation des systèmes de production agricoles et de territoires autour d’un nombre restreint de productions, alimentant la spirale « intensification/utilisation de pesticides » rendue possible par la disponibilité de produits phytopharmaceutiques efficaces et peu coûteux.

Lorsque les acteurs souhaitent réduire l’usage de produits phytopharmaceutiques, plusieurs logiques d’intervention peuvent être envisagées. S‘appuyant sur le cadre ESR (Efficience/Substitution/Reconception) proposé par Hill et MacRae (1996), les stratégies de réduction peuvent être distinguées selon qu’elles privilégient des logiques d’amélioration de l’efficience des interventions par un raisonnement des applications (optimisation des intrants), la substitution de molécules chimiques par des techniques qualifiées d’alternatives (ne nécessitant pas le recours au chimique), ou des logiques de reconception basées sur des principes de gestion agronomique visant à reconcevoir les systèmes pour créer des conditions défavorables au développement des bioagresseurs des cultures.

Ces différentes logiques, complémentaires, diffèrent dans leur ambition de réduction d’usage. La première logique, d’efficience, vise à accroître l’efficience des applications de produits phytopharmaceutiques afin d'en réduire la consommation. C’est la logique de « la bonne dose au

bon moment ». Les attendus portent sur une limitation des gaspillages par suppression de

traitements inutiles (grâce aux observations de terrain et/ou à l’utilisation d’outils d’aide à la décision), la limitation des quantités apportées par traitement en jouant sur les techniques et conditions d’application. Les réductions d’usage réalisées selon cette logique restent très limitées au regard des enjeux : les systèmes de culture actuels génèrent des conditions de milieux favorables au développement de bioagresseurs. Ils sont de fait intrinsèquement très dépendants des produits phytopharmaceutiques. La réduction des usages par optimisation des traitements est

donc limitée, à système de culture inchangé (Aubertot et al., 2005). En 2010, lors de la restitution publique d’Ecophyto R&D, les acteurs de la R&D envisageaient une réduction d’usage de 10 à 15 % par la mise en œuvre de cette logique (et citaient des chiffres de 20 à 30 % sur le moyen terme). L’absence de diminution des utilisations de produits phytopharmaceutiques cinq ans après la mise en œuvre du plan Ecophyto (on note même une augmentation moyenne de 5 % des utilisations) non seulement confirme les faibles réductions d’usage à attendre de cette logique d’efficience, mais semble même démentir les possibilités de réduction annoncées par la profession agricole en 2010. Il est, dans ce contexte, étonnant de voir réaffirmé cet objectif de réduction de 25 % dans la deuxième version du plan Ecophyto, en en fondant l’atteinte notamment sur le déploiement à grande échelle de cette stratégie d’efficience.

La deuxième logique, de substitution, vise initialement à substituer les produits commerciaux de synthèse par des techniques qualifiées d’« alternatives » car ne recourant pas à des produits chimiques de synthèse, par exemple des techniques de lutte biologique (ex. des trichogrammes sur maïs) ou des techniques de lutte mécanique (ex. du désherbage mécanique). Dans cette logique de substitution que nous dénommerons « de type I », on recherche à travers ces techniques alternatives la même fonction que la lutte chimique : la destruction du bioagresseur. Par extension, certains acteurs utilisent ce concept de substitution pour le remplacement par un autre pesticide de synthèse au profil « environnemental » plus favorable en fonction des objectifs poursuivis (moindre impact sur la faune, la qualité de l'eau...). Nous nommerons cette stratégie substitution « de type II » pour bien la distinguer de la première.

Les stratégies de substitution de type I visent à limiter l’usage des produits que l’on cherche à remplacer. Cela peut effectivement conduire à diminuer l’usage de certains produits, mais pour des conditions où la pression de bioagresseurs est plutôt faible. En effet, toutes les techniques dites alternatives sont à efficacité partielle et nécessitent d’être combinées pour atteindre un niveau d’efficacité suffisant sur le bioagresseur et comparable à celui obtenu par la lutte chimique (Aubertot et al., 2005). De plus, ces techniques sont aujourd’hui encore peu disponibles et généralement directement plus coûteuses que la technique chimique qu’elles visent à remplacer, et d’application moins aisée. Cette stratégie de substitution ne sera donc réellement efficace que si elle est accompagnée d’une stratégie visant à réduire en amont la pression des bioagresseurs (donc combinée avec des stratégies de reconception des systèmes). Toutes choses égales par ailleurs (à situation culturale inchangée), et comme pour la stratégie précédente, les attendus en termes de réduction d’usage apparaissent donc ponctuels et très faibles.

La substitution de type II (par un autre produit à profil plus « correct » en fonction des enjeux de la substitution) peut concerner divers types d'enjeux environnementaux (impact eau, faune...) mais aussi des enjeux de santé pour la main-d'œuvre des exploitations et, de façon indirecte, pour la population. Dans ce cas, ce n’est pas la réduction des usages qui est visée mais la réduction du risque, par le remplacement de produits toxiques ou écotoxiques par des molécules à risque réduit. Elle nécessite que les acteurs connaissent les profils de toxicité et d’écotoxicité des molécules qu’ils utilisent, ainsi que celui de leurs métabolites. Ces informations, quand elles existent, sont encore d’accès peu aisé pour l’opérateur, et rendent son utilisation aujourd’hui illusoire en France. De plus, cette logique de substitution peut s’accompagner de transfert de possibles effets négatifs (d’un compartiment santé à un compartiment eau, d’un compartiment eau à un compartiment air…).

La troisième logique, de reconception, vise à repenser l’agrosystème (a minima la combinaison des techniques et des cultures, mais aussi l’organisation spatiale des systèmes et les aménagements) afin de favoriser une régulation naturelle des ravageurs et de soutenir sa propre fertilité à des fins de productivité agricole. Elle s’appuie sur une combinaison de différentes méthodes non chimiques (contrôle génétique, lutte physique, lutte biologique et contrôle cultural) en complément, voire en remplacement des méthodes chimiques habituelles. Elle conduit à créer des conditions agronomiques défavorables au développement de populations de pathogènes, et donc à une diminution du besoin de traiter. Cette logique s’inscrit donc dans un changement de paradigme assez profond en matière de protection des cultures : passer d’une logique de « lutter contre » à une logique de « protéger de ». Ecophyto R&D a chiffré par filière et entre cultures les diminutions d’utilisation pouvant être atteintes. En grandes cultures, sous contexte économique de

2006 et avec des connaissances agronomiques de 2010, ces réductions peuvent atteindre 20 à plus de 50 % selon les cultures sans conséquence pour le revenu agricole, mais avec des conséquences potentielles pour les filières (modification d’assolement indispensable pour atteindre les réductions élevées, remise en cause de la spécialisation et la simplification des systèmes…).

6.1.2 Logiques d'intervention et expositions potentielles des personnes travaillant

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