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Conclusion  du  chapitre  1

5. Le cercle, une des suites logiques de l’encastrement

La construction sociale d’un tel « environnement d’échange aménagé », pour les observateurs extérieurs, peut s’avérer être un amalgame inextricable. Elle est une mécanique complexe. Elle peut prendre le parti d’une auto-régulation, ce qui semble être sa finalité en prenant néanmoins appui sur le dispositif de régulation économique.

Ce dernier détermine le marché comme « la forme exclusive de coordination des agents à travers un système de prix qui équilibre simultanément l’ensemble des marchés et assure un optimum parétien à partir d’une distribution donnée des ressources entre les agents », (Rallet, 1993, p. 47). La notion d’optimum parétien justifie le mécanisme circulaire de découplage-encastrement. Nous avons noté précédemment146 que Douglas (1989) souligne la

fragilité des conventions fondées uniquement sur l’auto-régulation. Quant à Orléans (2004), il démontre la nécessité d’une légitimité au sein de l’échange. C’est en partie le rôle des conventions.

Cette construction sociale devrait donc présenter des propriétés telles que la stabilité et la robustesse à l’incertitude. Il n’en est rien puisque les mouvements perpétuels, au sein et entre les espaces, sont justement l’objet d’une forme d’incertitude, une perturbation, provoquée par les identités147 à la recherche d’une maximisation de leur performance ou d’une minimisation de leurs contraintes148.

5.1.L’opportunisme, source d’incertitude malgré les règles et les conventions

Cette perturbation de l’espace d’échanges est dévolu aux comportements opportunistes dans le sens de Boissinot et Paché, « Parler de comportement opportuniste, c’est admettre que l’intérêt individuel prime sur la recherche d’un « bien-être » collectif en n’hésitant pas, pour cela, à abuser volontairement de l’autre partie. », (Boissinot & Paché, 2007, p. 2). En réalité, c’est toujours la recherche d’une performance qui mobilise les intentions. Cette performance ayant toujours une finalité, une expression financière, c’est autour de Williamson, et de ses travaux sur les coûts de transaction, que nous trouvons « le discours le plus articulé sur le concept de comportement opportuniste. », (Lapointe & Pageau, 2000, p. 7)

146 Voir notre chapitre « 3.2. Pas de construction sans convention, pas de convention sans règles »

147 Que nous pouvons nommer également « agent » ou « acteur » selon que nous mobilisons une approche économiste ou la notion de réseau.

Boissinot et Paché relèvent neufs stratégies d’opportunisme prêtes à surgir pour échapper aux « pressions » des règles de l’espace d’échanges dans lequel les individus sont encastrés149. La construction sociale ne peut donc pas, à elle seule, contrôler et maitriser ces comportements opportunistes qui fragilisent l’espace d’échanges encastré. Il serait « maladroit de surestimer l’importance de la socialisation », (ibid. p. 8). Le tableau ci-dessous reprend les neuf formes d’opportunisme auxquels un espace d’échanges encastré peut être soumis.

Tableau 7 – Les neuf stratégies opportunistes

Source : Boissinot et Paché, (2007, p. 10)150

Cette stratégie peut être ex ante lorsqu’elle s’opérationnalise lors de la négociation du contrat, ou ex post lorsqu’elle apparaît au cours de l’exécution du contrat, (Koenig, 1998; Amann, 1999). L’information étant généralement asymétrique dans un environnement concurrentiel tel que peut l’être un marché explosif151, la seule crainte d’une perturbation peut inciter les acteurs à agir. Ils tentent d’anticiper l’incertitude, mais tout en la générant eux-mêmes.

5.2.Le cercle, différent du réseau dans sa finalité

Les relations économiques et sociales établies (même) dans le cadre d’un mécanisme « d’encastrement-découplage-encastrement » est appréhendé, par la plupart des auteurs, à un réseau. Le réseau qui peut être défini comme un « ensemble d'éléments en liaison les uns avec les autres. Sans nécessairement être le reflet d'une forme d'organisation hiérarchisée, ces

149 Les auteurs utilisent dans leurs descriptions la notion d’encastrement au sens de Granovetter.

150 Les auteurs ont jugé utile de préciser que ce tableau est une « élaboration personnelle de A. Boissinot ».

liens expriment l'existence d'objectifs communs et rendent possible l'échange efficace de biens et/ou d'informations entre les membres du réseau », (Lehu, 2004, p. 700)152.

L’espace de relations, défini plus haut, inséré dans un espace plus grand, dépasse la notion de réseau à proprement parler, essentiellement parce qu’il est régi par une certaine hiérarchisation dans son organisation. Néanmoins, les motivations du réseau sont bel et bien convoquées dans cet espace. Selon Lehmann et al. « Ce qui importe dans un réseau, c’est plus sa manière de fonctionner que sa composition à un moment donné. Son fonctionnement peut être appréhendé grâce à plusieurs dimensions : sa cohésion, son potentiel combinatoire et son mode d’activation », selon la définition du Strategor (2009, p. 617)

Il se trouve par conséquent que l’espace d’échanges soit à un autre niveau que celui du réseau, sans pour autant exclure totalement le modèle. La raison en est évidente, sans une forme de hiérarchie, il régnerait un certain libéralisme générateur d’une incertitude de toutes parts et de tous les instants. Néanmoins, cet espace ne peut totalement réfuter ces gènes. Il est le produit des contours d’un réseau. Il s’avère que l’objet précis de l’encastrement est de maitriser l’incertitude, à travers une identité qui agit pour le contrôle. Il faut donc explorer une autre voie que celle de la simple, mais néanmoins nécessaire, confiance entre les acteurs, ou identités, encastrés. Sawicki (2011) nous donne une terminologie intéressante de milieu partisan qu’il accole immédiatement au vocable de cercle employé par Degenne (1986). Degenne emprunte lui-même ce terme à Simmel (1897) et Bouglé (1897) pour définir une des formes de construction sociale. Pour Grossetti et Bès il y a « deux types de structures sociales : les réseaux et les cercles. », (2003, p. 47). Pour les auteurs, le cercle est préexistant car il génère des relations lors de l’adhésion.

C’est sur ce point que nous prenons une distance avec l’affirmation de Grossetti et Bès. Bien que nous nous appuyons sur les travaux des auteurs précités entre autres, nous défendons l’idée qu’un cercle émane d’un ensemble composé de relations afin de se protéger plus encore que ne le protège l’encastrement. Par conséquent nous reconsidérons également l’idée que l’encastrement résulte des cercles. « L’influence des relations sur les cercles, c’est ce qui désigne la notion d’encastrement. », (Grossetti & Bes, 2003, p. 51). Ceci peut être le cas dans une vision purement sociale d’une construction des relations sociabilisantes, mais ne semble pas l’être dans notre approche hybride « économico-sociale ». C’est ce que nous allons tenter

152 Nous avons volontairement choisi cette définition, tant les autres définitions sont marquées des courants forts des différentes disciplines de recherche.

de démonter, sans pour autant réfuter la totalité des apports de ces auteurs. La figure 11 positionne le cercle selon notre point de vue.

Figure 11 –Acteurs, identités, réseaux et cercle.

Adapté de Grossetti et Bès, (2003, p. 50)

5.3. Le cercle, verrou supplémentaire de la structuration d’un espace d’échanges

stabilisé

Le cercle se différencie du réseau par un principe de conscience. En effet, nous avons constaté, ut supra, que le réseau importe plus sur « sa manière de fonctionner que sa composition à un moment donné », comme l’affirme Lehmann- Ortega et al., (2009, p. 617). Alors que Grossetti et Bès soutiennent que le cercle peut être défini « à partir d’ensembles d’acteurs dotés d’une certaine identité collective, se manifestant par l’existence de médiateurs, de règles d’appartenance, de références plus ou moins partagées. » , (2003, p. 49). Nous retrouvons dans cette définition les caractéristiques même de la construction des identités assemblées en une identité qui agit pour le contrôle. L’ensemble s’encastrant dans une dynamique d’ajustement. C’est la différence fondamentale entre le réseau et le cercle.

Pour les membres d’un réseau, il n’a pas automatiquement la nécessité d’un sentiment d’appartenance, une « conscience réseau ». Un individu peut faire partie d’un réseau sans le savoir. C’est au moment où il sera sollicité par un autre membre du réseau qu’il aura cette conscience. La réalité du réseau fait que deux acteurs « a » et « b » peuvent être mis en rapport par un troisième « c », alors qu’ils ne se connaissaient pas auparavant. Il se peut même que « b » ne connaissait pas le lien entre « a » et « c » et, que réciproquement, « c » ne soupçonnait pas qu’il y ait un lien entre « a » et « b ».

L’appartenance à un réseau est fondée sur des critères parfois inconnus de ceux qui en font partie, voire de ceux qui y sont insérés par ses membres. Il y a également une certaine forme d’opportunisme dans cette forme, puisque l’introduction d’un tiers peut causer des externalités sur la structure ou envers un membre du réseau. Ils ne partagent donc pas mécaniquement une notion commune du contour du réseau. Dans le modèle « Plug and Play » de la Grande Distribution, le fait de ne pas échanger, ne veut pas signifier que le prestataire n’est pas retenu. Il ne représente peut être pas l’optimum, ou ne participe pas à un montage optimum de la transversalité de la chaîne aval. Mais il peut être à tout moment sollicité par la Grande Distribution qui a intégré dans son panel de choix les caractéristiques de ce prestataire.

Dés qu’une conscience de l’appartenance apparaît, il y a construction potentielle d’une identité. Elle est fondée sur les contours qui définissent l’espace dans lequel l’acteur est inséré. Il se peut que les références soient banalisées, standardisées ou lâches153. Dans ce cas il s’agit de notions plutôt que de références fortes sur lesquelles s’identifier. Le terme de cercle alors ne correspond pas.

Dés lors, ces références sont communes à plusieurs acteurs et créent ainsi une identité collective. Ces références peuvent être une norme, un ensemble de règles contraignantes à respecter, par exemple. L’identité collective s’exprime quant à elle afin d’être visible, même si l’entrée est sévèrement régulée154. Un nom, un label peuvent être cette expression.

La particularité pour ce concept de cercle, réside dans la définition des limites du cercle. En effet, lorsque le cercle se forme, il y a définition des contours, des règles, d’une frontière. Cette limite est matérialisée par, ce que nous nommerons, des références auxquelles il faut se plier, dans le cadre de règles ou d’exigences ou encore de contraintes. Elle définit alors, telle

153 Sans aucune rigueur.

154 Elle crée ainsi une attractivité par sa visibilité et le prestige de la difficulté d’entrée. Nous pourrions prendre pour exemple le cercle des certifiés ISO 9000 au début de la norme, un club privé, le cercle tels que le Lions Club, le Rotary, les Francs Maçons, etc.

une frontière, qui est dedans et qui est dehors, en reprenant Mullins (Mullins, 1972) « à

l’intérieur ou à l’extérieur ». Par ces références, les acteurs155 peuvent donc se situer et se

déclarer membre, s’ils le sont, de ce cercle. Le fait que certains prestataires s’échangent les adresses de clients ou des informations sur les appels d’offres en cours, peut apparaître comme un cercle si pour obtenir et échanger ces informations il faut être, par exemple, adhérents à une même fédération.

Sawicki nous donne, en s’appuyant sur les travaux de Degenne (1986), une définition claire du cercle. Le cercle qui met « en relation les acteurs de ces milieux ne sont pas simplement des relations d’échange ou d’interconnaissance, mais sont aussi des relations de sens fondées sur des normes et des valeurs en partie partagées. » ( Sawicki , 2011, p. 3).

Concrètement au sein d’un marché, dans le sens des disciplines de White telles que l’ « interface » ou l’ « arène », voire plus précisément dans un espace d’échanges défini, cela peut se traduire par « il y a nous et il y a les autres ». En d’autres termes, « ceux qui font » et

« ceux qui ne font pas », (Callon, 1999-b). Ceci nous renvoie directement à la notion de cadre

que nous avons employée afin d’expliciter les trois options de la mécanique de « découplage-encastrement ».

Nous pouvons donc confirmer qu’il y a « validation à l’entrée » en fonction des références établies. Par conséquent, le cercle se constitue, soit à la suite de l’encastrement, soit dans le même espace temps. Certains pourraient établir que les règles et conventions sont issues des références du cercle. Nous pensons que le mécanisme est plutôt inverse dans le but de ne pas exclure les acteurs souhaitant s’encastrer. Ceci n’empêche en rien de réaffirmer les règles avec certaines précisions, règles qui deviendront ainsi des références pour les acteurs une fois encastrés. De plus les conventions sont issues d’une combinaison de règles et d’ajustement. Les références sont plus strictes, moins malléables. Autrement, nous devrions plutôt le nommer « réseau ». C’est la raison pour laquelle, nous défendons l’idée que le cercle découle de la formation d’un encastrement qui recherche encore plus de contrôle en affirmant l’identité des acteurs en une identité encore plus forte par les références auxquelles ils adhérent. Les acteurs, les identités adhèrent à un cercle. Une ambiguïté réside dans cette définition. Est-ce l’identité ou les identités qui adhérent ?

Nous penchons pour une réponse mixte. Puisqu’il y a encastrement, l’identité de regroupement est formée. C’est alors un fractionnement de cette identité qui est soumis au

filtre que sont les références du cercle. Ainsi, l’identité peut au passage du filtre perdre de sa consistance, c’est à dire perdre des identités qui constituaient l’identité de regroupement. Ce mécanisme, de filtre et d’appariement, nous le connaissons puisque nous l’avons abordé dans la dynamique de « découplage-encastrement ». C’est alors peut être de là que provient notre distanciation d’avec une partie de la position de Grossetti et Bès. En réalité, le cercle doit être considéré comme le découplage à partir d’un encastrement pour s’encastrer à nouveau dans un niveau inférieur, c’est à dire un espace d’échanges encore plus filtré, régulé qui éloigne par conséquent un peu plus l’incertitude.

Dans ce mécanisme, qui mobilise également la circularité évoquée plus haut, les acteurs perdent encore un peu plus d’autonomie. L’incertitude trouvera sa place dans le cercle au moindre mouvement de l’un de ses membres. Nous proposons donc d’illustrer ce dernier point par la figure suivante.