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Conclusion  du  chapitre  1

2. Le découplage, un mécanisme antérieur et postérieur à l’encastrement L’approche que nous proposons de ces relations, formalise l’ensemble des attributs qu’un

2.1. Un découplage efficient sous la condition d’un encastrement ex post

Le découplage est formalisé par cette dynamique de séparation et lorsque l’espace ainsi émergeant devient autonome de l’espace d’échanges initial. La matérialisation, (Latour, Woolgar, & Biezunski, 2005), par « des dispositifs techniques dans la coordination des

participants », (Grossetti & Bes, 2003, p. 52), attribue au découplage la faculté de construire

une identité collective. Ces dispositifs peuvent être affectés au contrôle ou à la propagation de l’information dans l’organisation, par exemple. Lorsque l’espace se détache, il crée de nouvelles règles de marché ou adapte celles existantes ex ante. Grossetti et Bès (ibid.) relèvent également, en s’appuyant sur les travaux de Cassier (1997), que les contrats, les accords généraux voire la constitution d’une organisation commune, peuvent refléter un cadre juridique qui matérialise aussi le découplage. De plus, ils confèrent à l’encastrement une certaine légitimité.

Le découplage est donc le résultat d’un encastrement, mais la considération inverse est tout autant pertinente. En effet, l’encastrement est le résultat d’un découplage. Grossetti et Bès (2003, p. 52) affirment qu’ « encastrement et découplage sont à la fois réciproques et

inséparables », à l’instar de White pour qui « Se coupler c'est aliéner une partie de sa liberté

d'action, mais aussi s'encastrer dans une structure de lien », (White, 2011, p. 16). White

utilise aussi bien le terme « se coupler » que le terme « encastrement » pour décrire cette dynamique. Il est à noter également que Granovetter s’arrête à la notion d’encastrement, à la différence de White. Ce dernier met en relief les états du mécanisme de découplage – encastrement – découplage, comme une situation ponctuelle de stabilité. Il s’avère que la recherche, même ponctuelle de stabilité peut être une stratégie pour les acteurs de ce mécanisme.

La difficulté est alors d’identifier qui, de la stratégie ou du mécanisme de « découplage-encastrement », est le premier. Un comportement opportuniste pencherait plus pour la seconde proposition. Ce peut être une adaptation au mouvement que l’acteur constate dans son espace d’échanges et pour lequel il a décelé, avec la force d’une analyse emprunte d’une rationalité plus ou moins limitée, des avantages supérieurs à ceux qu’il possède dans l’espace initial. Néanmoins, ce comportement opportuniste peut être une stratégie à part entière pour l’acteur. La première proposition appelle plusieurs questionnements. Qui est l’instigateur stratégique de cette dynamique ? Est-ce une stratégie isolée ou construite collectivement ? Quel est le but de ce mouvement stratégique ?

En effet, comme l’ont souligné White et al. (2008, p. 16) , « Une stratégie ne se développe

pas dans un vide social ». Les auteurs continuent, en invoquant sans la citer l’incertitude

potentielle de certains marchés, « et est toujours liée à la perturbation d’un statu quo ante

dont elle peut être à l’origine ou non. Faire face à une telle perturbation implique l’énoncé

d’un objectif par les identités concernées. », (White, Godart, & Corona, 2008, p. 16). Ceci

peut expliquer alors, d’un point de vue économiste atténué, ce que Orléans énonce : « le degré de coopération entre agents peut s’avérer notablement supérieur à ce que prévoit la stricte application du principe de rationalité », (Orléans, 2004). La stratégie volontaire d’encastrement d’un acteur, à des fins ciblées de rente ou d’avantages supplémentaires, peut suffire à l’inciter à s’engager plus que nécessaire. L’encastrement démontre des propriétés qui nécessitent de le considérer dans son ensemble, c’est à dire « de prendre en compte la

dimension cognitive de l’action », ( Le Velly, 2002, p. 12), en termes de résultat de l’action

mais aussi, et avant tout, de bâtisseur109 de l’action.

Il semble alors évident que, au regard de ces principes de dépendance entre découplage et encastrement, White, en définissant le découplage, discute la position de Granovetter qui néglige cette émergence d'acteurs agrégés à partir de cette dynamique.

Nous noterons au passage qu’une nouvelle notion apparaît dans cet exercice explicatif et semble s’imposer d’elle-même, celle d’identité. Nous l’avons abordée sans nous y attarder, car elle mérite, à elle seule, un développement particulier dans notre travail.

2.2.Les trois options de la mécanique de « découplage-encastrement »

L’action d’un acteur de se désolidariser d’un espace d’échanges est à la fois une intention et une réaction. Nous pouvons dire qu’il s’agit d’une réaction stratégique face à l’incertitude. Elle entraîne un mécanisme dans lequel plusieurs acteurs peuvent s’assembler lors de la recherche d’une cohérence stratégique ou d’intérêt commun. Les suites de cette dynamique offrent aux acteurs plusieurs solutions.

Nous proposons de faire la synthèse de ce mécanisme de « découplage – encastrement » à travers la figure 8 qui reprend également les 3 options possibles pour cette dynamique. Nous nous intéressons ici à la formalisation du découplage d’une partie des acteurs d’un environnement d’échange et des possibilités d’encastrement qui en découlent. L’ensemble des attributs110 est à la fois nécessaire pour qu’ils puissent être visibles, mais ils font partie

109 Dans le sens de constructeur d’intention et d’incitateur à l’action.

110 Pour rappel, il peut s’agir de technologie, d’une approche métier, se traduire en termes de qualité, de capacité à s’intégrer ou à collaborer, de quantité à produire, d’organisation, ou encore d’un discours ou d’une image véhiculée, par exemple.

également des caractéristiques des règles, ou conventions, sur lesquelles se fonde la dynamique. Ils peuvent à eux seuls représenter tout ou partie de la stratégie. Ce que nous décrivons ici est la phase de découplage de l’espace d’échanges initial, espace dans lequel ils se sont encastrés auparavant afin de pouvoir échanger sur le marché concerné. A la suite du découplage, fondé sur les attributs, les trois options sont les suivantes (figure 8) :

• La première option proposée : Les acteurs s’encastrent dans un espace, un marché, existant sur le même niveau d’échange (n) ou sur un niveau inférieur (n-a). Ce niveau inférieur peut être, par exemple, un marché spécialisé par différentes caractéristiques111, au sein d’un marché plus généraliste.

• La deuxième option : Par le découplage, les acteurs s’isolent du marché initial et font émerger un nouvel espace d’échanges qui n’existait pas.

• La troisième option : Les acteurs se découplent du marché par une ou plusieurs caractéristiques au sein même du marché initial.

Dans le premier et le deuxième cas, les acteurs modifient leur image et la perception que l’environnement peut avoir d’eux. Dans le troisième cas, les acteurs affinent une image déjà existante. Néanmoins, cette modification ou affinage de leur image, et/ou de la perception des observateurs, nous renvoie aux travaux de White : « Identity and Control ». Nous pouvons considérer que dans le mouvement de découplage et d’encastrement qui s’opère, se déroule, dans le même temps, une autre action qui peut avoir deux caractères. Il peut s’agir d’un ajustement lors du découplage. Il a pour incidence de mettre les attributs en phase, voire les lisser afin qu’ils ne soient pas trop hétérogènes.

L’autre possibilité concerne le filtrage. Lors du découplage ou de l’encastrement les attributs, et leurs détenteurs, peuvent être écartés de la dynamique en œuvre parce qu’ils ne correspondent pas au cadre ou à la stratégie matérialisés par l’encastrement. Cochoy et Grossetti (2008), en mentionnant Smith et Walras, évoquent les règles qui permettent « à la fois de caractériser le marché comme mécanisme d'appariement et de confronter certaines idées de White à des auteurs classiques de la pensée économique ».

Le découplage et l’encastrement, instaurent implicitement des règles. Ils aménagent donc un cadre d’ajustement ou de filtrage selon que ce mécanisme est agressif, ou non, envers son environnement liminaire.

111 Caractéristiques qui peuvent être une norme, une technologie spécifique, un savoir faire ou savoir être différent ou plus ciblé, etc.

Le Velly considère que cet ensemble, qu’il nomme le cadre à la suite de Goffman et assimile à l’encastrement, a pour objectif de guider les actions des acteurs et ainsi de limiter l’incertitude. La notion de cadre correspond particulièrement à l’ensemble, l’encastrement et ses règles. « Le cadrage constituerait plus exactement une opération visant à manipuler les conditions d’encastrement de façon à orienter le comportement d’autrui, à rendre son action

plus prévisible. », ( Le Velly, 2002, p. 14). L’encastrement est donc une action de la part

d’acteurs qui ont pour objectif de contrôler l’incertitude.

Afin de mieux comprendre, imaginons qu’un groupe de prestataires logistiques s’accordent sur une spécialisation de leur offre. Ils pourraient être motivés individuellement par exemple, par des économies en termes de mutualisation d’achat de consommables, par une tentative de définition d’un marché comme une tendance forte dans les propositions des fournisseurs. Ils pourraient également se retrouver sur une motivation pour écarter un certain nombre de prestataires concurrents. En agissant ainsi, ils se démarquent de l’offre initiale, composant un autre niveau d’échange. Ce dernier se situe dans le même espace qu’initialement mais à un

étage inférieur du marché. Ils se séparent par conséquent du marché initial pour s’insérer au

sein de ce marché. Ils se découplent pour s’encastrer à un niveau inférieur.

Ce cadre construit justement le principe d’ajustement ou de filtrage. Il détermine une conception dynamique de l’encastrement qui, bien que passant par des phases plus ou moins longues de stabilité, est perpétuel. Il en est ainsi car il peut être remis en cause à tout moment par un ou plusieurs acteurs. Ceci dépend de la robustesse du cadre, des règles et de la nature cognitive de l’objectif de l’encastrement.

Cette réflexion trace une frontière entre Granovetter et White, et plus particulièrement, concernant les travaux de Granovetter (1985) à propos de « l’action économique et la structure sociale : le problème de l’encastrement ». Il n’est pas étonnant que dans la posture de Granovetter, selon White, la caractéristique d’une forme de dépendance statique (Cochoy & Grossetti, 2008) devienne un problème pour l’encastrement. L’encastrement serait alors un aboutissement de l’action, et augurerait sa disparition finale. Pour White, l’encastrement dynamise l’action en lui donnant de nouvelles caractéristiques, une nouvelle énergie. Ainsi, elle est vouée à une évolution perpétuelle de ses objectifs et assure donc sa continuité.

C’est sur ce point que se rejoignent également les deux approches économiques et sociales. La continuité de l’action est basée sur une définition sans cesse en mouvement de l’action vers de nouvelles ou de meilleures performances. Pour White, elle engendre à chaque redéfinition un phénomène de découplage et d’encastrement, pour peu que les attributs ou la

distance organisationnelle entre les deux définitions soit suffisamment distants de la demande112 précédente.

Par conséquent, l’activité dite économique n’est pas à considérer comme particulière dans une approche des relations encastrées. Elle est encastrée dans un environnement plus vaste convoquant des relations complémentaires incluant nécessairement les relations sociales. Dans un modèle « Plug and Play » tel que décrit précédemment, nous pouvons considérer qu’il est encastré. Lui-même encastre les prestataires dans son espace d’échanges. Une volonté d’action de la part des prestataires ou une redéfinition plus spécifique du modèle, pourraient être assimilées à un découplage de l’espace initial pour un encastrement dans un espace redéfini. Le « Plug and Play » initial ne doit pas pour autant disparaître. Il peut rester en l’état, il peut même être le niveau supérieur du nouvel espace d’échanges encastré.

2.3.Le mécanisme « découplage-encastrement », une redondance de faits

Par le cadre de l’encastrement, mais aussi par son mécanisme filtrant du « découplage-encastrement », cette activité sociale, au-delà de l’économique, construit un ensemble qui devient compréhensible et admissible par certains acteurs. Ils feront alors le choix, ou pas, de se découpler pour ensuite s’encastrer.

Il est difficilement concevable, dans une optique managériale, de s’intéresser au principe de pénétration ou d’émergence d’un espace d’échanges privilégié sans se tourner vers une compréhension des mécanismes qui l’autorisent ou le provoquent. Le découplage doit être vu comme une autorisation ou un stimulateur. Soit il en émerge d’une stratégie naissante, soit il la provoque. Quoi qu’il en soit, c’est une autonomisation par rapport à un environnement initial, un espace d’échanges, qui en est le résultat. Néanmoins, encastrement et découplage impliquent « l’acceptation conjointe d’un principe » (Gilbert, 1992, p. 415) qui nous renvoie au domaine d’acceptation de chacun des acteurs comme un ensemble, car « Regarder quelque chose comme « notre principe » est radicalement différent de regarder quelque chose comme

un principe que chacun de nous accepte personnellement », (Gilbert, 1996, p. 55).

Il est intéressant de considérer que, par cette émergence stratégique et cette autonomisation, le mouvement réalisé par ces acteurs et leurs actions dans ce sens peuvent répondre à une forme d’incertitude. « Le découplage est donc un processus subtil dans lequel un marché donné

prend ses distances avec tous les liens particuliers d'autres marchés. », (White, 2011, p.269).

112 Nous entendons par demande la base sur laquelle les acteurs échangeaient précédemment. Il peut s’agir d’objectif, de moyens organisationnels, humains, matériels ou encore de stratégie commune.

Ceci implique donc, dans un environnement fait d’espaces d’échanges, qu’il existe des frontières définies par les limites des autres espaces, à l’image d’un continent où il n’existe pas de vide entre les frontières des pays113. Néanmoins, bien qu’il n’existe pas d’espace vacant, en repoussant ou en redéfinissant les frontières, le mouvement des acteurs peut créer un trou structurel dans lequel ils cherchent à s’encastrer. C’est ce que Burt (1995) tente de définir. La multiplicité de sa contextualisation sur une même page démontre bien la difficulté à observer et l’ambiguïté à décrire cet espace potentiel. Le trou structurel est « la séparation

entre des contacts non redondants »114 mais également « une relation de non redondance

entre les deux contacts. 115», (Burt, 1995, p. 18). Cette ambiguïté est intéressante dans le cadre

d’un encastrement car « le trou est un tampon »116, (ibid., p18) qui permet aux acteurs de s’assembler et de tester la cohérence entre leur intention individuelle d’encastrement. C’est un espace structurel et temporel.

Le mouvement stratégique de ces acteurs, qui souhaitent agir pour le contrôle sur une forme d’incertitude, est lui-même générateur d’une incertitude dans le milieu où il crée un vide mais aussi dans l’espace dans lequel il s’encastre117. Dans le cas, de l’émergence d’un nouvel espace, celui-ci s’intercale dans un univers fait d’espaces positionnés entre eux et dont les frontières sont définies. Son intercalation entre plusieurs espaces perturbe les frontières établies et, par conséquent, modifie potentiellement les règles. Il devient donc lui-même une source d’incertitude pour les autres. L’action d’un acteur pour le contrôle, ou d’un collectif, le transforme en source d’incertitude pour le reste de l’environnement. Le découplage et l’encastrement sont donc des dynamiques incessantes dans un environnement constitué d’acteurs qui agissent pour une stabilité. Cela a pu être le cas lors de l’apparition de normes telles qu’ISO 9000, par exemple, et notamment dans les relations fournisseurs avec la Grande Distribution ou les constructeurs automobiles. Notons par ailleurs qu’ISO a favorisé le « Plug and Play » tant dans la standardisation de l’organisation que dans la définition des frontières du modèle, ce que nous pouvons considérer comme l’encastrement.

Il y a une forme de répétition, non pas de l’espace défini en termes d’échanges, d’attributs et de règles, mais dans cette dynamique qui lui donne la propriété d’une certaine circularité. Cet encastrement, et par conséquent le découplage ex ante et ex post, est un encastrement structurel.

113 Hormis les « no-man’s land », qui constituent des arrangements entre deux espaces, deux pays, et qui par conséquent ne représentent pas un vide puisqu’ils sont définis.

114 « The separation between non redundant contacts », (Burt, 1995, p. 18).

115 « A structural hole is a relationship of non-redundancy between two contacts. », (Burt, 1995, p. 18).

116 « The hole is a buffer », (Burt, 1995, p. 18).