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Le rôle du cahier des charges : fixer la stratégie et la relation d’échange Ces constatations nous font revenir sur le principe même de stabilité de l’organisation que

au sein de la chaîne logistique aval de la Grande Distribution ?

2. Le rôle du cahier des charges : fixer la stratégie et la relation d’échange Ces constatations nous font revenir sur le principe même de stabilité de l’organisation que

nous avons abordé dans la partie traitant de l’agilité199 dans notre revue de littérature (Paché & Paraponaris, 2006). En effet, les points relevés ci-dessus font appel au concept de mémoire d’une organisation performante : action, mesure, trace, analyse, action correctrice, etc.200. La stabilisation passe donc par une forme de routinisation de l’activité (Lorino, 2005, p. 64)201 qui «…dans une organisation constitue la forme de stockage la plus importante de la connaissance opérationnelle de l’organisation ; […] il y a une multiplicité de formes de

mémoire … ».

La performance dépend donc d’une base d’actions et de connaissances collectives. Elle est composée d’une mémoire liée à la fois à l’individu (i.e. l’acteur logistique interne ou externe), àl’entreprise, à son organisation. Les relations au sein de la chaîne de valeur sont également parties constituantes de cette mémoire. Ces relations sont interactionnelles « … qui implique une multiplicité d'acteurs et soulève donc des questions de coordination, de communication et

d'intelligibilité mutuelle en son sein », (Lorino, 2005, p. 57).

Il est donc question de trouver des éléments, mécanismes ou dispositifs, aidant à coordonner, communiquer et rendre intelligible l’objectif de l’organisation. Le cahier des charges202, support technique et fonctionnel de la démarche d’appel d’offres, peut occuper ce rôle en partie. « Le cahier des charges permet de définir les spécifications de base du produit ou d’un service à réaliser, mais il peut décrire également les modalités d’exécution, les objectifs à

atteindre et vise ainsi à bien cadrer une mission », (Duhautois & Perraudin, 2010, p. 107). Il

est donc un élément formalisateur de la définition de la performance, de sa mesure et par conséquent générateur de mémoire, selon les principes énoncés plus haut, dans un contexte d’acteurs multiples. Le cahier des charges permet de déterminer les besoins pour chacun des acteurs d’une chaîne qui sont assimilés à des sous-traitants203. Ce document devient un outil

199 L’agilité apparaissant, alors au regard de notre argumentaire, en partie comme un paradoxe à l’apprentissage organisationnel.

200 Principe fondamental du PDCA: “Plan, Do, Check, Act”. Méthode que W.E. Deming (1900-1993) n’a pas inventée mais qu’il a popularisée dans les années 50.

201 L’auteur rapporte et traduit une citation de Nelson et Winter noté : Nelson R. R. et Winter S. G. (1982), An Evolutionary Theory of Economic Change, The Belknap Press of Harvard University Press, Cambridge (Mass.).

202 Le Cahier des charges permet « d'inciter les donneurs d'ordres à s'exprimer en termes d'obligations de résultats, de préférence aux obligations de moyens. En donnant une référence fonctionnelle du besoin, il (le cahier des charges fonctionnel) contribue à l'obtention de la Qualité définie comme l'ensemble des propriétés et caractéristiques d'un produit ou service qui lui confère l'aptitude à satisfaire des besoins exprimés ou implicites ", Norme AFNOR (Association Française de Normalisation), NFX 50 151.

203 « les opérations concernant, pour un cycle de production déterminé, une ou plusieurs opérations de conception, d’élaboration, de fabrication, de mise en œuvre ou de maintenance du produit en cause, dont une entreprise dite donneur

au sein de l’organisation de la logistique aval de la Grande Distribution. Cette logistique est essentiellement basée sur la sous-traitance et l’externalisation. Il en est ainsi car il permet de répondre ou du moins de statuer sur les questions de coordination, de communication et d'intelligibilité auprès et malgré la multiplicité d’acteurs.

2.1.Le cahier des charges : un contrat implicite

Dans le contexte que nous observons et au regard des apports de certains auteurs, cités précédemment, nous pouvons positionner le cahier des charges comme une modalité qui constitue une « incitation inscrite au contrat » définie entre les acteurs. Il fixe le « cadre

auquel est tenu de se conformer le prestataire » (Baudry, 1993, p. 51). Il établit une « relation

d’autorité » entre le donneur d’ordres et le sous-traitant qu’est le prestataire. Ce rôle du cahier des charges dans les relations entre les acteurs nous est expliqué par un PSL rencontré lors des entretiens non-directifs :

Verbatim – PLT-LM, 2011 :

« Le donneur d’ordres, de par le cahier des charges, chiffre les performances, elles sont chiffrées ; aujourd’hui nous avons des impératifs de livraison avec des statistiques sur toute la partie litiges, tout ce qui est performance fait partie du cahier des charges… »

« Aujourd'hui, ils (i.e. les donneurs d’ordres) ont des états statistiques qui nous sont remontés régulièrement et fréquemment par les plates-formes. Ils les traduisent sur des tableaux, puis le comparatif est fait par rapport au cahier des charges et aux exigences qui avaient déjà été demandées dès le départ. À partir de là, nous savons évidemment si nous sommes dans les clous ou pas dans les clous ».

Le mécanisme de coordination ainsi établi donne au cahier des charges, une double lecture. Il détermine l’exigence de l’instance de décision, d’une part vers l’opérationnel au sein de l’enseigne (i.e. en interne) d’autre part, il fixe les règles de l’échange aux prestataires.

En interne, il détermine en effet le volant d’autonomie des opérationnels et leur liberté de décision dans certaines limites définies par la performance. Pour les PSL, il est utilisé afin de poser un cadre (volumes, contraintes et obligations) face à une éventuelle fluctuation positive ou négative des flux, et fixer le niveau de prestation attendu. Il donne aux PSL une vision des outils et des données utilisées afin de mesurer leurs performances « qualité de service au d’ordres confie la réalisation à une entreprise dite sous-traitant ou preneur d’ordres, tenue de se conformer exactement aux directives ou spécifications techniques arrêtées en dernier ressort par le donneur d’ordres », (AFNOR, 2006)

moindre coût ». Son utilité, au sens propre de la stabilité de l’organisation de la chaîne logistique, consiste à fournir un indicateur pour lequel l’acquisition des données nécessaires est précise et rapide. Sa lecture est identique quelque soit le PSL engagé sur une prestation. Il est exprimé dans la même forme et sur la même échelle de temps bien que les modalités d’exécution des prestations évoluent au fil des années. Le cahier des charges est donc un élément prépondérant de la stabilité pour cette organisation en termes de processus204 de l’activité205 et de mesure de sa performance. Il permet aussi le maintien de cette stabilité dans le temps et au sein de l’organisation logistique multi-acteurs :

Verbatim – GD-DNO, 2010 :

« C’est le transport qui est le plus prêt du CdC206. Mais il y a des règles pour le nombre de

livraisons. Nous savons pour quels types de points de vente, pour quels chiffres d’affaires,

quels volumes, combien de livraisons il a le droit par semaine. (…) Les ERT207 pilotent

l’ensemble des moyens et des ressources, des camions et des hommes, pour livrer l’ensemble d’une région, pas seulement les points de vente de ma base comme avant, donc il y a une vision globale. (…) là il y a mutualisation des moyens et des ressources.» « Car depuis ces dernières années, c’est le transport qui nous a permis de faire le plus d’économies de très loin. Mais aussi c’est une part importante, c’est 35% de nos charges. »

Lors d’un appel d’offres du donneur d’ordres, l’analyse des éléments, constituant le cahier des charges, renseigne alors sur le cadre des échanges avec le soumissionnaire. Ce cadre définit alors les obligations mais également les limites à la liberté d’action du prestataire logistique. En acceptant les termes de ce cahier des charges, et de facto les modalités de contrôle de la performance du service rendu, le fournisseur de services initie avec son donneur d’ordres une relation d’échange basée essentiellement sur une obligation de résultat.

Les moyens, ressources matérielles, organisationnelles et financières restent à la discrétion des prestataires pour autant qu'ils répondent aux exigences du client et des produits, mais aussi, du fait de la coresponsabilité exécutant/donneur d’ordres, aux règlementations et à la

204 Processus : « ensemble d’activités corrélées ou interactives qui transforment des éléments d’entrée en éléments de sortie. Note 1 : les éléments d’entrée d’un processus sont généralement les éléments de sortie d’un autre processus. Note 2 : Les processus d’un organisme sont généralement planifiés et mis en œuvre dans les conditions maîtrisées afin d’apporter une valeur ajoutée », Définition selon ISO 9000-2000.

205 « Une activité est un ensemble de tâches élémentaires : réalisées par un individu ou un groupe d’individus, faisant appel à un savoir-faire spécifique, homogènes du point de vue de leur comportement de performance, permettant de fournir un output bien précis, qu’il soit matériel ou immatériel, à un ou plusieurs clients indentifiables, interne ou externe, à partir d’un panier de ressources.», (Pillet, Martin-Bonnefous, Bonnefous, & Courtois, 2011, p. 239)

206 CdC : Cahier des Charges

législation transport. Le donneur d’ordres remplit alors le rôle d’un chef d’orchestre. Il rythme les opérations effectuées par le PSL sans pour autant s’impliquer dans la fourniture des ressources nécessaires et leur exploitation, comme l’explique le verbatim suivant :

Verbatim – GD-DNO, 2010 :

« En réalité ce ne sont pas les transporteurs qui gèrent le niveau de service. C’est nous qui leur donnons le pas, nous leur donnons le rythme. Nous leur disons quelles sont les tournées qu’ils doivent faire, lesquelles, à quel moment ils doivent revenir. Il y a des feuilles de routes théoriques qui leur disent « voilà ton plan de transport et le suivi des heures théoriques qui devraient se passer ... Mais il a la latitude, il a un ordre à lui de gérer. »

Ceci confère donc à l’échange, en l’encadrant au niveau du fournisseur de prestations, un statut hybride (Williamson, 1985 (b)), puisqu’il ne spécifie que l’aspect fonctionnel de la relation sans exiger une spécificité forte au sens matériel ou organisationnel. Il est également important de noter que le rythme des transactions est moyen, l’activité des prestataires étant cadencée hebdomadairement et quotidiennement208, ce qui confirme par conséquent, selon Williamson (ibid., 1985) la forme hybride de ce type d’organisation inter-firme.

Nous rappelons qu’une structure hybride se construit à partir de deux formes distinctes d’organisation : d’une part la firme en réseaux (firme intégrée), de l’autre la transaction réglée par le prix. De fait, le terme « organisation hybride » décrit ici le type d’engagement entre deux « agents économiques », dans notre cas, la Grande Distribution et le Prestataire de Services Logistiques. Ce choix de type de relation et de contractualisation conditionne la capacité de la chaîne logistique à répondre aux impératifs et priorités stratégiques du donneur d’ordres. Il répond au concept de flexibilité et d’adaptabilité. De plus, selon Bharadwaj et al.,

(1999), cette structure d’échange optimise les capacités de la chaîne d’approvisionnement aval à atteindre l’objectif du donneur d’ordres.

La connaissance que possédent les prestataires logistiques des différentes chaînes logistiques amont et aval leur attribue la vision et les compétences nécessaires à la maitrise et la réduction des coûts (i.e. logistiques) mais aussi à la mise en œuvre d’une flexibilité de la chaîne de valeur. Cette structuration et cette contractualisation, par le biais des cahiers des charges et des outils de pilotage de la performance mis en place par le donneur d’ordres, donne à cet

208 La planification réalisée par la Grande Distribution et transmise aux prestataires, dans le but de leur donner suffisamment d’autonomie dans l’organisation de leur traction et de leur moyens matériels, est tout d’abord par : 1) périodes découpées en termes de saisonnalité, 2) mensuelles au sein de la saison, 3) par semaine dans le mois identifié, 4) enfin par jour, qui sera l’unité la plus petite de programmation.

échange une forme potentielle de stabilité organisationnelle. Dans le but de renforcer cette stabilité, l’enseigne inclut dans son cahier des charges un certain nombre de contraintes et de règles, qu’elle se fixe à elle-même, afin de formaliser un mode de fonctionnement organisé autour et par les contraintes des deux acteurs, donneur d’ordres et prestataires, parties prenantes de l’échange défini dans ce cahier des charges.

Il semble donc que le cahier des charges est un outil contractualisant de l’échange. Il limite la liberté d’action des PSL qui permet de doter l’organisation d’une certaine stabilité au sein de la chaîne logistique de l’enseigne.

2.1.1. Le standard : le fondement d’une stratégie logistique aval de la G.D.

L’une des particularités de la chaîne logistique aval observée demeure dans le fait que le transport s’opère sous température dirigée. La demande des différents chargeurs de ce type de chaîne logistique s’est lissée en termes d’exigences spécifiques liées au produit, sans pour autant nuire à son intégrité. Le degré d’exigence revu, au fil du temps, notamment sur les conditions de transport, les températures de transit, mais aussi les horaires, donne plus d’amplitude organisationnelle aux transporteurs. Ceci a pour effet d’augmenter le nombre de prestataires potentiels sur le marché de la logistique aval de la grande distribution. Les marges de température209 de transport sont plus larges. Ceci est dû à un travail effectué lors du référencement des produits concernant leur température de transport qui est standard.

L’autre standardisation provient de la gestion organisationnelle. Le donneur d’ordres a donné la possibilité aux prestataires de travailler dans des créneaux horaires leur permettant ainsi de pouvoir jouer sur l’organisation et l’optimisation de leurs actifs. De plus, la mise en place de la certification de type ISO, et notamment ISO 9001, par les PSL sous la demande de certains gros chargeurs a facilité la standardisation organisationnelle. Campinos-Dubernet et Jougleux (2003, p. 87) le confirment, « L’Assurance Qualité substitue une qualité entreprise aux

diverses conceptions « indigènes » de la qualité ». Nous pouvons assimiler cette chaîne

logistique aval et par conséquent ses prestataires comme une entreprise élargie sous le contrôle d’un pivot, en l’occurrence la cellule transport de l’enseigne.

Ce type de certification demandée par les chargeurs a eu, dans notre cas du « Plug and Play », un objectif, celui de réduire les incertitudes organisationnelles. « Les pratiques qualité induisent la réduction de l’incertitude des coordinations organisationnelles (…) par la

standardisation des pratiques de travail » (Rolland, 2009, p. 37).