• Aucun résultat trouvé

au sein de la chaîne logistique aval de la Grande Distribution ?

1. La logistique aval, une logique des coûts

Les domaines de concurrence des enseignes de la Grande Distribution ont fortement mis en avant les leviers de compétitivité potentiels, organisationnels mais aussi économiques, de la logistique aval. La prise en compte de cette niche de compétitivité a été amplifiée dès lors que les méthodes d’achats de biens190 ont été optimisées et sont, depuis, maintenues à un niveau hautement performant. « Par leur puissance, qui découle directement de la massification des flux, les centrales d’achat assurent l’approvisionnement des produits référencés à un prix

inaccessible aux indépendants », (Licoppe , 2001, p. 200).

Cette recherche de compétitivité a conduit à désigner la chaîne logistique, notamment aval, comme l’un des points d’appui principaux d’une politique de recherche constante de diminution des coûts. Ce choix stratégique s’explique à travers l’affirmation de Christopher (2011) relayée par Waters (2007, p. 57), « La plupart des possibilités de réduction de coût ou d'amélioration de la valeur se situent à l'interface entre les partenaires de la Supply

Chain»191.

La chaîne logistique devient par conséquent un des principaux piliers de compétitivité sollicité et surveillé par les décideurs, permanents et adhérents, de l’enseigne.

1.1.La notion de coût logistique pour l’enseigne de la Grande Distribution

Au niveau opérationnel de la logistique « aval », le travail réalisé par la branche logistique de l’enseigne est concentré sur l’optimisation de l’exploitation en termes kilométriques. Cet axe de travail et de recherche de performance est défini et mis en œuvre par les Directeurs d’activité et les Responsables opérationnels sous l’égide des Adhérents, comme nous le confirme le Directeur National des Opérations :

190 Nous entendons par achat de biens, les produits et services mis à disposition et achetés « en l’état » par le client final, le consommateur.

191 « Most opportunities for cost reduction and/or value enhancement lie at the interface between Supply Chain Partners.», (Waters, 2007, p. 57)

Verbatim – GD-DNO, 2010 :

« Le rôle des permanents est un rôle de précision, de communication, pour faire prendre les bonnes décisions, mais c’est toujours l’adhérent qui prend la décision parce que c’est une décision financière au bout du compte... »

La réalité est liée à une volonté de réaliser des économies immédiates et indentifiables en termes de coûts du point de vue de l’exploitation logistique aval. Le ratio du terme kilométrique192 (€) à la tonne est mis au premier plan dans l’exposé du Directeur National des Opérations, tout autant que dans celui de la Responsable Nationale de la Cellule Transport et Logistique « aval ». Ce lien direct entre la définition de la performance et le ratio opérationnel, perceptible à l’échelle du Directeur et de la Responsable, est le résultat en partie de la nouvelle structuration de l’organisation interne implémentée fin 2010.

Cette nouvelle organisation se veut réduite en termes de distance organisationnelle, entre les décideurs stratégiques et les responsables opérationnels, comparativement à ce qu’elle fût auparavant. Ainsi, les décisions de la Direction Générale ne passent que par un nombre de relais hiérarchiques très réduit avant d’être propagées au niveau de la gestion opérationnelle et des équipes terrain. Ceci nécessite donc une qualification, des objectifs et des consignes, compréhensibles de tous, peu interprétables, traduisibles dans les différents métiers et les niveaux hiérarchiques sans déviation de sens pour l’ensemble des acteurs.

Le changement de la structure de l’organigramme provient du fait d’une dérive du

fonctionnement en binôme (i.e. Permanent/Adhérent193). Cette modification vise la mise en

place d’une organisation fonctionnant sur un « râteau plus court » exhortant, comme réponse, une politique centrée sur la réduction des coûts logistiques.

En effet, il a été constaté par les responsables métiers que, lors des années précédentes, certaines pressions ont été exercées par les magasins, dont les propriétaires / gérants sont également acteurs intégrés dans la décision stratégique logistique de l’enseigne.

Certaines bases logistiques ont pu être tentées par l’abandon temporaire, ou la relativisation, d’un des aspects de la performance pour ne privilégier en priorité que celui du service au POS194. Ceci afin de satisfaire le client final (i.e. l’adhérent) directement visible dans la chaîne et en lien direct, à la fois, sur la chaîne opérationnelle et de décision. Sur ce point, le témoignage du Directeur National des Opérations fait un constat dans le verbatim suivant :

192 Le terme kilométrique est le coût de revient du kilomètre parcouru.

193 Dans les propos rapportés des différents entretiens avec les Directeurs et Responsables de l’enseigne, il faut entendre par « Permanents » les salariés du groupement occupant uniquement leur fonction métier, et par les « Adhérents » les propriétaires de magasin qui ont pour obligation d’être présent au sein de l’organisation du groupement et des métiers. Le Permanent et l’Adhérent forment un binôme « Permanent/Adhérent ». Ils prennent des décisions sur la base d’une entente et d’un accord basé à la fois sur le professionnalisme lié au métier, la rentabilité du groupement, la performance du service et la rentabilité au niveau du magasin. Ils sont aussi appelés à être une force de proposition sur leur axe.

Verbatim – GD-DNO, 2010 :

« Parler du rôle de la logistique, la logistique à elle seule est là pour diminuer ses coûts. En fonction de quoi ? Moi, le moins que je puisse faire c’est de ne pas livrer les points de vente »... « Là où nous avons été très forts mais ça pu nous couter beaucoup aussi, c’est une notion de service à tout prix. Nous avons un super service point de vente. J’ai dit à tout prix parce que ça peut partir dans l’exagération, c’est parti dans l’exagération.»

Ce type de comportement des « clients internes » a nécessité par voie de fait un repositionnement stratégique de la part des décideurs afin d’éviter, à terme, des dérapages lourds de conséquences pour la performance de cette enseigne de la Grande Distribution.

1.2.Performance et indicateur : unicité de perception

Au regard de ce constat, les Directeurs métier (Adhérents/Permanents) et la Direction Générale, qui fonctionnent selon le même schéma (i.e. un binôme Adhérent/Permanent), ont redéfini des priorités lors du remaniement de l’organisation et de la structure de décisions internes.

La cible de la performance identifiable, tout au long de la chaîne de décision jusqu’à l’opérationnel, est le coût. Elle est identifiée et traduite plus précisément en termes de « coût au kilomètre de la tonne livrée195 au magasin ». De fait, dans notre cas, la traduction de la performance est, au final, financière comme le souligne Kaplan et Norton (1996). C’est ce que nous avons pu entendre lors de nos entretiens :

Verbatim – GD-DNO, 2010 :

« Si en logistique il n’y a pas de décision financière, c’est que l’on a raté une étape, elle est au moins financière. Donc c’est tout simple mais c’est cet effet là qui va régler le binôme adhérent/permanent »

La performance, liée à la fois à l’objectif et à sa mesure (i.e. contrôle), est articulée autour d’un indicateur de performance (IP) transversal qui, lui-même, nécessite d’être correctement associé à un acteur et renvoie à une action « comme moyen pertinent d’atteindre un objectif ». Dans le discours de ces managers, il apparaît un réel souci de cohérence et de rapidité, transversales et verticales, de mise en œuvre de la décision stratégique de la Direction

Générale à la perception des opérationnels. Cette articulation organisationnelle s'attache également au traitement des dysfonctionnements, dans le sens d’une non performance qui finalement se traduit, également, financièrement. La lecture directe du terme kilométrique, tel que défini, permet d’identifier clairement les acteurs (internes et externes) impliqués dans l’atteinte de l’objectif. En cas de défaillance sur la performance visée, l’analyse peut être plus détaillée en termes d’exploitation, sur une région géographique donnée ou/et une journée précise, tout en gardant le même indicateur en ligne de mire.

De ce montage provient la nature de l’efficacité cognitive de l’IP et plus largement du concept de performance. Elle est interprétable et soumise à une réflexion cause/effet. La performance et sa mesurabilité (IP), toujours selon Lorino, reposent essentiellement sur une connaissance de l’action, ce qui implique qu’il faille :

§ faire un choix partagé et connu, collectivement (dans l’organisation), de l’action ; § ratifier avec l’acteur la relation cause/effet ;

§ sélectionner les informations pour évaluer le déroulement (type de mesure et interprétation) ;

§ accumuler les mesures et observations afin de fonder une base objective.

La priorité est ainsi donnée aux actions clairement quantifiables tant au niveau de l’utilisation des ressources matérielles que des gains potentiels. Elles sont, par conséquent, directement attachées à l’amélioration de la rentabilité sans dégradation du niveau de service rendu aux magasins (POS). Cette position est validée et entérinée par le binôme Adhérent/Permanent,

instance196 qui fixe la feuille de route des projets logistiques pour l’année.

Dans le cas contraire, c’est à dire la dégradation du niveau de service, du prix « rendu » donc de la rentabilité, l’adhérent a toute liberté pour effectuer lui-même son approvisionnement. Ceci sous-entend qu’il effectuera son propre choix de fournisseur et de mode de distribution ou livraison. Cette sortie du schéma logistique « classique » de l’enseigne, par conséquent du circuit de distribution du groupement, pénaliserait directement la filière logistique de l’enseigne. Elle diminuerait ainsi l’effet de massification. Cela peut avoir des impacts sur l’exploitation des ressources logistiques, et la mutualisation des achats, tant au niveau de la négociation des prix que de la massification des approvisionnements. Cet effet pourrait être inquiétant dès lors qu’un nombre significatif d’adhérents serait insatisfait et choisirait de faire

196 « Se dit d'un ensemble de personnes ou d'un organisme à qui a été remis un pouvoir de décision », Définition de l'Académie française (éd. 1986)

plutôt que de faire-faire par la filière achat et logistique du groupement. C’est ce que nous confirme la Responsable Nationale des Opérations de Transport :

Verbatim – GD-RNOT, 2010 :

« En fin de compte il y a une véritable relation client/fournisseur, parce que si le magasin

veut s’approvisionner en direct, il pourrait dire à sa base : ça ne m’intéresse pas je vais

m’approvisionner directement chez mon fournisseur. »

Ce type d’approche pilotée par les magasins, et donc les adhérents, semble ainsi nécessaire afin de maintenir le prix dans un cadre concurrentiel. Ceci positionne la prestation logistique dans un environnement s’apparentant à un marché exacerbé car essentiellement articulé autour du prix de la prestation. Ce positionnement est validé :

La nécessité pour cette enseigne de la GD de mener la relation d’échange avec le PSL dans un marché hyperconcurrentiel a pour but de diminuer le coût de la prestation logistique. Ce type de marché, dans lequel la concurrence est forte, est un espace au sein duquel l’opportunisme et l’incertitude trouvent une place. Ce sont des facteurs potentiels d’instabilité dans une chaîne logistique inter-organisationnelle mais aussi d’optimisation du coût logistique à payer, du fait de la concurrence entre les PSL.

Cette chaîne logistique a pour vocation de rendre une « qualité de service au moindre coût ». La qualité de service est, dans une organisation transversale, au-delà du processus même du PSL dans le contact logistique entre les acteurs. La stabilité au sein du marché garantit une connaissance des acteurs entre eux et de leurs façons d’agir. Elle favorise donc des contacts logistiques entre les acteurs plus performants qu’elle ne le serait entre acteurs changeant fréquemment. Il existe apparemment une certaine ambiguïté entre ce concept de performance et de mémoire, qui implique une stabilité dans l’organisation, (Fabbe-Costes, 2007), et la nécessité de maintenir la prestation logistique dans un environnement de marché. (Christopher & Gattornab, 2005)

Verbatim – GD-DNO, 2010 :

« Notre cahier des charges, entre les magasins et notre structure métier logistique, est obsessionnellement travaillé sur les euros.»

La cible définie est l’opération logistique aval, et notamment le transport aval, qui reste une des sources principales de réduction des coûts. « Nous soutenons que la dernière occasion qu’il reste pour une réduction importante des coûts se situera plus largement dans la Chaîne

Logistique d’approvisionnement plutôt qu’au sein des opérations propres à l'entreprise. »197,

(Christopher & Gattornab, 2005, p. 3).

La conjoncture des coûts (i.e. carburant, matériels, matières premières, salaires) impacte directement à la hausse sur le terme kilométrique pour les PSL. Les négociations à la baisse de la part du donneur d’ordres, sont donc plus compliquées.

L’effort en termes d’achats fournisseurs peut viser alors une maitrise de l’augmentation des tarifs plutôt qu’une diminution de la grille des prix. Ceci est principalement dû à la stratégie d’approvisionnement basée sur la gestion drastique des stocks, le « juste à temps » (JAT)198. Cette dernière limite les effets de massification et ne permet plus, ainsi, d’appuyer la politique de prix uniquement sur les volumes massifiés. La base de la compétitivité des coûts reportée sur la logistique aval se situe alors au niveau de la structure même de la chaîne logistique et de la dynamique des relations au sein de cette chaîne entre le donneur d’ordres et les prestataires.

L’objectif ainsi défini en termes de couple « qualité de service au moindre coût » est sous l’étroite surveillance du binôme Permanent /Adhérent, designer et décideur de la stratégie logistique, comme nous avons pu le constater dans les verbatim précédents.

Résultat intermédiaire 1 :

Les prestataires de Services Logistiques sont soumis à une logique de coût imposée par l’enseigne, sans pour autant délaisser le niveau de service rendu au client.

197 « Our contention is that the last remaining opportunity of any significance for major cost reduction will lie in the wider supply chain rather than in the firm’s own operations. », (Christopher & Gattornab, 2005, p. 3)

198 Juste à Temps (JAT) nommé également JIT (Just in Time) dans les ouvrages internationaux traitant du sujet des approvisionnements.

2. Le rôle du cahier des charges : fixer la stratégie et la relation d’échange