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Le cas particulier du choc de défibrillation

Le cas particulier du défibrillateur cardiaque découle de la capacité de celui-ci à délivrer des chocs pour réanimer un cœur qui s’arrête ou qui s’emballe complètement.

Le docteur Ritter, interrogé sur la façon dont les patients décrivent ce fameux choc, effectue cette description : un patient lui a dit que pour se représenter ce qu’est un choc de défibrillation, il faut se le figurer comme un « coup de sabot de cheval dans la poitrine », (qui ne casse pas de côte

264 Guidant Corporation, ”Communiqué urgent concernant la sécurité d’emploi d’un dispositif médical et mesures correctrices", 21

janvier 2006.

265 L'exemple est donné, en 2012, en matière de prothèses non informatisées. Le scandale sanitaire d'implants mammaires de la

marque « PIP », non conformes aux normes médicales en vigueur, a imposé l'explantation massive d'une douzaine de milliers de prothèses, ce qui correspond nécessairement à 12 000 opérations chirurgicales.

toutefois), ou encore comme un « gros coup d’oreiller dans le dos ». « Le choc, c’est une

surprise ! ». C’est un ressenti très rude mais plus surprenant que véritablement douloureux.

« Un défibrillateur cardiaque, contrairement à un stimulateur cardiaque, est un petit appareil, implanté dans la poitrine, qui va ramener un cœur trop rapide à un rythme normal en déchargeant une quantité électrique importante et douloureuse pour le patient. C'est un « coup-de-poing » reçu dans le plexus dont on se souvient car c'est assez douloureux. (…) Nous ne pouvons pas dire que nous avons eu beaucoup de remontées sur des chocs inappropriés ou sur des effacements de mémoire, mais cela peut s'expliquer par plusieurs raisons, la première étant que les fabricants vous remettent un livret sur le défibrillateur avec des précautions énormes qui gênent en fin de compte la vie courante : ne pas utiliser d'appareil électroportatif, ne pas être au contact de plaques à induction, faire attention à l'utilisation des téléphones portables... À l'exception de quelques médecins comme le Dr Franck qui dit qu'on peut tout faire avec un défibrillateur cardiaque, beaucoup de médecins, par prudence, préfèrent indiquer des précautions assez importantes pour que les porteurs de défibrillateurs cardiaques ne subissent pas de chocs inappropriés ou de problème de réglage. Nous voyons aussi sur des forums d'Internet les discussions très alarmistes parce qu'une personne a reçu une décharge lors de l'utilisation d'un appareil défectueux ou hors norme.267 »

La surprise est la sensation la plus fréquemment évoquée quand il s’agit pour un patient de décrire la délivrance d’un choc du défibrillateur implanté.

« J’ai eu l’implant dix ans sans choc, et puis un jour, boum, c’est comme un gros coup d’oreiller dans le dos, ça m’a surpris, mais ça ne m’a pas fait mal. Je n’ai pas compris parce que je ne faisais rien qui me semblait pouvoir provoquer le choc. Et, en fait, c’était l’oreillette qui était entrée en fibrillation, il a fallu re- régler l’appareil. »

Le contexte du choc est un événement marquant. Il s’imprime dans la mémoire du patient qui peut associer alors choc et contexte (même si aucun lien entre les deux n’est avéré). Notamment, si le choc de défibrillation survient pendant l’acte sexuel.

Quand un défibrillateur implanté s’est déclenché pendant un rapport sexuel, il peut y avoir une association réflexe préjudiciable pour la qualité de la vie sexuelle. Le patient peut se mettre à percevoir l’acte sexuel avec angoisse. Alors même qu’il n’est pas évident de déterminer que c'est le rapport sexuel qui est l'événement déclencheur de l’incident cardiaque, celui-ci peut être considéré comme tel. Cela peut engendrer une forme de phobie.

Certains conjoints ou conjointes peuvent être plus angoissés que le patient lui-même. C’est alors le partenaire, sain sur le plan cardiaque, qui émettra des réserves quant à la pratique sexuelle. Il faut ici rappeler que le choc de défibrillation ne sera ressenti que par l’implanté, le partenaire ne risque pas de subir le choc également.

« Ça ne m’a pas étonné sur le coup, c’est quand même une excitation, mais ça m’a fait peur pour les

267 Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques (OPECST), op. cit., témoignage de Jean-Luc

autres fois, en me disant que je prenais un grand risque... Mais le cardiologue, je lui en ai parlé, et il a dédramatisé la chose... »

Cette dernière citation nous permet de mettre encore une fois en avant le rôle fondamental du cardiologue en matière de dispense d’informations rassurantes et apaisantes.

« J’avais des malaises depuis l'âge de 16 ans (j'ai aujourd'hui 24 ans). Je me suis fait opéré il y a quelques jours pour la pose d'un défibrillateur. Je m'habitue petit à petit. Il faut se faire à l'idée d'avoir une boîte dans la poitrine et apprendre à bouger le bras qui freine un peu les mouvements. Je suis assez mince donc il se voit un peu mais je préfère ça à un malaise où je ne suis pas sûr de reprendre connaissance. J'en étais rendu à un point où je ne pouvais rien faire toute seule car je faisais des malaises tous les jours, plusieurs et n'importe

où 268. »

Certains patients sont des enfants (et même des nourrissons) ou des adolescents.

Selon les études de Samuel Sears, psycho-sociologue en Floride, spécialiste de la question de la qualité des porteurs de dispositifs médicaux implantés actifs cardiaques, le jeune âge au moment de l’implantation est un facteur aggravant en termes d’angoisse269 et de dépression surtout

quand le dispositif médical implanté actif est un défibrillateur.

Samuel Sears a noté que les femmes ressentent davantage d’angoisse vis-à-vis de la présence de l’appareil270.

Un manque de connaissance à propos du fonctionnement de l’appareil est également source de peur. Les défibrillateurs étant en mesure de délivrer des chocs électriques dans le cœur, ceux-ci sont donc perçus comme des « boîtes à chocs ».

Parfois des chocs préventifs inappropriés peuvent être effectués par le défibrillateur. Quand de tels chocs ont été reçus, le porteur peut se mettre à vivre dans l’angoisse qu’ils puissent survenir à nouveau de manière intempestive.

Un élément vraiment déterminant en ce qui concerne l’appropriabilité des endoprothèses actives cardiaques, c’est l’expérience préalable ou non d’un accident cardiaque271. En fait, il y a

principalement deux cas de figure d'implantation : le port prophylactique pour éviter la survenue d'une crise cardiaque et le port d'endoprothèse suite à une telle crise.

Les patients n’ayant jamais eu de crise cardiaque et qui ont bénéficié d’un dépistage précoce qui a mené à la pose d’un implant vivent sous cette « épée de Damoclès », facteur d’angoisse. Pour eux la verbalisation, c’est-à-dire la capacité de parler de leurs peurs est primordiale pour désamorcer le malaise lié à la pathologie comme au traitement.

268 Sur le site Doctissimo Forum santé, témoignage de «invite_ porteuse », posté le 11-07-2006 à 22:56

Url: http://forum.doctissimo.fr/sante/hypertension-problemes-cardiaques/defibrillateur-sujet_148172_1.html [consulté le 18/11/12].

269 Samuel Sears, Jamie Conti, « Quality of life and psychological functioning of ICD patients », Heart, n°87, 2002, pp. 488-493. 270 Loc. cit.

Les porteurs n'ayant jamais expérimenté le moindre choc peuvent se sentir anxieux. Ils les redoutent d’autant plus, qu'ils ne parviennent pas à s'imaginer les effets des chocs de défibrillation . Ce cas de figure est fréquent dans le cadre d’un port prophylactique dans le cadre d’une thérapie du syndrome de Brugada, qui est une arythmie difficile à détecter et pour laquelle le patient concerné ne semble pourtant pas ressentir le moindre trouble.

C’est en raison de leur confiance dans leur cardiologue qu’ils ont consenti à porter le dispositif médical implanté actif. Comme il n’ont pas non plus reçu de choc, ils vivent, parfois, après avoir eu connaissance du diagnostic, avec une double angoisse de l’inconnu et de la mort : l’angoisse de connaître à tout moment, sans aucun moyen de prédiction fiable, un arrêt cardiaque et l’angoisse de recevoir des chocs inappropriés de la part de la machine installée dans leur thorax.

Le rôle d’écoute est alors fondamental pour le maintien d’une bonne qualité de vie. La dédramatisation de la situation permet la résilience. Même si le choc électrique est brutal, il est là pour maintenir en vie et cela fonctionne. Quand le porteur de défibrillateur a vraiment intériorisé, ce fait, il se sent généralement mieux. Par ailleurs, les appareils sont constamment améliorés sur le plan informatique, les chocs inappropriés sont actuellement très rares.

Les porteurs de pacemakers et de resynchronisateurs n’ont pas à se préoccuper de chocs car ces dispositifs médicaux ne sont pas conçus pour en effectuer. Ces patients ont, eux, une seule source principale d’angoisse : l’accident cardiaque. Le pacemaker est plus facile de à accepter car il ne comporte aucune « menace », il est juste là « au cas où », prêt à faire battre le cœur en cas de défaillance.

Les patients ayant fait l’expérience d’un accident cardiaque considèrent la présence de l’implant avec vif soulagement car ils « se sont vus partir ». Ayant déjà vécu une sensation de mort imminente, ils vivent dès lors dans une terreur permanente de la mort subite. Ils s’accommodent facilement des désagréments induits par la présence de la machine. L’expérience de chocs éventuels ne leur fait plus peur car ils sont pleinement conscients que c’est le prix à payer pour rester en vie.

6) Implants, innovations et politiques de santé

L’acceptabilité sociale des outils implantés découle en grande partie du retour d’expérience positif issu de traitements de malades au moyen d'endoprothèses actives. La directive européenne 93-42 du 14 juin 1993272, désigne les endoprothèses cardiaques comme des « appareils de système

de maintien de la vie ». L’implant cardiaque est un cas de figure emblématique de l’intrusion

nécessaire d’un automate électronique dans le corps. Il permet de prolonger considérablement la durée de vie du patient en lui conférant une qualité de vie correcte273.

Le contexte médical qui accompagne le recours à un pacemaker, à une pompe à insuline, à un implant cochléaire permet de considérer que les endopropthèses sont soumises à un régime considéré comme pharmacologique. De ce fait, la présence dans le corps et le maintien en fonctionnement d'un implant informatisé sont très précisément encadrés par des textes réglementaires et des pratiques professionnelles.

C’est un cardiologue qui décide si l’implantation est nécessaire en raison d’une pathologie cardiaque lourde, pas le patient lui-même. Il propose à ce dernier la pose de l’automate. L’équipe médicale ne prend de décision unilatérale qu’en cas d’accident cardiaque majeur qui requiert la pose d’un implant aux services des urgences. L'industriel fournit la machine. La clinique ou l'hôpital est le lieu précis où s'effectue la pose. La relative collégialité de la décision est un premier garde-fou qui prémunit contre toute une implantation irrationnelle, relevant d'un geste impulsif. En outre, le statut médical de la machine l'assimile à un médicament. Comme la plupart des médicaments, il faut recourir à une ordonnance pour obtenir le droit d'acheter l'appareil.

Les lois, les règlements, les organismes publics et privés de santé, tout comme les pratiques médicales du personnel soignant encadrent donc strictement la décision de placer le Métal dans la Chair. Il semble que la quasi totalité des situations où le Métal est dans la Chair sont en lien avec une approche thérapeutique. Actuellement, seules les puces RFID y font exception. Ces implants humains, particuliers, très peu diffusés, sont à vocation sécuritaire en servant de balise d'identification et de mise en réseau de l'organisme. Les implants non médicaux sont actuellement très atypiques et peu acceptés socialement.

272 Directive 93/42/CEE du Conseil du 14 juin 1993 relative aux dispositifs médicaux (JO, L 169 du 12.7.1993, p. 1)

273 Sandra Giannelli, Évolution de la symptomologie initiale et survie des personnes âgées après implantation d'un stimulateur cardiaque défnitif, thèse en médecine de l'Université de Genève, 2004.