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Le cas particulier de la question de l' « invasivité » des membres bioniques

La dépendance envers un objet, quand il s'agit d'effectuer des tâches autrefois assumées par le corps de manière autonome, est un critère pertinent pour penser la définition de la prothèse. Les prothèses sont donc parfois détachables et parfois implantées.

Les orthèses sont, le plus souvent, détachables du corps. La personne âgée qui utilise une canne dispose par exemple de l’orthèse359 détachable la plus typique. De nos jours, des attelles sont

parfois implantées dans le corps pour aider les os cassés à se ressouder ou à reprendre une forme pré-calculée. Dans ce cas spécifique, les « broches » tiennent plus de la prothèse osseuse que de l’orthèse. L’implantation d’outil est une capacité technique extrêmement récente au regard de l’histoire humaine.

Les prothèses dentaires (communément appelées « dentiers ») sont, par exemple, détachables et passent souvent la journée dans la bouche et la nuit dans un verre d’eau et de produit nettoyant. Une autre approche pour réparer une dentition endommagée est la pose d'éléments fixés à la mâchoire. Les inlays, les onlays, et les bridges sont des substituts, des erzatz de dents, que le dentiste installe dans la bouche. La couronne dentaire est solidement fixée et remplace la partie endommagée ou manquante de la dent. Les implants dentaires sont insérés dans l’os de la mâchoire. Dans tous ces cas de figure, nous avons affaire à des formes différentes de prothèses. L'outil sert à pallier des lésions dentaires en remplaçant des parties du corps endommagées.

Dans le domaine de l'ophtalmologie, les lunettes correctrices et les lentilles de contact sont des prolongements artificiels du corps qui atténuent une déficience d'acuité visuelle. Les lentilles de

359 Cf. Énigme du Sphinx dans le mythe grec d’Œdipe: « Quel être, pourvu d'une seule voix, a d'abord quatre jambes, puis deux

jambes, et trois jambes ensuite? ». La réponse est l'être humain qui se déplace enfant à quatre pattes, ensuite il marche toute sa vie sur deux jambes, jusqu'à ce que la vieillesse le pousse à utiliser une orthèse: un bâton.

contact ne sont pas vraiment des prothèses mais plutôt des orthèses. Une lentille de contact ne fait que corriger le dispositif visuel naturel. Il en va donc de même pour les lunettes correctrices. Ni les unes ni les autres ne se substituent à l'œil.

Dans le traitement de la surdité, une forme de prothèse, ou plus précisément d'orthèse, fort répandue est l'appareil auditif, le « sonotone ». Cet outil est totalement détachable, de la forme d'un contour d'oreille. C'est un moyen « orthopédique » pour restaurer une audition défaillante. C'est un outil électronique, qui à la différence des lunettes et des lentilles, réclame une maintenance technique assez élaborée du fait, notamment, de la nécessité de changer les batteries. L'appareil auditif est une extension détachable du corps humain, il devient complètement une prothèse plus qu'une orthèse quand il s'avère totalement indispensable pour entendre et qu'il n'est pas juste un facteur d'amélioration de l'audition.

Les prothèses de bras et de jambes « traditionnelles », les « jambes de bois » sont simplement mécaniques. Une jambe de bois (aujourd'hui en alliage métallique, en bois ou en fibre de carbone360) est une prothèse non informatisée qui remplace un membre amputé. Ces prothèses, au

même titre que les implants dentaires, les prothèses de hanches ou les prothèses mammaires, ne sont pas des automates.

(Fig. 19) Prothèse de gros orteil portée de son vivant (aux alentours de –950 à –710 avant JC), par une femme, nommée Tabaketenmut, retrouvée momifiée près de Louxor.

Des prothèses inertes, nous en avons des traces dès l’Égypte Ancienne361. Jacqueline Finch

l’évoque dans son article paru dans The lancet du 12 février 2011. Il existait également des modèles archaïques de prothèses de pied ou de jambe à l’époque romaine (Von Brunn, 1926), (Finch, 2011).

Les prothèses corporelles remplacent un membre absent et prolongent le moignon, pour réparer le corps d'un amputé ou d'un agénésique362. Ce sont des dispositifs de nature médicale, qui

compensent une déficience du corps. Ces extensions corporelles sont pleinement des prothèses. Elles font office de membres de substitution.

Les membres prosthétiques informatisés « bioniques » sont des modèles modernisés et informatisés des traditionnelles prothèses inertes de bras ou de jambe (pinces prosthétiques et « jambes de bois »). Ce sont des automates construits pour être le plus discrets possible.

Les membres artificiels informatisés sont dotés d'activateurs, de moteurs et de senseurs. Un objet bionique363 imite l'apparence et le fonctionnement d'un objet biologique. Quand le patient se

dote d'une telle prothèse, il cherche à se fondre dans la foule des personnes valides.

360 Raphaël Cuir, « Aimee Mullins, La liberté prosthétique », Artpress 2, n°25, mai-juin-juillet 2012.

361 Prothèse du gros orteil droit, Musée du Caire. Jacqueline Finch, « The art of medecine », The Lancet, vol. 377, février 2011, p.

549.

362 Un agénésique est une personne qui n'a pas été amputée mais à qui il manque un membre ou un organe depuis sa naissance. 363 Agnès Guillot, Jean-Arcady Meyer, La bionique, quand la science imite la Nature, Paris, Dunod, 2008.

Une telle prothèse de membre dispose d'un appareillage intégré complexe qui la rend capable de tenir compte des mouvements du corps ou de capter certains influx nerveux. L'interface est conçue pour « lire les pensées » afin de produire les mouvements souhaités par la personne amputée.

Les prothèses informatisées de membres, se sont beaucoup perfectionnées ces dernières années notamment du fait des retombées du programme militaire « Revolutionazing Prosthetics », de la DARPA qui représente un investissement de 100 millions de dollars américains en vue de contribuer à l'amélioration de la qualité de vie des nombreux mutilés de la deuxième guerre d'Irak, débutée en 2003.

Ainsi, le recours à un bras robotique est, comme le pacemaker, lié à un contexte de maladie, et de handicap. Les membres bioniques sont rares, coûteux et réservés à un usage morphologique très personnel (comparativement aux prothèses détachables informatisées non thérapeutiques364qui

peuvent facilement passer de main en main). Bien que détachables, les poses de membres prosthétiques sont très strictement encadrés par des acteurs sociaux complémentaires.

Comment penser les différentes approches, invasives et non invasives permettant de contrôler informatiquement un membre prosthétique ? Il est délicat de ranger ces prothèses informatisées dans une catégorie très précise. Le critère de détachabilité n’est pas aussi clair qu’il pourrait sembler d’un premier abord. Si la limite de l’épiderme pourrait être la frontière objective entre le in et le out, après examen, il apparaît que cette frontière n’est pas du tout nette lorsque l'on examine la question des membres bioniques.

Ce sont des prothèses corporelles, sans nul doute. Elles en représente peut-être même l'exemple le plus typique. Elles sont généralement détachables, pourtant, leur utilisateur les inscrits dans son schéma corporel et les considère comme une partie de lui. La plasticité neuronale et l'utilisation à bon escient du phénomène des membres fantômes365 (ressenti par la plupart des

amputés) permettent bien souvent de recréer une image corporelle incorporant la prothèse. Les patients reconstituent leur corps amputé avec ces artefacts. Les prothèses de membres informatisés, même quand elles sont totalement détachables, font, en fait, partie du corps de leur utilisateur.

L'interface entre la prothèse et le système nerveux de l'utilisateur est parfois implantée mais tend, de plus en plus souvent, à demeurer externe pour éviter toute infection.

• La partie invasive de certaines prothèses de membres (le microtransmetteur implanté au

364 Les tablettes tactiles, les smartphones sont des outils standardisés, disponibles en millions d'exemplaires, dix fois moins onéreux

(au moins) que des dispositifs médicaux et surtout qui ne nécessitent ni un paramétrage véritablement individualisé au moment de la vente ni un suivi médical au cours de son utilisation.

365 C. Dietrich, K. Walter-Walsh, S. Preissler, et al. « Sensory feedback prosthesis reduces phantom limb pain : proof of a

principle », Neurosci Lett, n°507, 2012, pp. 97-100.

P. Ephraim, S. Wegener, E. MacKenzie, T. Dillingham, L Pezzin, « Phantom pain, residual limb pain, and back pain in amputees : results of a national survey », Arch Phys Med Rehabil, vol. 86 (10), 2005, pp. 1910-1919.

niveau des nerfs du moignon, qui communique avec la main robotisée Cyberhand®, ou le

BrainGate® utilisé pour interfacer le bras robotique et le cerveau dans les expériences de

Miguel Nicolelis) présentent des risques de iatrogénèse parfois analogues à ceux liés aux endoprothèses.

• Le projet de bras artificiel de Miguel Nicolelis dispose d'une interface implantée au niveau des nerfs366. Ses expérimentations ont permis de réaliser le contrôle très efficace de bras

robotisé par des singes (2008), puis par une humaine (2012).

• Une autre approche est d'utiliser un bras robotisé contrôlé par un senseur externe à électromyogramme367. Dans ce cas, la prothèse est entièrement détachable. Il n'y a alors

aucun risque d'infection.

Ces trois approches différentes d'interfaçage débouchent sur des systèmes ayant le même aspect. Pour les patients, les représentations ne semblent pas vraiment diverger.

La prothèse de bras élaborée par Todd Kuiken, au Rehabilitation Institute de Chicago, présente une situation tout-à-fait intermédiaire : les nerfs ont été replacés chirurgicalement sous la peau du thorax de façon à épouser facilement et efficacement les capteurs de l'électrode qui pilote le membre artificiel. 368. Il n'y a pas de corps étranger implanté mais il y a eu une nécessité de procéder

à une opération chirurgicale pour pouvoir utiliser cette prothèse. L'interface n'est pas « plug and

play ». Une fois construite, le « recâblage » des nerfs présente l'avantage de permettre une plus

grande rapidité d'installation de la prothèse détachable. Il faut généralement un ou deux dizaines de minutes pour installer une prothèse myoélectrique. Le « recâblage » semble en mesure de simplifier la pose de l'appareil.

Toutes ces prothèses actives, en mesure de se mouvoir de façon semi automatique, sont pourtant à peu près appropriées de la même façon que les prothèses de membres non informatisées. Très vite, tous ces objets deviennent, littéralement, une partie du corps de leur utilisateur. Cette question sera analysée plus loin avec le témoignage d'Aimee Mullins.

L'autonomie de mouvement des jambes artificielles pose peu de problèmes car ces dispositifs s'adaptent à des tâches assez standardisées (comme marcher, s'asseoir, se lever et utiliser un escalier).

Une gêne chez les utilisateurs réside dans l'aspect justement automatisé des bras robotisés. Les bras, sont utilisés par les humains pour une telle variété d'action que la prothèse ne peut pas toujours anticiper le mouvement correct. Une autonomie de mouvement du bras ou de la main conférée à une machine peut susciter un relatif sentiment d'aliénation chez certains patients qui

366 Site web du laboratoire de M. Nicolelis : http://www.nicolelislab.net/ 367 Site web du laboratoire de D. Kamen : www.dekaresearch.com/ 368 Site web du laboratoire de T. Kuiken : http://www.ric.org/

préféreront se cantonner à l'usage de prothèses inertes de membres supérieurs.

Le poids des prothèses de bras est de trois à quatre kilogrammes, les besoins en électricité sont tout à fait différents des besoins en énergie des endoprothèses. Les membres bioniques ont besoin de beaucoup plus d'énergie. Plus d'autonomie contraint à augmenter le poids et donc le confort d'utilisation diminue proportionnellement. Les machines sont prévues pour fonctionner presque tout le temps d'éveil. Le patient doit les recharger quand il dort.

En dépit des limitations techniques (batteries, bruits des moteurs, usure), la prosthétique robotique atteint un stade où des résultats significatifs sont obtenus dans les recherches. Les modèles disponibles fonctionnent de plus en plus efficacement. L'interfaçage myoélectrique est lui aussi de plus en plus précis. Les patients possesseurs de outils vont, peu-à-peu, pouvoir utiliser ces machines tout au long de la journée de manière vraiment efficace.

(Fig. 22 et 23) La prothèse de main Bebionic3369 est un des modèle les plus perfectionné du commerce de l'entreprise RSLSteeper,

peut être recouverte d'un gant cosmétique de couleur chair pour plus de discrétion. .

Une prothèse bionique de jambe du Rehabilitation Institute of Chicago a donné la possibilité à son porteur, Zac Vawter (amputé d'une jambe suite à un accident de moto), de gravir 103 étages d'un gratte-ciel370, le 4 novembre 2012. Ce modèle de prothèse démontre que le pilotage « par la

pensée » (au moyen de la détection de signaux myoléctrique) d'une prothèse détachable est fonctionnel. La nouvelle étape qui se profile à l'horizon, c'est la phase de démocratisation et de relative baisse des coûts de production d'une telle innovation.

(Fig. 24) Prothèse de jambe371 du Rehabilitation Institute of Chicago portée par Zac Vawter

Les membres prosthétiques sont des objets informatisés détachables qui tendent à avoir un régime de diffusion similaire à celui des endoprothèses. Très coûteux, ils ne déferlent pas sur un plan commercial. Ils sont réservés à une niche d'utilisateurs. Fortement associés à la médecine réparatrice, ils donnent lieu à un encadrement social des usages.

Pour l'instant, il est peu probable que des individus sains ne se mettent à remplacer leur membres biologiques par des prothèses bioniques. Si les membres robotique devenaient plus performant que les membres naturels, y aurait-il des candidats pour se faire amputer ? La question se pose néanmoins dès aujourd'hui.

Il existe déjà une forme d'opération spécifique, concernant certains handicapés moteurs, qui consiste à remplacer le membre biologique défaillant et devenu immobile par un mécanisme

369 Url : http://cdn.uproxx.com/wp-content/uploads/2010/05/bebionic.jpg [consulté le 18/11/12].

370 Michelle Janaye Nealy, “Man Climbs Chicago Skyscraper Using Bionic Leg”, Associated Press/AbcNEWS, 5 novembre 2012.

Url : http://abcnews.go.com/US/wireStory/man-climbs-chicago-skyscraper-bionic-leg-17638971 [consulté le 18/11/12].

fonctionnel robotisé.

Le professeur Oskar Aszmann, en Autriche, pratique des opérations chirurgicales controversées. Patrick, 24 ans en 2011, et Milo, 26 ans, en 2011, sont des jeunes hommes devenus handicapés de la main. Les thérapies de reconstruction des nerfs n’ayant pas permis de leur donner la possibilité de pouvoir utiliser à nouveau leur main, il leur a été proposé d’effectuer une amputation volontaire de leur main handicapée afin de laisser la place à une prothèse électronique (fournie par l’entreprise Otto Bock).

Ces cas de figure sont des premières médicales. Selon le professeur Aszmann, ces « reconstructions bioniques », sont un moyen de restituer un certain usage d’une partie du corps devenue inerte. En parlant de Milo, il dit :

« Reconstruire biologiquement (les nerfs de) la main, pour lui, serait une histoire sans fin et

au final il aura encore une main non fonctionnelle372 ».

(Fig. 25) Patrick, amputé volontaire de 24 ans, par le professeur Oskar Aszmann, en 2011.

Ce mode opératoire très controversé est pourtant déjà utilisé pour permettre le port de certaines prothèses non informatisées. Aimee Mullins et Oscar Pistorius sont, par exemple, deux célébrités qui ont été traitées de cette manière.

Ils ont été amputés vers un an et un an et demi. Ils n'ont plus de jambe à partir du genou. Des prothèses inertes sont utilisées pour remplacer leurs parties sectionnées. Pour eux, une prothèse est devenue indispensable. Il leur est, bien sûr, possible de changer de prothèse. Les « cheetah legs » à lame de carbone servent à la course, les prothèses « normales » servent pendant la vie quotidienne. Pour Aimee Mullins, l'usage de telles prothèses s'apparente à utiliser constamment des échasses.

(Fig. 26 et 27) Aimee Mullins373 et Oscar Pistorius374

Pour les amputés et les agénésiques, le port de membre prosthétique relève de la réparation esthétique au même titre que la réparation fonctionnelle. Comme les endoprothèses, les prothèses de membres sont à la fois des des auxiliaires pratiques et symboliques.

La relation aux prothèses inertes de membres est très intéressante à aborder. Une prothèse de membre non interfacée au niveau des nerfs fait partie symboliquement du schéma corporel pour son utilisateur. En raison du principe de parité, on assiste à l'inclusion psychologique du corps étranger inerte ou informatisé, le Métal dans la Chair de l'organisme.

372 « to biologically reconstruct a hand for him would be a never-ending story and in the end he would still have a non-functional

hand ». Url : http://www.bbc.co.uk/news/science-environment-13273348 [consulté le 18/11/12].

373 Url : http://media-dis-n-dat.blogspot.fr/2012/03/paralympian-model-aimee-mullins-becomes.html [consulté le 18/11/12]. 374 Url : http://intelligent-future.com/wp/ [consulté le 18/11/12].

Le « principe de parité » (Parity Principle), initialement formulé pour Andy Clark et Dave Chalmers375 pour décrit une équivalence fonctionnelle376 entre deux actions cognitives dont l’une se

déroule à l'extérieur du crâne et l’autre à l'intérieur de celui-ci, peut être utilisé comme concept opératoire pour réfléchir au sujet des équivalences fonctionnelles globales entre du Métal et de la Chair.

Un fait particulièrement significatif est que, pour Aimee Mullins, la nudité de son corps ne soit pas la chose la plus intime en soi. Aimee Mullins, qui est une femme superbe, a posée dénudée à certaines occasions. Elle joue, par exemple, quasi nue dans Cremaster 3 de Matthew Barney, en 2002. Pour elle, ce qui semblerait être la « véritable » nudité, ce n'est pas l'absence de vêtements mais plutôt l'absence de jambes.

(Fig. 28) Aimee Mullins dans Cremaster 3

Ce qui lui est insupportable, c'est de se montrer, d'affronter les regards, sans ses prothèses. Cela dénote que la présence de prothèse de jambe est profondément incluse dan son schéma corporel. Les prothèses sont interchangeables mais l'interaction sociale est impensable sans qu'un dispositif externe soit attaché à ses moignons.La fin de Cremaster 3, qui dépeint symboliquement une initiation maçonnique, la montre dotée d'une prothèse de jambe évoquant des tentacules. En fait cette prothèse finale, dans le film, est le fruit d'un compromis :

Initialement Matthew souhaitait que je fasse la scène sans prothèse. Il voyait ceci comme un moyen d'exprimer la théorie franc-maçonne qui dit qu'il faut abandonner son « Moi » le plus bas afin de pouvoir atteindre un niveau supérieur. Je devine que la représentation littérale de cela aurait été de me faire asseoir sur la luge avec aucun membre en dessous de mes genoux, mais cela aurait été trop difficile pour moi car c'est très, très intime. Nous avons eu un long dialogue à propos de ce que nous pourrions faire à la place et Matthew revint vers moi avec l'idée de faire apparaître mes jambes comme des tentacules de méduse parce qu'elles ne sont pas de forme humaine et qu'elles sont claires. Cela me paru acceptable car je ne me sens pas si nue à partir du moment où il y a quelque chose entre moi et le sol377.

Pour Aimee Mullins, des prothèses, qu'ils s'agissent de jambes en verre, de jambes tentacules ou de prothèses plus classiques, sont donc indispensables pour affronter le regard de l'autre.

La prothèse détachable fait, selon elle, partie de son corps. C'est de ce point de vue que l'on

375 Andy Clark, Dave Chalmers, "The Extended Mind", Analysis, n°58 : 1,1998, pp. 7-19.

376 Un numéro de téléphone dans un répertoire personnel équivaut selon ce principe, à la remémoration de ce numéro par le biais de

la mémoire cérébrale. Nous reviendrons plus amplement sur cette question à la fin de ce chapitre.

377 Nancy Spector, Matthew Barney: The Cremaster Cycle, Guggenheim Museum Publications, 2002, p. 493.

« Originally Matthew had wanted me to do that scene without prosthetics. He saw this as a way to express the Masonic theory that you have to lose your lower self in order to reach a higher level. I guess the literal representation of that would have been for me to sit on the sled without any limbs below my knee, but that would have been difficult for me because it's very, very intimate. We had a long dialogue about what we could do instead, and Matthew came up with the idea of making the legs appear like jellyfish tentacles because they're not a human form and they're clear. It worked for me because I don't feel so bare where