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B) Entre volonté de soin et désir anthropotechnique

3) Les implants cochléaires

Les implants cochléaires sont des dispositifs médicaux qui améliorent les capacités auditives de patients victimes de surdité de perception bilatérale. Ces implants ne nécessitent pas, à la différence des implants cardiaques, d’être périodiquement explantés, car leur source d’alimentation électrique est externe. Une partie du système est implantée dans la cochlée. L’autre partie, consiste en un contour d’oreille détachable fonctionnant avec des piles au lithium.

(Fig. 14) Implant cochléaire334

Les deux parties communiquent avec la technique sans-fil suivante :

Le microphone reçoit le message sonore naturel. Ce son est traité par un ordinateur miniaturisé situé dans le contour d'oreille. Les données sont émises de la partie externe, à travers la peau, vers le récepteur implanté. La partie implantée stimule ensuite l'électrode insérée dans la cochlée de façon à restituer le message sonore ce qui confère une capacité d'audition au patient.

Le résultat sonore est suffisant pour pouvoir suivre et participer à une conversation. Les sons entendus sont, selon certains témoignages, des sons robotiques qui sembleraient un peu effrayants pour des biens entendants. Dans d'autres cas, les sons restitués se rapprochent des sons réels. Les résultats varient fortement d'une personne à l'autre.

L’implant cochléaire permet à des personnes devenues sourdes, à la suite d’un accident ou

334 (à gauche) Url : http://blogs.miaminewtimes.com/riptide/250px-Cochlear_implant2.jpg [consulté le 18/11/12].(Ydomusch,

Creative Commons) (à droite) Url : http://www.cochlear.com/wps/wcm/connect/f9943c76-2910-4bca-8e90- 0896f4b1c8fe/en_product_cochlearimplant_howcochlearimplantworks_440x386_70.5kb.jpg [consulté le 18/11/12].

d’une dégénérescence, de pouvoir entendre à nouveau. Mais les enfants devenus sourds à la naissance ou au début de leur vie peuvent être également implantés. Enfin, les enfants sourds congénitaux sont également en mesure de bénéficier de ce traitement, mais à la condition de se faire implanter très tôt, dès la première année, dans certains cas.

Une polémique porte sur la question de l'implantation de ces dispositifs sur des bébés. Certains parents refusent d'effectuer l'implantation précoce de ces implants sur leurs enfants. Alors que, comme la cochlée ne grandit plus après neuf mois suivant la naissance, il est possible d' implanter l'endoprothèse dès la première année. Plus l'implantation est effectuée tôt et plus la plasticité neuronale donne la possibilité au patient d'adapter son fonctionnement cognitif à l'interface implantée de la prothèse. Le traitement de la surdité par endoprothèse est plus efficace quand l'hybridation entre le Métal et la Chair s'opère au plus tôt dans la vie. Les stimulations électriques transmises par l'implant dans la cochlée semblent plus « naturelles » et facilement interprétées quand le patient traité a absolument toujours connu cette forme de rapport à son environnement sonore.

Les implants cochléaires posés avant deux ans chez des enfants atteints de surdité bilatérale pouvant être soignée par ces implants semblent donner de très bons résultats (70% de réussite environ335). Le cerveau s'adapte à ce « bruit de friture » que synthétise l'implant, ce qui permet à

l'enfant de développer la zone du cerveau dévolue à l'oralité. Quand tout se passe bien, devenus adultes, les patients implantés sont satisfaits. Pour Cécilian, élève en terminale : « l'implant fait

partie de ma vie. Je ne pourrai plus m'en passer336 ». La cyberdépendance d'un porteur d'implant

cochléaire est légitimée par une volonté thérapeutique et est encadrée par un accompagnement social. La prothèse impose, certes, une maintenance mais la contrepartie de cette intrusion du Métal dans la Chair, c'est la restitution d'une partie de l'audition. Pour Cécilian, semble t-il, l'implant est une complète réussite.

Au vu des résultats de ces implants, il peut sembler surprenant que des parents en refusent les bénéfices y compris quand l'intégralité des soins est remboursée par des organismes de santé.

Un patient implanté d'une prothèse cochléaire, m'a déclaré que ce sont des « parents assez

fous pour refuser » car « cela permet aux jeunes implantés d'avoir une vie d'enfants presque normaux ». Cette personne compara ce type de refus à une forme d'obscurantisme. Ils comparent les

personnes qui refusent l'implant cochléaire à ceux qui refusent la vaccination ou la transfusion sanguine.

A contrario, des militants pour le droit des sourds, pour la défense de la langue des signes et

de la lecture labiale, s'offusquent de l'implantation systématique chez les bébés sourds.

335 Nicole Farges, « Un homme branché. Implant cochléaire et surdité », Chimères, n°75, automne 2011. p. 68. 336 Ibid. p. 63.

Contrairement à une greffe d'organe qui vient remplacer un organe défaillant par du vivant qui répare le corps, l'implant est une machine à demeure qui, par son incorporation, chirurgicale, est venue détruire l'organe déficient (la cochlée) pour introduire des électrodes à sa place. Si la machine peut-être « explantée », en cas de panne, de vieillissement ou de dysfonctionnement, la cochlée est, elle, totalement détruite « à vie »... Cette irreversibilité du processus n'est pas sans troubler les parenst lors de leur prise de décision d'implanter l'enfant337.

Les discours anti-implants cochléaires avancent différents arguments

Tout d'abord une personne implantée reste une personne sourde, le langage des signes peut lui permettre d'avoir un meilleur contact avec la communauté des sourds. Or cette communauté peut être un levier important pour permettre à l'enfant de s'accepter et de se sentir bien.

Je suis sourd profond depuis la naissance, j'ai commencé à porter l'appareillage à l'âge de 4 ans. J'ai appris plusieurs modes de communication : l'oralisme, le langage parlé complété (LPC) et la langue des signes. [...]

À 19 ans j'ai décidé de ne plus utiliser mes appareils. J'ai décidé de m'exprimer uniquement avec la langue des signes qui est vraiment primordiale pour mon épanouissement. […]Maintenant, j'ai trente ans. J'ai une vie tout à fait normale. J'ai eu mon bac, j'ai fait des études supérieures, j'ai un appartement, un boulot, des amis. Je pratique du sport, je participe à la vie associative... Bref une vie normale.

Je veux dire plusieurs choses aux parents qui n'ont pas encore implanté leur enfant.

Ce sont aux parents de s'adapter à l'enfant et non l'inverse! Bien sûr,il est indispensable de préparer son enfant pour son avenir et l'intégration dans la société. [...] Beaucoup de parents rêvent que leur enfant dise un jour Papa ou Maman. C'est un besoin égoïste. Votre enfant vous le dira de toute manière soit en parlant soit en signant. [...]338

Certains implantés témoignent de la difficulté de devoir apprendre à utiliser l'implant et que parfois, cela correspondrait à un désir « égoïste » des parents de vouloir rendre « normal » leur enfant.

Enfin, une autre critique dont il peut être tenue compte, c'est que la présence de l'implant alors qu'il n'est pas vital, va interdire à vie certaines activités riches en sensation comme la plongée sous-marine ou le pilotage d'ULM.

À travers ces arguments, la question qui se pose c'est de déterminer si l'implant est posé pour le bien de l'enfant ou correspond à un désir des parents d'effacer un trait de la personnalité de leur enfant. La réponse à cette question est loin d'être évidente. Cela touche directement la question de distinguer le « normal » du « pathologique »339. Pour Georges Canguilhem cette dichotomie est

toujours construite socialement.

Un sourd est-il malade et handicapé ou a t-il un juste autre mode de rapport au monde qu'un individu qui entend ? Dans l'idéal, c'est au patient lui-même de choisir, à un âge suffisant pour lui

337 Nicole Farges, « Un homme branché. Implant cochléaire et surdité », Chimères, n°75, automne 2011, p. 63. 338 Témoignage de « batman150 » sur le forum Aufeminin.com.

Url : http://forum.aufeminin.com/forum/handicaps/__f4237_handicaps-Bb-sourd-profond-pose-d-implant-cochleaire-je-cherche- temoignages-de-parents-comme-moi-svp-merci.html [consulté le 18/11/12].

339 Georges Canguilhem, Le Normal et le Pathologique, augmenté de Nouvelles Réflexions concernant le normal et le pathologique

garantir la capacité d'émettre des jugements éclairés. Toutefois, la thérapie exige de se prononcer quand il est encore en bas-âge. Il faut impérativement opérer avant six ans sinon cela fonctionne beaucoup moins bien (probablement en raison de la fenêtre de plasticité neuronale de l'audition). Parfois, la cochlée est ossifiée et l'opération est impossible.

La décision ne peut donc pas être prise par l'enfant lui-même.

Si les parents choisissent de faire implanter leur enfant, celui-ci pourrait le leur reprocher ultérieurement et, si ils choisissent de ne pas le faire, l'enfant pourrait tout autant leur en vouloir pour une raison inverse.

Le Comité Nationale d'Éthique préconise l'apprentissage de la langue des signes dès que le diagnostic de surdité a été posé. Car, si l'implant ne fonctionne pas (cela arrive parfois), l'enfant pourra sans retard utiliser ce langage pour s'épanouir et communiquer.

Les patients dotés d'implants cochléaires, que j'ai rencontrés sont uniquement des personnes ayant perdu l'audition au cours de leur vie et qui l'ont récupérée par la suite grâce à l'implant. D'une part, ils ont vécu une grande partie de leur vie avec la capacité d'entendre et le cerveau était déjà capable de traiter le signal sonore au moment ou l'implant cochléaire leur a été posé. D'autre part, ils n'ont pas connu l'enfance d'un implanté précoce.

Ces personnes exprimaient des critiques véhémentes à l'égard des parents refusant l'implant pour leur enfant, relayant ainsi complètement le discours médical dominant. Pour eux, de tels parents sont des « égoïstes ».

Il est très intéressant de noter que la même qualification est utilisée pour critiquer les parents qui choisissent d'implanter et ceux qui choisissent de ne pas implanter. L' « égoïsme » dont il est question se réfère à la question de responsabilité des parents. Ceux-ci doivent faire un choix, suivre l'avis d'un groupe de pression ou d'un autre.

Pourquoi vouloir rendre un sourd entendant ? Est-ce « pour le bien » de l'enfant ou est-ce une assimilable à une entreprise de destruction de la culture des sourds par les entendants ?

Voici comment les patients implantés résument les thèse des opposants à l'implantation d'endoprothèses cochléaires :

• Ce sont des parents sourds qui veulent que leur enfant vive un sort identique à eux (ce serait une projection du désir parental)

• Ce sont des parents qui seraient satisfaits que leur enfant soit sourd-muet

• C'est du au corporatisme des professionnels de la langue des signes qui voudraient défendre leur métier

savent implanter, ils sont tous au top. ». Les complications qu'ils décrivent sont essentiellement

l'endommagement du nerf facial au cours de l'opération ou le risque d'infection. Il est certain que cela impose une anesthésie générale mais « le jeu en vaut la chandelle ».

(Fig. 15) Bébé340 porteur d'un implant cochléaire

Il est très délicat pour les parents de choisir de refuser de poser l'implant, d'autant plus que des campagnes de dépistage et de sensibilisation341 sont mises en place. Refuser l'implant est un

choix difficile à assumer quand les médecins font pression pour promouvoir cette forme de réparation corporelle.

Les arguments de pro et de contre se radicalisent parfois rapidement quand l'on parcours les débats à ce sujet dans les forums sur Internet.

Il semble pourtant que les enfants implantés précocement ne montrent presque aucun signe de surdité quand l'implantation fonctionne. De ce fait, ils ne se plaignent pas du tout de l'implant. Ils ont grandi avec et les sons transmis par la machine. Ce sont les sons qu'ils ont toujours connus. Ils font partie du monde des entendants plutôt que de celui la communauté des sourds.

Les discours les plus véhéments que l'on trouve sur des forums sur le web émanent de quelques personnes très remontées à l'égard de l'implantation de ces machines. La grande majorité des patients implantés n'entre visiblement pas dans cette polémique car ils disent généralement être très satisfaits de pouvoir entendre des sons et de pouvoir parler sans recourir à la langue des signes.