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L’on ne saurait toutefois se contenter de peindre la fin du XIVe siècle et le début du

XVe siècle comme un « paysage sonore119 » faisant coexister deux langues qui rivalisent, se copient et se répondent. L’espace français connaît en effet bien plus que deux langues, elles-mêmes subdivisées en sous-ensembles et leurs relations passent tout autant par la coexistence que par l’hybridation. Si le corpus des sermons de Gerson n’est que bilingue, son environnement, lui, est multilingue et implique des dynamiques encore différentes. Multilingues, les mondes médiévaux le sont parce que les entités qui le structurent, royaumes, duchés n’ont rien des États nations qu’a imaginés le XIXe siècle centrés sur une langue : on l’a vu celle-ci se décline en variantes infinies. Mais ils le sont aussi parce que les langues s’étendent et cohabitent sur de vastes espaces au point que, pour la langue française, il soit permis de parler de « francophonie médiévale » qui passe par l’Italie de Brunetto Latini à l’Angleterre de John Gower120 :

L’ère d’utilisation du français depuis la fin du XIe siècle jusqu’au XIVe était étendue et constituait une véritable francophonie dans l’Occident médiéval. Cette francophonie est à la fois plus grande et moins grande que l’hexagone de la France moderne s’étendant depuis l’Irlande jusqu’à des parties de l’Italie dans le Sud Est.

Dans l’ensemble de la francophonie médiévale, la langue d’oïl coexistait avec, voire parfois était en compétition avec le latin, et les autres langues vernaculaires comme l’anglais, l’irlandais, le néerlandais, l’allemand, l’occitan, le catalan et l’italien.

Ces espaces sont enfin multilingues parce que le choc des langues, plus que des civilisations, y revêt bien souvent une dimension esthétique cultivée et consciente quoique nous n’en comprenions pas toujours les cadres théoriques ; le latin ouvre ainsi à de réelles possibilités esthétiques spécifiques

119 Nous reprenons ici l’expression ouvrant le livre de Benoît Grévin qu’il emprunte à Jean-Marie Fritz pour dépeindre la configuration linguistique qui s’offre à l’historien médiéviste.

120 C’est en effet le titre retenu par Ad Putter et Keith Busby, « Medieval francophonia » pour l’introduction de l’ouvrage Medieval Multilingualism, The Francophone world and its neighbours, Christopher Kleinheinz, Keith Busby (éd.), Turnhout, Brépols, 2010, p. 1-14. Nous traduisons : « […] the catchment area of French from the late eleventh through the fourteenth centuries was [wide] and constituted a veritable Francophonia in the medieval West. This Francophonia is at once more and less than the hexagon of modern France, extending from Ireland in the west to parts of Italy in the south-east. […] In the whole of medieval francophonia, the langue d’oïl coexisted with, and sometimes competed against, Latin and the other vernaculars, such as English, Irish, Dutch, German, Occitan, Catalan and Italian. ». Pour une mise en perspective de ces mêmes questions pour la période moderne avec une problématisation des notions de plurilinguisme et de diglossie on consultera Bilingual Europe. Latin and vernacular cultures. Examples of bilingualism and multilingualism, Jan Bloemendal (éd.), Leiden/Boston, Brill, 2015.

143 ainsi que Paul Zumthor a pu le montrer :

J’entends toutefois proposer cette étude du seul point de vue de la fonctionnalité poétique, au sens le plus large de l’expression. Il apparaît en effet, qu’au cours des siècles où se sont formées les techniques littéraires « modernes », la situation linguistique particulière des litterati engendra simultanément deux séries d’habitudes stylistiques (usage du latin en contexte roman ; de roman en contexte latin) qui, aux XIIe-XIIIe siècles, concoururent dans l’institution d’un mode d’écriture poétique nettement défini et reposant sur un jeu savant d’alternance entre le registre latin et le registre vulgaire […].

Par « fonctionnalisation » des oppositions linguistiques, j’entends leur utilisation, dans un but stylistique déterminé, en vue de la production ou d’une évocation particulière121.

Le Moyen Âge est multilingue, certes, et Gerson écrit dans deux langues. Mais ces dernières coexistent-elles assez souvent pour que ces problématiques et ces concepts gagnent à être convoqués pour notre objet d’étude122 ? Précisons d’emblée, avant de répondre à cette interrogation, que la question du plurilinguisme n’est pas aussi marginale qu’elle pourrait en avoir l’air car la prédication est au Moyen Âge l’une des pratiques qui fait le mieux se rencontrer et s’entrechoquer les langues.

Les mots pour transmettre la parole de Dieu sont en effet bien souvent, y compris dans les sermons en langue vernaculaire, des mots latins, quitte à ce qu’une glose vienne les redoubler. Déjà, dans cette configuration minimale, le rapport des langues n’est pas fait de pure juxtaposition où les codes seraient sourds l’un à l’autre ; la mobilisation du latin bien souvent sert des stratégies pragmatiques comme l’a montré bien montré Hervé Martin123, mais aussi parfois esthétiques.

Plus largement, la prédication est l’un des lieux où s’est illustrée de la manière la plus patente l’interaction, plus que la coexistence, des langues avec la pratique des sermons macaroniques.

Qu’il soit sérieux ou ludique, le sermon macaronique fournit à l’historien des textes une loupe utile où sont grossis des effets qu’un sermon davantage monolingue laisse à l’état de possibilités virtuelles.

Or, les effets sont nombreux, allant du pur ornement sonore jusqu’à la mise en relief signifiante en passant par les jeux polyphoniques124. C’est en outre aussi là que se pose avec une acuité toute

121 Paul Zumthor, « Un problème d’esthétique médiévale : l’utilisation poétique du bilinguisme », op. cit.

122 Nous usons présentement du terme de « multilinguisme » mais il serait préférable d’user du terme de diglossie dans le sens qu’a bien défini Benoît Grévin dans son article « L’historien face au problème des contacts entre latin et langues vulgaires au bas Moyen Âge (XIIe-XVe siècle) », dans La Résistible ascension des vulgaires. Contacts entre latin et langues vulgaires au bas Moyen Âge. Problèmes pour l’historien, Actes des journées d’études des 8 et 9 mars 2003, Université de Paris X-Nanterre, dans Mélanges de l’École française de Rome, Moyen Âge, n° 117/2, Rome, École française de Rome, 2005, p. 447-469. Il y décrit la période qui nous occupe (p. 459 sq.) comme une période de

« diglossie avancée » où la langue traditionnellement dévolue aux interactions orales commence à concurrencer la langue dévolue à la communication écrite. On ne manquera pas de se référer à cet article, auquel nous n’avons pu accéder que trop tardivement, pour sa mise au point fine et nuancée des enjeux de l’application de la sociolinguistique au Moyen Âge.

123 Hervé Martin, Le Métier de prédicateur en France septentrionale à la fin du Moyen Âge, Paris, Le Cerf, 1988, p. 257 sq.

124 Les exemples de sermons macaroniques ont fait l’objet de plusieurs études : la question ne recoupant que brièvement

144 particulière la question de la perception que pouvaient avoir les médiévaux du rapport des langues.

En effet, Stéphanie Le Briz et Géraldine Veysseyre le rappellent :

Les traducteurs ou glossateurs étudiés ne commentent presque jamais leurs pratiques bilingues, elles-mêmes fluctuantes, et ce alors que ces lettrés nous paraissent a priori les plus susceptibles de s’être intéressés à la question du rapport unissant leur langue cible, le français des XIVe et XVe siècles, à leur langue source, le latin.125

Si le statut des langues mises ainsi en branle dans le texte n’est donc pas toujours clair pour le lecteur moderne, nul doute en revanche que leur brassage ne soit anodin pour l’auteur médiéval.

Il vaut donc la peine de se pencher sur les sermons de Gerson avec une oreille attentive aux bruissements que font les deux langues qu’il manie, le latin et le français. Soulignons que nous ne sommes pas à l’initiative d’un tel questionnement puisque Gilbert Ouy avait déjà posé des jalons pour une semblable réflexion dans un de ses ouvrages pour certains textes spirituels126. Toutefois, à la différence des textes étudiés par cet illustre gersonien nous ne disposons pas de version latine et française d’un même sermon bien qu’il arrive que le thème choisi soit semblable127. Le bilinguisme est donc affaire de coexistence entre une langue majoritaire dans le sermon et une langue minoritaire présente dans des incises : on verra au cours de notre analyse que si la présence de latin est plus fréquente dans les textes français, l’inverse se rencontre de façon intéressante.

Les savoirs et les langues ne croissent pas hors sol : l’émergence d’une sphère intellectuelle complexe et diversifiée résulte également d’une géographie intellectuelle et politique renouvelée en ce début de XIVe siècle. La nouveauté de la période peut être attribuée au caractère davantage polycentrique qui rompt quelque peu avec les périodes précédentes, très largement dominées par les deux pôles majeurs qu’étaient Paris pour la théologie et Rome pour le pouvoir ecclésial128. En somme, aux XIVe-XVe siècles, la culture cesse de se faire seulement là où se pense la

notre objet de recherche nous renvoyons donc aux travaux suivants à titre d’introduction. On se reportera ainsi aux travaux bien connus de Siegfreid Wenzel, Preachers, poets, and the early English lyric, Princeton, Princeton University Press, 1986, ainsi qu’à l’article de Herbert Schendl, « Code-Switching in late medieval macaronic sermon », Multilingualism in Medieval Britain, Judith Jefferson, Ad Putter, Amanda Hopkins (éd.), Turnhout, Brepols, 2013, p. 153-170.

125 Géraldine Veysseyre, Stéphanie Le Britz, Approches du bilinguisme…, op. cit. p. 21.

126 Gilbert Ouy, Gerson bilingue…, op. cit.

127 Sur ce point on se reportera à notre tableau chronologique en annexe qui permet une vue synthétique.

128 Une telle présentation souffre des raccourcis qu’impose la brièveté. Il est ainsi certain qu’une relative pluralité a existé dans le domaine intellectuel dès le XIIe siècle : tout d’abord en France, avec l’existence de pôles régionaux dynamiques

145 théologie et où se mûrit le pouvoir : les lieux se spécialisent, jetant les bases de futures rivalités.

a. Paris : ville de luxe, de pouvoir et de savoir

Il serait ambitieux de vouloir proposer une synthèse exhaustive sur la situation de Paris au tournant du XIVe-XVe siècle129 aussi telle ne sera pas notre démarche : nous aurons surtout à cœur de présenter quelques traits saillants permettant une bonne compréhension du contexte parisien de l’époque. Il s’agira pour nous d’éclairer la figure de Gerson pour montrer en quoi elle est celle d’un lettré parisien. Puis nous tâcherons de montrer comment cet ancrage géographique est aussi intellectuel et joue dans les textes de notre corpus.

À l’aube du XVe siècle, Paris n’est sans doute pas encore une ville lumière, sauf par le jeu de réseaux métaphoriques déjà bien développés ; elle n’en est pas moins déjà une ville ostentatoire par le luxe qui s’y déploie. Cette tendance à l’exhibition de la richesse, notamment dans le milieu de la cour, est une constante pour la fin du Moyen Âge130 : elle caractérise toutefois avec une acuité toute particulière le règne de Charles VI. Concernant le temps long, mentionnons quelques éléments qui favorisent l’émergence d’une culture du luxe à Paris : la mentalité aristocratique médiévale vantait la vertu de largesse de longue date, elle fut néanmoins renforcée par la relative sédentarisation de la cour ainsi que le regroupement dans un même lieu du pouvoir politique et administratif. Le règne de Charles V ajouta en outre à ces évolutions de fond un intérêt nouveau pour l’art comme support et soutien d’une idéologie monarchique131 aussi récente que puissante. Noblesse, royauté et luxe faisaient donc déjà bon ménage avant même l’accès de Charles VI au trône : et Paris rassemblait donc

(Chartres etc.) puis à l’étranger avec l’essor de nouvelles universités : Oxford etc. dont la production théologique n’était pas de moindre envergure. Malgré cela, la primauté de Paris en la matière restait forte.

129 L’historiographie récente parisienne a globalement repris cette balise chronologique (1400), notamment en raison de sa pertinence au regard des règnes successifs de Charles V et Charles VI. Nous la reprendrons donc à notre tour : elle correspondant en effet assez bien au mitant de la carrière de Gerson, ainsi qu’à sa relative apogée. Néanmoins, nous ne nous interdirons pas de recourir à des données qui concernent davantage la période du règne de Charles V : il n’y a en effet pas de ruptures majeures entre les deux règnes pour ce qui touche la ville de Paris mais surtout une poursuite plus ou moins forte de dynamiques analogues. Nous délaisserons pour cette partie une approche strictement intellectuelle pour l’élargir à des considérations culturelles plus vastes. Dans cette perspective nous nous appuierons sur les apports des ouvrages suivants : Elisabeth Taburet-Delahaye, Paris 1400. Les Arts sous Charles VI, Paris, Fayard, Éditions de la Réunion des Musées nationaux, 2004 ; Frédéric Pleybert, Paris et Charles V. Arts et architecture, Paris, Action artistique de la ville de Paris, 2001 ; Inès Villela-Petit, Le Gothique international. L’art en France au temps de Charles VI, Paris, Hazan, Musée du Louvre, 2004 ; Elisabeth Taburet-Delahaye, (dir.), La Création artistique en France autour de 1400, Actes du colloque international École du Louvre, Musée des Beaux Arts de Dijon, Université de Bourgogne, 7-10 juillet 2004.

130 Pour approfondir cet aspect on pourra reprendre les analyses de Johan Huizingua dans L’Automne du Moyen Âge, op. cit. notamment dans les chapitres consacrés à la pensée et aux valeurs nobiliaires « La conception hiérarchique de la société », p. 59-67 et « L’idée de chevalerie », p. 68- 78.

131 Sur ces questions on consultera Colette Beaune, Naissance de la nation France, Paris, Gallimard, 1985.

146 déjà des artisans et des artistes en nombre. Les affres politiques de son règne achevèrent pourtant d’accentuer ces caractéristiques du fait d’un contexte où le mécénat artistique servait aussi les rivalités politiques :

Une des conditions de la richesse de la création tient à la démultiplication des commanditaires qui, fils, frères ou oncles de roi, sont à même de rivaliser avec le mécénat royal. Les plus célèbres de ces « princes des fleurs de lys » sont de la génération de Charles V : ses frères Louis Ier d’Anjou, Jean de Berry et Philippe le Hardi, duc de Bourgogne et son beau-frère, Louis II, duc de Bourbon. Viennent ensuite le roi et la reine Isabeau de Bavière, le frère du roi Louis d’Orléans […], et leurs cousins, Louis II d’Anjou et Jean sans Peur. La troisième génération est représentée par Charles d’Orléans […], et par le dauphin Louis de Guyenne qui, malgré son jeune âge […] se révèle grand amateur d’art. Autour du roi, et même davantage que lui […], les princes de la famille, leurs épouses et leurs enfants sont des commanditaires assidus. Leur demande stimule tous les métiers de l’artisanat parisien […]132.

La richesse des réalisations artistiques, des programmes architecturaux privés133 ou des commandes bibliophiles134 s’inscrivent donc dans des stratégies visant le rayonnement de politiques personnelles.

Ainsi à la Sainte-Chapelle de Vincennes fondée en 1379, qui est une réalisation royale, répond plus tard la Sainte-Chapelle de Bourges, cette fois pour le duc de Berry : les mêmes artisans y usent des mêmes techniques (vitraux en grisaille et ors, ogives végétales jouant de la luminosité tout en finesse etc.). Mais les rivalités nobiliaires n’épuisent pas les raisons qui firent de Paris une véritable capitale artistique : car la richesse et le luxe ne valent, encore, que par leur valeur d’échange symbolique.

Étrennes somptueuses135, présents ouvragés rythment et structurent les relations personnelles des individus dans une logique très codifiée de don et contre-don, marquée parfois par la surenchère.

Ce statut de Paris au sein du gothique international ne peut être compris indépendamment de son rôle politique. En effet, à partir de Charles V, la ville devient un enjeu central pour le pouvoir royal. À travers de véritables programmes urbanistiques destinés à soutenir des théorisations

132 Inès Villela-Petit, Le Gothique international, op. cit., p. 9-10.

133 Les hôtels particuliers des grands du royaume, du roi mais aussi de dignitaires moindres comptent parmi les lieux de déploiement d’une importante richesse artistique : c’était le cas évidemment de l’hôtel Saint-Pol du roi, mais aussi de l’hôtel du duc de Bourgogne (dont subsiste de nos jours la tour Saint-Jacques), ou de l’hôtel du duc de Berry à Bicêtre, brûlé en 1411. Voir sur ce sujet, Jean Chapelot, « L’hôtel du roi à Vincenne : Charles V dans son logis », dans La Cour du prince. Cour de France, cours d’Europe, XIIe-XVe siècle, Muriel Gaude-Ferragu, Bruno Laurioux, Jacques Paviot, (éd.), Paris, Honoré Champion, 2011, p. 145-176 et, dans le même ouvrage, l’article de Boris Bove, « À la recherche des hôtels princiers de Paris : un inventaire impossible ? », p. 177-194.

134 Nous aimerions ici prendre le temps de détailler un peu la nature de ces réalisations qui permettent de mesurer toute la richesse d’une époque : la brièveté mais aussi notre spécialité disciplinaire nous enjoint de passer outre. On pourra se reporter avec profit à la bibliographie citée supra, notamment aux ouvrages d’histoire de l’art.

135 Mentionnons ainsi pour exemple le Goldenes Rössl offert par Isabeau de Bavière à Charles VI pour les étrennes de 1405. Il est conservé aujourd’hui à Altötting dans le trésor de l’église : l’ouvrage consiste en une miniature représentant le roi tenant un cheval aux pieds d’une vierge à l’enfant. L’ouvrage est en or, argent, émaux et use de la technique de l’émail sur ronde-bosse.

147 politiques précises et savantes, la ville devient le lieu d’affirmation du pouvoir, en même temps que la manifestation de son sens136. Affirmation dynastique tout d’abord, avec la commande de son tombeau, et ceux des autres Valois, dès les débuts de son règne pour les mettre dans le sanctuaire des rois de France à Saint-Denis. Affirmation personnelle ensuite avec la réalisation de nombreuses effigies non stéréotypées à l’image du roi et disposées de part et d’autre de la ville. Le roi toutefois n’est pas toujours seul : les groupes statuaires font voir également la reine et les enfants royaux. Cette tradition d’une représentation (relativement) fidèle de la personne royale et de ses proches demeura une constante de la pratique artistique après la mort de Charles V ; les représentations de Charles VI sont nombreuses et laissent transparaître un jeu subtil entre mimesis et idéalisation de la personne royale137. Mais les importants programmes architecturaux des règnes de Charles V puis de Charles VI sont tout autant de manifestations d’un sens du pouvoir : la royauté s’y donne à lire dans une herméneutique programmatique. Les références à la figure idéale de l’empereur Auguste habitent les conceptions urbaines de Charles V : l’édification d’un tombeau de son vivant y renvoie, de même que sa vision d’un roi bâtisseur, ou plutôt architecte. Car les transformations de Paris, si elles répondent à des nécessités pragmatiques (réfection de l’enceinte de la ville, édification d’une résidence royale hors les murs à distance des troubles parisiens etc.) obéissent à des considérations philosophiques où l’on retrouve la pensée d’Aristote, vulgarisée par Oresme138. Travaux hydrauliques à Paris et à Rouen, plan régulier de Vincennes à la manière des cités hippodamiennes témoignent de cette volonté chez le roi de conjuguer la sagesse et la ville ainsi que peut-être, la cité terrestre à la cité céleste :

À Vincennes, la thématique des deux cités, unies jusqu’à la fin des temps, était peut-être transposée aux dimensions de la ville tout entière, par la présence de la Sainte-Chapelle qui représentait la demeure de Dieu, la Jérusalem céleste, promise au paradis […]. La cité céleste, nourrie de la foi et de l’amour, rayonnait au cœur de la cité des hommes, qui seule ne pouvait apporter le bonheur. Charles V chercha

À Vincennes, la thématique des deux cités, unies jusqu’à la fin des temps, était peut-être transposée aux dimensions de la ville tout entière, par la présence de la Sainte-Chapelle qui représentait la demeure de Dieu, la Jérusalem céleste, promise au paradis […]. La cité céleste, nourrie de la foi et de l’amour, rayonnait au cœur de la cité des hommes, qui seule ne pouvait apporter le bonheur. Charles V chercha