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Un genre littéraire ? Sur la possibilité d’une approche à caractère esthétique

discours et qui est ce vers quoi il tend, il n’est de ressort plus porteur, plus frappant et plus signifiant que la beauté72.

Un genre littéraire ? Sur la possibilité d’une approche à caractère esthétique

Les approches formalistes et structuralistes développées au cours de la deuxième moitié du XXe siècle dans la recherche littéraire ont offert de nouveaux outils conceptuels pour aborder et mettre en lumière les textes. Ce tournant intellectuel a également redynamisé des approches rhétoriques plus traditionnelles en renouvelant leur cadre réflexif. L’étude de corpus homilétiques dans des perspectives mobilisant des outils dits « littéraires » s’en est trouvée grandement facilitée73. À cette réception critique qui, par la pratique et la mobilisation d’outils théoriques littéraires, entérine une littérarité des textes et du genre sermon, répondent des études qui soulignent combien la frontière entre production esthétique visant le divertissement et production homilétique est floue : couleurs de rhétorique, vers, pathos, récit : le sermon peut

71 Nous empruntons le terme de « machine » à l’ouvrage Les Machines du sens. Fragments d’une sémiologie médiévale. Textes de Hugues de Saint-Victor, Thomas d’Aquin et Nicolas de Lyre, Yves Delègue (éd.), Paris, Édition des Cendres, 1987. Nous reviendrons à la fin de notre introduction sur cette terminologie.

72 Sur la question large de la beauté dans le contexte des textes spirituels, on consultera avec profit l’ouvrage (consacré à la période antérieure) de Alain Michel, In hymnis et canticis : culture et beauté dans l'hymnique chrétienne latine, Louvain, Publications universitaires ; Paris, Vander-Oyez, 1976.

73 On pourra sur cette question consulter entre autres le bel ouvrage exégétique et littéraire d’Annie Noblesse Rocher, L’Expérience de Dieu dans les sermons de Guéric, abbé d’Igny, Paris, Éditions du Cerf, 2005.

L’approche y mêle à la fois les cadres classiques de l’exégèse et de la rhétorique médiévales et celui plus moderne de la stylistique. Pour une approche plus strictement structuraliste on lira également David d’Avray, Medieval marriage sermons : mass communication in a culture without print,Oxford, Oxford university Press, 2001. Enfin, pour une lecture plus largement esthétique, on pourra aussi, toujours sur le corpus monastique et cistercien (qui se montre fort accueillant à ces approches), consulter l’article de Michel Zink, « L’art littéraire de saint Bernard », L’Actualité de Saint Bernard, Antoine Guggenheim, André-Marie Ponnou-Delaffon (éd.), Paris, Éditions Parole et Silence, 2010, p. 197-212. Enfin dans une perspective sensiblement différente, plus étroitement littéraire mais de ce fait éclairante Michel Zink, Poésie et conversion, Paris, PUF, 2003.

26 faire feu de tout bois74. Bien plus, la structure formelle des textes eux-mêmes interpelle, amenant certains critiques à s’interroger : « est-ce qu’une semblable structure verbale peut être véritablement qualifiée d’art – une œuvre qui soit en même temps expressive, imaginaire, et esthétiquement plaisante ?75 ». Ces outils modernes posent assurément des questions pertinentes quant aux textes. Pourtant, leur mobilisation ne suffit pas pour penser précisément une possible dimension littéraire, de même que proprement médiévale, du genre sermon.

Or, en parallèle d’un regain d’intérêt pour les textes spirituels, la critique a également renoué avec la question des genres littéraires76. Il nous a donc semblé pertinent de proposer dans notre travail une articulation de ces différents apports successifs pour repenser à neuf, non pas la littérarité d’extraits, ou de passages ; mais celle du genre en lui-même, et notamment dans les évolutions qu’il connaît à la fin de la période médiévale77.

Le travail appréciable de théorisation générale, (et embrassant un champ chronologique très vaste) qui a été mené sur la question générique n’éclaire néanmoins que partiellement les réalités médiévales. Et pourtant, c’est bien à ces théorisations modernes que renvoie l’ouvrage consacré au sermon dans la collection « Typologie des sources du Moyen Âge occidental » publié sous la direction de Bervely Mayne Kienzle quand le sermon est défini comme « genre littéraire ». Le propos s’appuie ici sur les travaux de Jean-Marie Schaeffer qui définissent le genre littéraire comme « une catégorie reconnaissable d’œuvres écrites ou orales usant de conventions communes afin d'éviter que les lecteurs ou le public n'aillent les prendre pour autre

74 Sur les procédés rhétoriques dont dispose le prédicateur on pourra consulter la mise au point de Franco Morenzoni sur les théorisations issues des artes praedicandi dans Des écoles aux paroisses. Thomas de Chobham et la promotion de la prédication au début du XIIIe siècle, Paris Institut des études augustiniennes, 1995 dans le chapitre « La technique du sermon selon les Artes praedicandi », p. 189-240. On pourra également trouver une étude détaillée des effets rhétoriques d’un autre prédicateur, Bernardin de Sienne, dans l’ouvrage de Carlo Delcorno, « Quasi quidam cantus » : studi sulla predicazione medievale, Giovanni Baffetti, Giorgio Forni, Silvia Serventi (éd.), Florence, Leo S. Olschki editore, 2009. On se reportera en priorité sur ces questions au chapitre 3, « Il “parlato” dei predicatori », p. 43-84. Soulignons toutefois que pour utile que ce soit ce rapprochement, il doit être manié avec précaution : Bernardin de Sienne appartient à l’espace italien où la rhétorique joue un rôle (notamment politique) plus important et il est franciscain, d’où une orientation différente dans la prédication.

75 Siegfried Wenzel, Preachers, poets and the Early English Lyric, Princeton, Princeton University Press, 1986, p. 62. Nous traduisons ; texte anglais : « But can such a verbal structure really be called art _ a work that is at once expressive, imaginative, and esthetically pleasing? ».

76 Sur cette question de théorie littéraire on pourra se reporter avant tout élargissement de la réflexion aux problématiques médiévale aux ouvrages de Jean-Marie Schaeffer, Qu’est-ce qu’un genre littéraire ? Paris, Le Seuil 1989, de Kate Hamburger,Logique des genres littéraires, Paris, Le Seuil, 1977 pour l’édition française ainsi qu’à l’ouvrage collectif Gérard Genette, Tzetan Todorov, (dir.) Théorie des genres, Paris, Éditions du Seuil, 1986.

77 Nous reviendrons plus précisément sur cette évolution à la faveur de notre problématisation puisque notre hypothèse de recherche sera précisément que ces évolutions du sermon à la fin du Moyen Âge résultent d’une confrontation à un champ littéraire en voie de formation induisant une réaction, à savoir, la littérarisation du texte religieux face à l’irrésistible ascension du texte littéraire.

27 chose78 ». En réalité une telle définition use du terme « littéraire » comme quasi équivalent de

« textuel » ou « discursif » ; or une telle approche n’est pas tout à fait celle de Jean-Marie Schaeffer qui reconnaît lui-même que le terme « littéraire » pose problème :

[…] La littérature n’est pas une notion immuable : si nous partons de l’acception actuelle du terme (et de quelle autre pourrions-nous partir ?), nous sommes obligés de convenir qu’il s’agit non pas d’une classe unique de textes fondés sur des critères constants, mais d’un agrégat de classes fondées sur des notions diverses, ces classes étant le précipité actuel de toute une série de réaménagements historiques obéissant à des stratégies et des critères notionnels divers. Cela ne veut pas dire qu’il s’agit d’un ensemble quelconque sans aucune spécificité, mais qu’il faut pour le moins admettre plusieurs critères. Comme l’a montré Gérard Genette, ces critères ont des statuts divers : si le domaine de la fiction a été de tout temps considéré comme étant constitutivement littéraire, le domaine que Genette propose d’appeler la diction, c’est-à-dire, celui de la littérarité fondée sur des critères formels, se divise en revanche en un champ constitutivement littéraire, celui de la poésie (versifiée), et un autre, celui des genres non fictifs en prose, qui l’est seulement de manière conditionnelle.

J’ai donc décidé de n’exclure a priori aucun terme, à condition qu’il soit utilisé pour classer des œuvres ou des activités verbales linguistiquement et socialement marquées et encadrées (framed), et qui par là se détachent de l’activité langagière courante : une blague compte ainsi autant qu’une tragédie […]. Cela ne veut évidemment pas dire que je postule une égale dignité littéraire pour tous ces noms […]. Simplement je plaide pour des frontières floues et mouvantes79.

De fait, le sermon relève de la catégorie des textes ou activités verbales pouvant être littéraires de manière « conditionnelle » puisqu’ils relèvent clairement de la diction. Leur statut mérite en outre d’être examiné puisqu’à l’évidence, nous l’avons montré dans les deux parties précédentes, il s’agit d’une activité « socialement marquée » et assurément « encadrée ». Nous reviendrons un peu plus tard sur la question du « linguistiquement marqué ». Pourtant, la question du littéraire reste entière car la citation elle-même élude quelque peu le nœud du problème : quid de la différence entre la blague et la tragédie ? Ce sur quoi le critique achoppe ici, c’est bien la relativité des critères du littéraire, clairement soulignée au demeurant, laquelle rend problématique le tri entre ces différentes activités socialement marquées. En réalité, Jean-Marie Schaeffer l’évoque un peu plus loin, le littéraire est relatif aux stratégies de légitimation (par l’auteur par exemple) des textes propres à chaque époque. Or, c’est ce dernier trait culturel qui, articulé à la définition formelle des textes, permet de cerner ce que peut être un genre littéraire. Revenons donc au Moyen Âge et voyons quelle forme prennent ces deux

78 Beverly Mayne Kienzle, The Sermon, op. cit., p. 145.

79 Jean-Marie Schaeffer, Qu’est-ce qu’un genre littéraire ? Paris, Éditions du Seuil, 1989, p. 76-77.

28 paramètres et ce que produit leur combinaison, en particulier dans le cas du sermon.

Dans notre essai d’approche historique du sermon nous avons déjà esquissé une définition formelle de ces textes ; rappelons néanmoins les principaux éléments de cette nouvelle perspective. Pour les sermons, la définition littéraire passe d’abord par la négative comme le rappelle Michel Zink en parlant des artes praedicandi :

En réalité, leur souci n’est pas celui de la réussite esthétique, ni même celui de la persuasion, mais celui de l’exégèse : la méthode qu’ils définissent vise à légitimer le choix d’un thème scripturaire, puis à permettre sa division, son analyse, son interprétation. Si l’enseignement laisse la place à l’exhortation morale dans la partie consacrée à la tropologie, le manuel ne s’intéresse qu’au sens de cette exhortation, et non aux moyens qu’elle doit mettre en œuvre pour toucher l’auditoire. Autrement dit, il ne s’intéresse guère à l’invention et à la disposition qu’en fonction des méthodes de l’exégèse et ils ne font qu’une place insignifiante à l’élocution, qui était pourtant en passe de devenir à elle seule l’essentiel de la rhétorique80.

Cette approche est celle des manuels de notre période d’étude : d’abord l’exégèse, à savoir les méthodes de division du thème, ensuite, éventuellement, les couleurs. Pourtant, ces couleurs de rhétorique, nous le savons, jouent un rôle non négligeable et tiennent toute leur place81. Reste que cette présence ne semble pas jouer de rôle structurel au niveau de la définition du genre qu’on trouve dans ces ouvrages théoriques. Et à l’inverse, les traités dont on pourrait penser qu’il s’agit de la théorisation littéraire médiévale par excellence, les artes versificatoria ne font pas mention de cette classe de textes que sont les sermons82. Certes, Danièle James-Raoul le signale, le lexique en la matière est trompeur, les mots ne renvoyant pas toujours aux réalités médiévales ; il n’empêche, les sermons paraissent constituer un cas relativement à part.

Ce rapide survol ne livre pourtant pas un aperçu exhaustif de la question : la théorisation des sermons comme genre littéraire paraît aporétique, mais le détail des textes – tant théoriques qu’homilétiques – permet de faire un pas de plus. Nicole Bériou83 dans un article

80 Michel Zink, « La rhétorique honteuse et la convention du sermon “ad status” à travers la “summa de arte praedicatoria” d’Alain de Lille, dans Les Voix de la conscience, Parole du poète et parole de Dieu dans la littérature médiévale, Caen, Paradigme, 1992, p. 371-385, cit. p. 371.

81 Sur ce sujet, voir, chez Hervé Martin, Le Métier de prédicateur en France septentrionale à la fin du Moyen Âge (1350-1520), op. cit., la quatrième partie « Un Discours captateur » qui porte sur les métaphores et les exempla, p. 423- 548.

82 Sur cette question de théorisation médiévale des genres on se reportera à Danièle James-Raoul, « La Poétique des genres dans les arts poétiques médiolatins (XIIe-XIIIe siècle) », dans Les Genres littéraires en question au Moyen Âge, Danièle James-Raoul, (éd.) Eidôlon, n° 97, Bordeaux, Presses universitaires de Bordeaux, 2011, p. 169-186, ainsi que Pascale Bourgain, « Théorie littéraire. Le Moyen Âge latin », dans Jean Bessière, Eva Kushner, Roland Mortier, Jean Weisgerber (dir.), Histoire des poétiques, PUF, 1997, et Perrine Galand Hallyn, Fernand Hallyn,(dir.), Poétiques de la Renaissance : le modèle italien, le monde franco-bourguignon et leur héritage en France au XVIe siècle, Genève, Droz, 2001.

83 Nicole Bériou, « Le Sermon thématique. Une construction fonctionnelle et esthétique », dans L’Œuvre littéraire du Moyen Âge aux yeux de l’historien et du philologue, Actes du colloque « L’œuvre littéraire du Moyen Âge

29 récent retrace ainsi l’évolution du regard des théoriciens du genre homilétique sur la question précise de l’agrément produit par le texte. Les débuts de la réflexion en la matière montrent au

XIIIe siècle une relative défiance à l’égard de l’ornement : il est à bannir pour Humbert de Romans et, à tout le moins, doit être subordonné à l’utilité chez Alexandre Ashby. Au XIVe siècle Thomas de Clèves recommande l’usage de l’ornement qui favorise la concentration et la mémorisation de l’auditeur. Mais de quelle esthétique parle-t-on ? On ne peut en effet se satisfaire, comme le rappelle Nicole Bériou « d’une quelconque valeur esthétique intemporelle, mais [il s’agit] au contraire, dans un réflexe d’historien, de tenter de discerner cette valeur en posant d’emblée une altérité temporelle84 ». Elle montre ainsi que la beauté que les prédicateurs thématisent dans leurs textes n’est pas celle des images mentales et des métaphores, très marquantes pour le lecteur moderne : ce sont en effet la musique et l’architecture qui fournissent les paradigmes tout augustiniens de leur appréciation esthétique. Entre l’orgue et la cathédrale, le sermon apparaît dès lors comme cet art singulier qui entremêle la voix mise en mètres, et la foi bâtie en flèches et arcatures85. Gerson, quant à lui, plus tardif, se montre fort conscient de cet aspect et ses textes témoignent d’une dimension spéculaire assumée qui joue de la connivence avec son public :

Et quoniam tres collati sunt in themate termini principales : beatitudo, luctus, consolatio, tripartita erit nostri sermonis fabrica, quia super quemlibet ex terminis aedificium nostrae ratiocinationis fundabitur et excresceret. […]86.

La métaphore architecturale n’est en rien ponctuelle et au contraire apparaît comme un élément récurrent de la structuration du sermon comme le montre sa reprise lors des passages d’articulation du raisonnement :

Attamen ne perpendicularem nostri aedificii regulam conturbet aequivocacionis irregularitas, describendum est qui est luctus, quid est

aux yeux de l'historien et du philologue : interaction et concurrence des approches », organisé à Moscou en septembre 2012, Ludmilla Evdokimova, Victoria Smirnova,(dir.), Paris, Classiques Garnier, 2014.

84 Nicole Bériou, « Le Sermon thématique… », op. cit., p. 344.

85 Il est à cet égard intéressant de souligner combien à travers ce goût architectonique le sermon thématique se rattache mutatis mutandi, à une tradition littéraire qui fait fi des siècles. De ce point de vue, les sermons scolastiques pourraient renvoyer de façon lointaine à ce grand monument de la littérature moderne qu’est La Recherche du Temps perdu où l’image de la cathédrale ordonne comme une clé heuristique l’exégèse du sens profond de l’œuvre. Nul doute qu’on ne puisse y voir le signe de la connaissance profonde qu’avait Marcel Proust de la sensibilité médiévale ; mais on peut également y déceler la connivence dont témoigne ce jeu de formes entre deux types d’écritures soucieuses du salut que celui-ci soit religieux ou sécularisé.

86 Beati qui lugent, OC, t. 5, n° 213, p. 93. Traduction : « Et puisque trois termes principaux se trouvent dans notre thème, la béatitude, le deuil et la consolation, la matière de notre sermon sera tripartite car l’on peut fonder et élever l’édifice de notre raisonnement sur celui des termes que l’on voudra ».

30 consolatio […]87.

On le voit dans ce second exemple, la métaphore n’est pas seulement illustrative au sens où elle se contenterait de fournir une image en miroir du texte : elle délivre également des considérations d’ordre esthétique et fournit en creux les normes d’appréciation du sermon.

Si le point de vue des théoriciens et le langage des praticiens permettent donc de retracer en pointillé une conscience des enjeux esthétiques du genre, la réception met en lumière leur pertinence du point de vue des auditeurs selon l’approche développée par Hans Robert Jauss :

L’étude des interrelations entre littérature et société, entre l’œuvre littéraire et le public, échappera d’autant plus à la simplification sociologique et psychologique qu’elle reconstruira cet horizon d’attente des genres qui constitue d’avance l’intention des œuvres et la compréhension des lecteurs, et par là nous fait ressaisir une situation historique dans son actualité révolue88.

Toutefois, lui-même le reconnaît, les témoignages en la matière sont rares et obligent, en général, à recourir à une théorisation essentiellement formaliste. On ne peut que se réjouir que la période tardive qui est celle de Gerson ait légué à la postérité une petite série d'appréciations et jugements que Palémon Glorieux a compilés. Si l'on se cantonne à la réception et à la postérité immédiate de Gerson on ne retiendra que neuf notes émanant respectivement de Jean de Montreuil (2), Nicolas de Clamanges (1), Amédée de Talaru (1), Gérard Machet (2). L'une est enfin attribuée à Jean le Célestin sans certitude, une autre provient du nécrologe de Notre-Dame de Paris et une dernière est anonyme. Dans cet ensemble deux notes, l’une de Jean de Montreuil, l’autre de Jean le Célestin, abordent la mémoire du chancelier sous un angle proprement esthétique. Les mots de Jean de Montreuil à Guillaume Fillastre sont connus et fréquemment cités, prenons néanmoins le temps de les relire :

[…] miror et admodum miror te illius eruditionis singularissimae viri cancellarii Parisiensis non esse imitatorem. De vita non loquor aut moribus, seu etiam de cultu religionis christiniae vel de theologicae, in quibus electissimi elevatissimique ambo estis. De traditiva et suasiva loquor, quae maxime rethorices et eloquentiae regulis constat consequiturque, et sine qua sermocinatio, quae finis esse mihi videt facultatis, redditur pene inutilis et

87 Ibidem, p. 97, traduction : « Toutefois, pour que l’irrégularité résultant de la synonymie n’aille pas déranger la rectitude perpendiculaire de notre édifice, il nous faut décrire ce qu’est le deuil, ce qu’est la consolation. »

88 Hans Robert Jauss, « Littérature médiévale et théorie des genres », dans Gérard Genette, Hans Robert Jauss, Jean-Marie Schaeffer, Robert Scholes, Wolf Dieter Stempel, Karl Viëtor,(éd.), Théorie des genres, Paris, Éditions du Seuil, 1986, p. 37-76.

31 vacua89.

Le thème du savoir sert d’accroche au propos, ainsi que celui de la moralité qui l’étoffe ; mais c'est la maîtrise rhétorique de Gerson, commentée dans un jugement esthétique et selon des critères stylistiques qui retient l’attention Jean de Montreuil. Chose intéressante en matière de littérarité, Gerson est donné ici comme modèle à suivre ; or, l’idée de canon est fondamentale pour la littérature en général, mais aussi pour la littérature telle qu’elle commence à être définie à cette période. Jean le Célestin se situe dans une semblable perspective, quoiqu’il ne thématise pas autant le style et la question du modèle :

Tinnula vox ejus, gestu comitata venusto Vera suadebat coelia verba docens At quotiens dura cervix flecti reproborum Debuit insonuit aperiore tono

Rhetor et orator mirus sermone diserto Dicta coaptavit moribus in variis

Doctrina quantus fuit quantum arte profundus Edita quae fecit plurima scripta docent [...]90

Néanmoins, l’évocation du ton, de la faconde, bien plus, les qualificatifs de rhetor et d’orator

Néanmoins, l’évocation du ton, de la faconde, bien plus, les qualificatifs de rhetor et d’orator