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Aujourd’hui, le maître-mot parmi les bailleurs de fonds est « résultat ». L’aide internationale au développement doit montrer, si possible à court, moyen et long terme des résultats quantifiables et sans équivoque. Il est capital que les résultats de l’aide internationale au développement conduisent à une réduction de la pauvreté car c’est sa raison d’être. Néanmoins, une telle pression sur le résultat conduit inévitablement à des incitations perverses (Raballand, 2015) dans l’évaluation de la performance. La théorie néo-institutionnelle des organisations

134 (TNIO) semble offrir un cadre intéressant pour comprendre et expliquer l’évaluation de la performance de l’aide internationale au développement. En effet, les projets d’aide internationale au développement sont portés par des organisations institutionnalisées (Meyer et Rowan, 1977) et sont donc fortement influencés par leur environnement institutionnel. Cette théorie offre un cadre d’analyse pertinent pour comprendre les raisons de l’évaluation de la performance de l’aide internationale au développement car de plus en plus de recherches soutiennent que les institutions et les dispositifs de gestion sont liés (Terrisse, 2012).

1.1. Les concepts de la TNIO

Le courant de la TNIO met l’accent sur la recherche de légitimité. Selon cette théorie, les facteurs institutionnels et les fonctions symboliques des structures permettent aux organisations de se légitimer dans leur environnement institutionnel. Les organisations ne sont pas seulement en concurrence pour des ressources et pour des clients mais aussi pour obtenir un pouvoir politique et une légitimité institutionnelle (DiMaggio et Powell, 1983). Cette recherche de légitimité peut inciter les entreprises à adopter des structures ou des pratiques organisationnelles dans un but « cérémoniel » (Meyer et Rowan, 1977) conforme à leur environnement.

Le courant néo-institutionnel fut développé dans les années 1970. Les fondements de TNIO ont été posés dans l’article de Meyer et Rowan (1977) et complétés par celui de DiMaggio et Powell (1983). Selon ce courant, les facteurs institutionnels et les fonctions symboliques des structures permettent aux organisations de se légitimer dans leur environnement institutionnel. Autrement dit, les structures d’une organisation donnée reflètent son environnement social et institutionnel.

1.1.1. Environnement institutionnel

L’entreprise (ou le projet comme c’est le cas dans cette recherche) est placée dans un environnement ou champ institutionnel ou organisationnel, défini comme l’ « ensemble des organisations qui constituent une zone reconnaissable de vie institutionnelle : les fournisseurs clés, les consommateurs de produits et de ressources, les agences de régulation et autres organisations qui produisent des produits et des services similaires » (DiMaggio et Powell, 1983). Les auteurs de la TNIO réfutent la conceptualisation de l’environnement faite dans les approches traditionnelles. Ils soutiennent que cette conceptualisation ne s’intéresse qu’aux flux techniques entre organisations et ne voit les organisations que comme des systèmes de production (Scott et Meyer, 1991, p. 111). Outre cet « environnement technique », ces auteurs proposent de prendre en compte l’ « environnement institutionnel ». « L’environnement

135 technique met l’accent sur une rationalité qui vise à faire correspondre moyens et fins afin d’aboutir au résultat attendu. L’environnement institutionnel implique une rationalité cognitive : fournir des éléments qui permettent de rendre les actions passées compréhensibles et acceptables pour les autres et qui rendent l’organisation comptable de ses actions passées » (Scott et Meyer, 1991, p. 124). Et, pour illustrer ces propos, DiMaggio et Powell (1983) citent deux exemples. Celui d’une manufacture qui adopte une nouvelle technologie de contrôle de pollution pour se conformer à une régulation environnementale imposée par le gouvernement. Et celui d’une organisation à but non lucratif qui maintient une comptabilité pour être en phase avec la réglementation fiscale. L’environnement institutionnel est composé de « règles, d’obligations légales ou culturelles auxquelles sont soumises les organisations » (Scott et Meyer 1991, p.123). Toutefois, cet environnement institutionnel peut être aussi caractérisé par les groupes externes pouvant avoir une influence sur l’entité étudiée. La survie de l’organisation requiert alors une certaine conformité aux normes, règles, cultures, obligations sociales qui l’entourent et qui l’identifient au groupe. Ainsi, à la recherche de légitimité, l'entreprise se conforme à la logique dominante de l’environnement institutionnel auquel elle appartient. 1.1.2. Isomorphismes : coercitif – normatif – mimétique

Dans un environnement institutionnel, l’entreprise est soumise à des pressions institutionnelles qui poussent à l’homogénéisation de ses comportements, de ses structures et de ses activités. Cependant, trois processus conduisent à la diffusion des normes institutionnelles (DiMaggio et Powell, 1983). Les entreprises insérées dans un champ organisationnel ou environnement institutionnel spécifique sont soumises à des pressions coercitives, normatives et mimétiques qui contraignent tout ou partiellement le choix de leurs structures et de leurs pratiques. Le processus coercitif correspond aux pressions venant des institutions dont les organisations sont dépendantes (État, grandes entreprises de plusieurs filiales, actionnaires, etc.). Le processus normatif s’explique par la professionnalisation des acteurs lorsqu’ils appartiennent à un réseau professionnel et ont suivi une formation qui normalise leurs comportements. Enfin, en situation d’incertitude, certaines organisations adoptent un comportement mimétique ; en effet, lorsqu’il est difficile de connaître la « bonne solution », ces organisations copient ce que font les concurrents ou les autres acteurs du champ institutionnel.

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1.2. La théorie néo-institutionnelle et l’évaluation de la performance de l’aide

internationale au développement

L’aide internationale au développement regroupe des entités bien différentes dans des secteurs divers. La composition des entités de l’aide internationale au développement est de nature mixte et varie d’un projet à un autre. La composition des entités de l’aide internationale au développement rejoint alors celle du tiers secteur (Evers, 1996) ; celle-ci est un espace d’intermédiation et non un secteur compartimenté et indépendant. C’est un secteur dans lequel différentes acteurs, discours et croyances coexistent. L’aide internationale au développement est par conséquent soumise au pluralisme institutionnel, situation vécue par une organisation lorsqu’elle opère dans des sphères institutionnelles multiples (Kraatz et Block, 2008).

Pour les auteurs, chaque institution a une raison centrale qui guide ses principes organisationnels et donne aux acteurs sociaux des motifs et une identité. Dans un but cérémoniel, les institutions adoptent des pratiques. La reconnaissance des normes institutionnelles ainsi que la hiérarchie entre elles vont être dictées par les acteurs ayant du pouvoir. Pour distinguer les acteurs ayant du pouvoir dans le champ organisationnel de l’aide internationale au développement nous avons recours à la théorie des parties prenantes (Berle et Means, 1932 ; Freeman, 1984). De plus, la théorie néo-institutionnelle rencontre des difficultés au niveau opérationnel dans la définition et la composition des acteurs du champ organisationnel. En effet, la théorie néo-institutionnelle ne permet pas de définir les différents acteurs, leurs rôles, et ne permet pas une analyse des interactions qui les structurent. C’est pourquoi nous allons emprunter des concepts propres à la théorie des parties prenantes pour mieux identifier les acteurs en cause.

Conclusion de la section 1

L’approche néo-institutionnelle s’est développée en théorie des organisations dans les années 1980 (Meyer et Rowan, 1977 ; DiMaggio et Powell, 1983). Le fondement de la théorie est que les organisations ou institutions adoptent des structures en réponses aux attentes externes à l’organisation (Meyer et Rowan, 1977). Plutôt que de réduire l’indétermination concernant la réalité, les organisations peuvent chercher une rationalité applicable qui démontre leur légitimité vis à vis de la société prise dans son ensemble. Dans ce cas, les organisations qui utilisent des ressources « culturellement approuvées » sont légitimées. La question qui se pose est donc d’identifier les mécanismes d’influence de l’environnement qualifié d’institutionnel sur les organisations. Les organisations sont influencées par des pressions normatives placées

137 sur elles. Ces pressions émanent de plusieurs sources : l’État, d’autres organisations régulatrices en général et les professions. La réponse à ces pressions induit un changement dans les structures des organisations qui deviennent de ce fait isomorphes avec les attentes prescrites institutionnellement.

L’objectif de cette recherche est de comprendre et d’expliquer les raisons qui motivent la mise en œuvre d’une évaluation de la performance de l’aide internationale au développement. Pour y arriver, nous avons décidé d’observer l’évaluation de la performance de plusieurs projets d’aide internationale au développement. La mobilisation de la TNIO est un cheminement vers la compréhension de l’évaluation de la performance de l’aide internationale au développement car elle expliquerait en partie les influences ou les pressions réelles qui la justifient.