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Section 2 : Positionnement épistémologique de cette thèse

2.4. Construction d’une objectivité du « praticien-chercheur »

Nous l’avons déjà mentionné, notre statut de praticien-chercheur et plus particulièrement notre position de chercheur allié selon la grille de Thiétart et al,. (2007) comporte un avantage majeur ; celui d’avoir accès aux ressources en raison des relations entretenues avec le terrain d’étude et les collègues. En revanche, le « praticien-chercheur » doit faire preuve de recul et de distance nécessaires pour que ce terrain, qui est son quotidien, devienne un objet de recherche. Le « praticien-chercheur » doit alors se poser cette question fondamentale : « suis- je moi-même dans les conditions qui vont me permettre de jeter un regard critique sur une réalité sociale, sur une action, sur une organisation, ou sur une institution que je connais et dont je connais les acteurs ? » (Albarello et Bajoit, 2007, p.20). Autrement dit, le « praticien- chercheur » peut-il étudier objectivement un réel qu’il connait ?

Consciente de ce risque, nous avons essayé tout au long de notre parcours doctoral de réduire, voire d’éliminer ce risque lié au statut du « praticien-chercheur ». Le point suivant présente la démarche suivie dans le but de créer cette objectivité nécessaire.

183 2.4.1. Ancrage académique

Dans l’optique de nous rapprocher d’une certaine objectivité avec notre posture de « praticien- chercheur », il nous a fallu sortir de notre fonction de Responsable du suivi évaluation pour jeter un regard critique sur notre terrain d’étude et en faire un objet de questionnement. Nous avons ainsi construit une extériorité à notre terrain d’étude au moyen d’un ancrage académique au sein d’un laboratoire de recherche et d’une exploration hybride. Notre admission dans le Laboratoire Interdisciplinaire de Recherche en Sciences de l’Action (LIRSA) notamment dans le Centre de Recherche en Comptabilité (CRC) et dans l’école doctorale Abbé-Grégoire du CNAM a été un facteur décisif pour acquérir le recul nécessaire par rapport à notre statut de praticien. Notre intégration au sein du CRC, en qualité de doctorante, depuis septembre 2013, nous a permis en plus de côtoyer des chercheurs aguerris, d’avoir accès à une bibliothèque et d’avoir un accès aux ressources en ligne, riches de revues scientifiques. Être doctorante au CRC c’est aussi bénéficier de formations obligatoires durant le parcours doctoral qui forment au métier de chercheur. Être doctorante au CRC c’est multiplier les occasions de soumettre son travail aux regards critiques de plusieurs chercheurs sur l'avancée des travaux de recherche. Nous avons ainsi pu présenter divers travaux sur l'avancement de notre recherche et réaliser des présentations dans le cadre des séminaires organisés par le CRC et l’équipe de management du LIRSA. En plus, au sein de notre école doctorale, nous avons présenté un poster sur nos travaux pendant les journées doctorales des 11 et 12 mai 2016 ; ce fut pour nous, l’occasion de prendre du recul sur nos travaux et de recueillir plusieurs avis de chercheurs et doctorants venus d’ailleurs. Nous avons également, lors de séminaires transversaux de notre laboratoire, auxquels participaient des chercheurs extérieurs, commenté et discuté nos travaux. Notre ancrage académique s'est ainsi renforcé en s'étendant au-delà des frontières même du LIRSA- CRC. Nous avons pu par ailleurs présenter l'avancée de nos travaux à des chercheurs extérieurs en participant à la journée doctorale organisée par l’Association Francophone de Comptabilité (AFC) en mai 2015 et en 2017. Outre ces interactions avec divers chercheurs du LIRSA et étrangers à l’école doctorale Abbé-Grégoire, la construction d’une extériorité nécessaire à la validité de cette thèse, a également été possible par le bais d’une exploration hybride.

2.4.2. Exploration hybride

Le « praticien-chercheur » le plus souvent ne découvre pas le terrain d’étude au début de sa recherche. Il le connaît déjà depuis longtemps avant de l'aborder dans le cadre d'un projet de recherche. Il n'a donc pas « l'œil neuf », celui du scientifique qui découvre une situation extérieure et nouvelle pour lui. D'une certaine façon, il n'est plus étonné par le monde qui

184 l'entoure. Pour renouveler son regard sur ce qui l'entoure et retrouver une faculté à « s'étonner » de ce qu'il connaît, l’exploration hybride est nécessaire. L’exploration hybride associe une exploration théorique (basée sur la littérature) à une exploration empirique (basée sur l'observation d'un terrain d’étude). Ainsi, le premier rôle de l’exploration hybride pour le praticien-chercheur est de mobiliser des concepts à l’aide de la littérature sur son objet de recherche. Il s’appuie sur cette connaissance pour donner du sens à ses observations empiriques. Cette voie hybride nous a permis d’enrichir et d’approfondir nos connaissances antérieures ; de renouveler notre regard sur l’évaluation de la performance de l’aide internationale au développement. Ensuite, la découverte de cadres théoriques dans cette démarche a été nécessaire pour la construction de la question de recherche. Enfin, les allers et retours entre le cadre conceptuel retenu et les propos recueillis ont permis de donner du sens aux observations empiriques.

Conclusion de la section 2

Nous avons retenu le réalisme critique pour expliquer pourquoi une évaluation de la performance de l’aide internationale au développement est menée. Cette posture se justifie par le fait que pour nous le monde n’est pas composé d’évènements isolés, mais d’objets complexes ; ces objets sont dépendants des évènements qu’ils génèrent et de la connaissance que nous en avons (Avenier et Thomas, 2011). Le réalisme critique est un post-positivisme qui, tout en assouplissant les critères de validités positivistes, admet les interactions entre l’homme et le monde, contrairement au positivisme pur. Cette position est d’ailleurs revendiquée par Miles et Huberman (2014) qui prônent une conception positiviste aménagée et soutiennent le fait que le chercheur, dans le processus d’élaboration de son objet de recherche, n’obéit pas à une dynamique linéaire ou préétablie. Le réalisme critique répond à l’exigence de savoir comment et pourquoi une relation ou une structure de relations a été engendrée Il s’agit alors pour le chercheur d’élaborer des conjectures appelées « mécanismes générateurs » qui peuvent expliquer le ou les phénomènes observés. Sur cette base, nous envisageons l’évaluation de la performance de l’aide internationale au développement comme un phénomène social, qui peut être compris en identifiant les multiples mécanismes générateurs qui la justifient.

Par ailleurs, développer une posture de chercheur, en étant praticien, et adopter une attitude de mise à distance que suppose une démarche scientifique, a été nécessaire dans la conduite de cette thèse. Cette transformation qui fait passer du statut de praticien à celui de « praticien- chercheur » a été possible à travers la mise en place d’un dialogue entre pratiques et

185 connaissances théoriques ; en plus d’un certain nombre d’interactions avec les différents chercheurs du LIRSA et du CRC, ceux de l’école doctorale Abbé-Grégoire, les chercheurs extérieurs, les travaux présentés dans divers ateliers doctoraux, et aux congrès de l’AFC.