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La structuration et l’évolution de l’action coopérative

I. Le mouvement associatif et coopératif en Sicile : une histoire oubliée

6. Le mouvement paysan et coopératif après la Libération

6.5 La structuration et l’évolution de l’action coopérative

En raison du manque d’expérience des adhérents mais également des carences législatives et de la pression des propriétaires expropriés, le mouvement coopératif bénéficia du soutien de certains partis politiques, mais également d’autres organisations qui contribuèrent grandement à la mise en œuvre des décrets Gullo. Ainsi, les fédérations des

coopératives comme la Lega siciliana delle Cooperative165 et les syndicats comme la

Federterra166

régionale ou la Federazione dei coltivatori diretti167

, eurent un rôle important dans la mise en œuvre des dispositifs d’attribution et l’organisation du travail des

164 Notamment le décret Segni de 1946 et des dispositifs législatifs régionaux. 165 Ligue sicilienne des coopératives.

140 coopératives. En effet, le rôle des différentes organisations s’était avéré indispensable dans la mobilisation et la définition de l’action paysanne. Ainsi, par exemple, les organisations syndicales, jouèrent un rôle de mobilisation des paysans pour l’occupation et la revendication des terres auprès des administrations et, de leur côté, les coopératives, se chargèrent de distribuer les terres occupées aux adhérents.

D’autre part, en raison du développement exponentiel des coopératives en Sicile, d’autres structures d’appui virent également le jour. Ainsi, l’Unione siciliana delle

cooperative agricole (USCA), structure d’appui juridique et technique aux paysans membres

des coopératives, fut créée à l’initiative du parti communiste en 1946.

Cependant, une fois les terres assignées, il fallait encore avoir les moyens matériels pour pérenniser les organisations productives. Les coopératives nécessitaient des capitaux pour l’achat d’outils agraires et de compétences techniques pour la planification de l’exploitation des terres ainsi que pour leur transformation. L’USCA, par exemple, facilita l’accès au crédit des membres des coopératives, et donna un appui technique pour la transformation des cultures. En parallèle, le support juridique et commercial apporta de nouvelles compétences qui renforcèrent l’ensemble du mouvement. Le positionnement des promoteurs de l’USCA était de privilégier une gestion coopérative des terres siciliennes, comme seule voie d’émancipation pour les paysans pauvres. Comme l’USCA, et avec la même finalité, l’Associazione Regionale delle cooperative agricole (ARCA) venait en appui juridique et technique de ses coopératives. D’inspiration catholique, et politiquement proche de la démocratie chrétienne, elle prônait le développement de la petite propriété en accordant à la coopérative un rôle gestionnaire en amont du processus d’attribution des terres. L’action de ces deux structures traduit bien les modalités de développement du mouvement coopératif. La première associait essentiellement des paysans pauvres et des « braccianti » alors que dans la

deuxième confluèrent les petits propriétaires « cultivateurs directs » de leurs terres168

.

Le développement et la structuration du mouvement paysan, à travers la coopération, renforça les forces politiques de gauche qui avaient dans les zones rurales leurs bassins de

167 Fédération des cultivateurs directs.

168 « Il convient toutefois d’être prudent dans l’emploi des termes, particulièrement dans le cas italien : le terme « contadino » (N.d.t. traduit en français par le mot paysan), désignant stricto sensu celui qui habite la campagne, qui n’est donc pas caractérisé par son activité, renvoie à des réalités et à des statuts fort différents, puisque la terre est au cœur des hiérarchies sociales : les braccianti (ouvriers agricoles) sont à distinguer de mezzadri (métayers) et des petits propriétaires, notamment parce qu’ils sont la classe la plus impliquée dans les mouvements de contestation sociale » (Fogacci, 2006, p. 92).

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votes169. Ainsi, la mise en œuvre des Décrets Gullo généra des effets politiques indirects. Dans

ce contexte, les enjeux politiciens eurent encore une fois gain de cause170

et le Comité d’appui

aux coopératives fut dissous en 1947, suite à une décision de la Cour des Comptes171, limitant

ainsi la capacité de pérennisation des multiples coopératives développées sur le territoire. En effet, ce Comité avait pour rôle de contribuer à la « transformation de l’agriculture extensive vers des formes actives et extensives » et il fut, de ce fait, à l’origine d’une série de dispositifs pour les coopératives : la mise en place de normes facilitant l’accès au crédit, des cours de formation pour préparer à la gestion technique, agraire et administrative des coopératives, des conférences sur le thème de la coopération ainsi que des appuis légaux, techniques et comptables pour les adhérents des coopératives (Grasso, 1997, p. 518). Ces propositions répondaient bien aux besoins du mouvement coopératif qui aurait pu trouver en elles les outils pour un développement maîtrisé.

Comme le montre Renda (1993, p. 404) la période de la dissolution du Comité d’appui aux coopératives et des outils juridiques fut un moment décisif pour la coopération en Sicile : « … c’était le moment de la rupture, du renversement des traditionnels équilibres sociaux et politiques existants, et de la formation de nouveaux rapports de force et de nouvelles façons d’être ensemble de la société rurale et de la société nationale. Les réserves émises sur ce projet (de coopération), venaient seulement des modérés, des conservateurs, des réactionnaires. Les démocrates, les progressistes, les radicaux, en revanche, n’avaient pas de craintes et même ils appuyaient le pied sur l’accélérateur, convaincus que de cette manière pouvaient se créer les conditions pour passer à la phase supérieure de la réforme agraire générale, considérée comme la réalisation d’une société rurale plus évoluée à la fois sur les registres social et politique et du point de vue économique et technique ».

169 Ceci se reflétera clairement dans les résultats des premières élections nationales du 2 juin 1946. Les partis conservateurs gagnèrent les élections, essentiellement avec les votes des villes alors que les partis de la gauche, sous l’effet des mobilisations collectives et l’impact des luttes paysannes pour la terre, gagnèrent dans les zones rurales. (Lupo, 2007, p. 94). Cette tendance se renforça durant les élections régionales de 1947 avec une majorité relative des forces de gauche de 30% des votes.

170 Dans ses récits concernant cette période La Loggia (1923, p. 582-584) prône pour un développement plus contrôle du système de gestion coopérative et notamment dans la phase d’attribution des terres qui devait passer par une organisation rassemblant latifundistes et syndicats. « L’expérimentation des terres mal cultivées et attribuées aux paysans n’a pas donné les résultats que ses plus fervents partisans avaient espérés, comme le montrent la décadence par mauvaise conduction ou pour sous-locations abusives car les concessions n’ont pas intégré une plus grande quantité de main-d’œuvre. Les coopératives n’ont pas, non plus, augmenté la moyenne de productivité agricole. De ce fait, il paraît plus opportun, pour une maximisation du nombre d’emplois, de promouvoir et favoriser l’exécution d’œuvres publiques, de routes, de reboisements, d’amélioration des bois, … plutôt que d’enlever les terres aux propriétaires pour les confier à des paysans qui n’ont pas les moyens, qui ne

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