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I. Le mouvement associatif et coopératif en Sicile : une histoire oubliée

6. Le mouvement paysan et coopératif après la Libération

6.2 La coopération en « porte-à-faux »

Dans cette phase aux équilibres fragiles, la définition du modèle économique régional, entre la réforme agraire et les aides directes au développement, constitua un champ de confrontation particulier entre forces politiques. Si en effet, jusque-là, avait prévalu un modèle politique ayant ses ancrages dans la dimension municipale et se structurant autour des notables locaux, les enjeux politiques de l’après guerre changent les postures. Avant la guerre, le mouvement coopératif avait participé directement à la constitution d’un bassin de recrutement et de formation des militants des forces politiques locales et à la désignation de leurs leaders. Après la guerre, l’acquisition de ces compétences lui permit, dans le cadre des changements advenus au niveau politique, de jouer un rôle très spécifique, en coopération avec les partis de masse se partageant le pouvoir en Sicile.

155 Fausto Gullo (PCI), Ministre de l’Agriculture met en place la réforme du système agraire italien à partir de 1944. Décrets Gullo du 19 octobre 1944 et Décret d’aménagement Segni du 6 septembre 1946.

156 Voir article de Alfio Grasso, “Profilo storico della legislazione cooperativa siciliana », in Cancila, Storia

135 Les forces catholiques de la Démocratie chrétienne (DC) se recentrèrent politiquement autour du parti national, en procédant au démantèlement du « municipalisme » et des pouvoirs des notables locaux. Ce faisant, elles exclurent le courant chrétien « populaire et régionaliste », représenté par L. Sturzo, promoteur et fondateur du mouvement coopératif depuis les années 1920, dont l’approche anti-étatiste n’avait plus sa place dans le parti national de masse. Comme le montre Mangiameli (1987, p. 541), sa pensée « méridionaliste » d’inspiration démocratique défendait l’idée que seule la rupture du latifundium et l’appui des forces de la démocratie rurale, issues en grande partie du mouvement coopératif, auraient pu permettre au Sud de jouer un rôle décisif dans les nouveaux équilibres nationaux : « Pour Sturzo la Région avait un rôle protecteur des faibles forces démocratiques qui étaient l’expression de la société rurale face au capitalisme monopolistique de l’Etat centralisateur et

interventionniste ». Les promoteurs du nouveau projet politique centralisateur157

, bien qu’opposés aux idées « localistes », utilisèrent les ressources du mouvement catholique coopératif pour créer autour d’eux le consensus de l’électorat sicilien. Ils espéraient ainsi récupérer la tradition des luttes paysannes démocratiques et le référent social de l’action coopérative, de manière à renforcer leur base électorale : « Malheureusement, nous ne retrouvons plus la majorité des anciennes caisses rurales, ni nos glorieuses coopératives agricoles, à travers lesquelles les latifundiums furent transformés et divisés. Cependant nous retrouvons le millier de petits propriétaires que nous avons créés, qui s’amassent autour de nous, dès que quelqu’un d’entre nous arrive dans les lieux qui connurent et expérimentèrent cette forme bénéfique d’activité ». (Aldisio, cité dans Mangiameli, 1987, p. 547). En termes électoraux, cette recherche de consensus porta ses fruits, malgré son inscription dans un projet de centralisation, en adéquation avec les débats politiques nationaux et avec le plan économique de « réparation » prévoyant l’allocation des ressources nationales au Sud.

Les forces de gauche, et plus particulièrement les communistes158, davantage structurées

à cette époque que les socialistes, se remobilisèrent également autour de nouveaux enjeux nationaux en articulant leur action entre les aspirations autonomistes et le mouvement paysan. Ils cherchèrent en effet à concilier leur vocation centralisatrice avec la politique régionale, jusque-là structurée au niveau local. Comme le montre Lupo (2007, p. 92) les dirigeants

157 Notamment à cette époque : Aldisio, De Gasperi, Scelba, Mattarella.

158 Dans l’après guerre, les partis de masse italiens étaient la DC et le Parti Communiste Italien (PCI, créé en 1921 après une scission avec les socialistes). Le rôle des communistes durant la résistance garantit au PCI une place de premier plan durant la reconstruction de l’Etat Italien. Depuis 1948 il a représenté la classe ouvrière à la place du PSI et, de manière presque continue, l’opposition aux partis centristes ou aux alliances PSI-DC.

136 communistes jugèrent nécessaire d’introduire, au niveau local, des dirigeants provenant des rangs nationaux afin de mieux diffuser la « conscience politique moderne ». En effet, selon la lecture du parti « les masses populaires méridionales étaient objectivement intéressées à un renouvellement social radical, mais subjectivement incapables d’élaborer une stratégie adaptée à cette nécessité car victimes des conduites politiciennes de la petite bourgeoisie transformiste ou par la capacité hégémonique du monstrueux bloc agraire ». (Lupo, Ibidem, pp. 92-93). Malgré cette vision critique de la situation sicilienne, les forces de gauche investirent le monde rural en se faisant défenseurs des décrets Gullo. Articuler la visée démocratique de la réforme agraire à la nouvelle politique autonomiste, leur avait paru la meilleure voie pour trouver une légitimation politique auprès des populations (Mangiameli, 1987, p. 565). Dans ce sens, le réseau des coopératives et celui des organisations syndicales,

furent largement réactivés159

pour constituer le point d’ancrage local du projet politique national. L’ensemble du mouvement paysan et coopératif, restera ainsi lié aux partis de gauche et plus directement aux communistes. « La coopérative est surtout considérée comme une arme de lutte, et cela apparaît dans la formulation politique des partis et des organisations syndicales » (Renda, 1997, p. 364). Elle s’avérera en effet plus efficace pour une transformation rapide que pour la réalisation d’un projet de changement à caractère économique et social.

159 Les réseaux des coopératives s’étaient en effet, à partir de 1927, fortement réduits sur le territoire sicilien ainsi qu’en Italie (des 25 mille coopératives existantes avant le fascisme, en restaient seulement 12 192 après la chute du Régime).

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