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I. Les associations au cœur du débat sur le capital social

1. A l’origine du capital social

1.1 Bourdieu, le précurseur

En 1980, la première formulation de capital social vient de P. Bourdieu13qui l’utilise

pour montrer la force et l’exclusivité des relations entre individus appartenant à des groupes sociaux définis. La construction de ces espaces n’étant pas naturelle, ils se fondent sur l’instauration et l’entretien d’échanges à la fois matériels et symboliques. Chaque groupe se différencie des autres en raison du stock de capitaux accumulé : économique, culturel et social. Par la ressemblance et l’interconnaissance, chaque membre d’un groupe se reconnaît semblable aux autres et possède en propre une partie du capital social du réseau auquel il appartient. Dans son article fondateur, Bourdieu insiste fortement sur la valeur utilitaire des relations entre les individus au sein du groupe. De par « l’instauration et l’entretien de liaisons durables et utiles », chaque individu peut tirer des profits matériels et symboliques. Il s’agit donc d’un investissement, conscient ou inconscient, mobilisateur et multiplicateur de relations utilisables à différents degrés par les membres d’un groupe.

Cette approche du capital social insiste sur l’effet excluant/incluant des groupes sociaux qui se différencient ainsi entre eux. Les membres se servent du capital social stocké pour accroître leurs chances d’évolution et de distinction sociale. Ainsi, le « bon nom », le capital économique remarquable, la reconnaissance publique, l’appartenance à des élites, facilitent l’acquisition de postes, reconnaissances, informations, renommées, etc. pour les membres du groupe, qui ont entretenu et multiplié les relations au sein du groupe même. Ainsi, tout échange instituant des relations est finalisé. Autrement dit, au sein d’un groupe chaque individu agit pour une finalité à atteindre à moyen ou à long terme. En ceci, cet apport est très

30 loin de l’idéal d’engagement civique désintéressé qui a fait la fortune du concept tel que l’appréhende Putnam (voir infra). Par la voie du capital social, Bourdieu montre que le principe « économiciste » n’est pas primordial dans les fonctionnements sociaux car le capital économique ne sert à rien s’il n’est pas doublé par le capital social et symbolique dont chaque membre d’un groupe déterminé peut bénéficier. A partir de ce constat son analyse du capital social s’appuie sur une définition des relations sociales qui sont entretenues, au sein d’un réseau, par ses membres à travers des rencontres, des échanges et des contacts plus ou moins formels. Pour chacun des membres du groupe, l’objectif de ces relations est de « mettre toutes les chances de son côté » pour se procurer le plus d’avantages possibles (matériels et symboliques) selon des calculs intéressés. Il n’en reste pas moins que, in fine, la mobilisation intéressée des relations au sein d’un groupe social, a pour ultime objectif de créer pour l’individu les conditions d’accroissement de son capital économique. Or, comme le montre Caillé (1994, p. 86) dans cette approche, l’économie n’est pas un sous-ensemble du social, au contraire le rapport social est une modalité élargie du rapport économique : « Les finalités non économiques, c’est-à-dire désintéressées, ne sont qu’apparences, que moyens détournés et déguisés de réaliser les fins véritables qui ne seraient autres que l’accroissement des moyens contrôlés par le sujet de la pratique ».

Cette lecture du capital social nous apporte un premier éclairage quant à la question de l’interrelation des membres dans un réseau ou plus généralement dans un groupe. Elle met en évidence l’existence d’un stock de capital social dont chaque individu peut bénéficier de par son appartenance et qui génère pour lui un intérêt en termes de ressources à mobiliser dans l’espace économique et social. C’est, dans ce sens, une forme de « capital social individuel » dont chaque individu dispose en étant inséré dans des réseaux spécifiques par l’interrelation avec d’autres membres du même réseau. En raison de son utilité propre, l’individu mobilise le « capital social collectif », c'est-à-dire l’ensemble des caractéristiques structurelles et normatives dont dispose la structure d’interaction à laquelle il appartient. Chaque groupe dispose d’un « capital social » différent et, en fonction de la composition de ce capital, se déterminent les inégalités entre les individus et les groupes.

Dans cet apport spécifique, la notion de capital social est mise en exergue par deux éléments principaux : l’action individuelle dans le groupe d’appartenance est intéressée et

13 Bourdieu, Pierre. (1980), « Le capital social, notes provisoires », Actes de la recherche en sciences sociales, n.3, Paris.

31 mobilisée afin d’utiliser les ressources, le capital social, dont dispose le réseau des interrelations entre les membres. L’appartenance au réseau est déterminée par « héritage » car l’individu se trouve inscrit dans « les engagements, les dettes et les relations accumulés au fil des générations par les familles et par les groupes » (Bourdieu, cité par Ponthieux, 2006, p.33). Ainsi les individus sont inscrits dans les réseaux relationnels de leur groupe d’appartenance et disposent, de ce fait, d’un apport en capital social, déterminé par héritage, dont ils peuvent faire un usage intéressé en fonction de leur position dans le groupe. Ceci détermine des rapports de pouvoir et de conflit entre les individus et entre les différents groupes sociaux.

Malgré son apport précurseur, Bourdieu reste relativement peu cité dans les textes sur le capital social. Si l’on s’en tient aux explications les plus partagées, il apparaît que sa notion de capital social s’inscrit dans une conception des relations sociales se caractérisant, d’une part par la « domination » entre groupes et, d’autre part, par l’inscription des individus dans des groupes caractérisés. En revanche, la littérature américaine (Coleman, Putnam, Fukuyama), tout en admettant une filiation avec Bourdieu, récuse une approche mettant en évidence la force de reproduction des rapports sociaux inégalitaires ou se focalisant sur le conflit entre les intérêts particuliers des individus au sein du réseau. Les réseaux d’interrelations étant considérés comme des relations entre individus, ne se déterminant ni par l’appartenance à des groupes sociaux définis (Ponthieux, 2006, p.34 et p.41), ni par le conflit. Les auteurs anglo-saxons se référant au capital social, se démarquent donc de Bourdieu parce qu’ils n’adoptent pas une perspective holiste mais au contraire une perspective individualiste mais dans laquelle l’individu n’est pas pensé comme un atome mais comme le membre d’un réseau.

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