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CADRE GÉNÉRAL DE L’ÉTUDE

CHAPITRE 2 : LA GESTION DURABLE DES RESSOURCES HALIEUTIQUES DANS LE MONDE

2.2. Gestion durable des ressources halieutiques

2.2.1. La gestion conventionnelle ou traditionnelle des ressources halieutiques

2.2.1.1. La stratégie libérale d’exploitation des ressources halieutiques

La stratégie libérale ou néolibérale est l’idée défendue par les économistes. Elle repose sur une analyse économique dont le postulat est bien connu : un marché totalement libre fondé sur une libre concurrence entre acteurs économiques doit aboutir à réguler un secteur d’activité. En matière de pêche et d’aquaculture, elle prend plusieurs formes. Elle est d’abord vécue au quotidien par de nombreux acteurs de ces deux systèmes et s’applique de plus en plus fortement à toutes les échelles. Cette stratégie se préoccupe uniquement des profits des entreprises et du maintien de la satisfaction de la demande, sans prendre en compte la préservation de la ressource. Elle aboutit à tous les dysfonctionnements précédemment exposés et tend à une aggravation des inégalités.

Poussée à l’extrême, elle conduirait à une catastrophe sociale et environnementale (Corlay, 2004). Partant du constat de la nature juridique des ressources comme biens non appropriés,

certains théoriciens préconisent de libéraliser totalement l’accès aux ressources renouvelables (Gordon, 1954)29 donc aux zones de pêche et de laisser jouer la concurrence pour aboutir à une rentabilité bioéconomique maximum. Le résultat, à court terme, serait la disparition inévitable des pêches artisanales, traditionnelles, au profit de grosses sociétés intégrant tous les stades du processus productif de l’exploitation à la commercialisation et l’émergence d’une activité halieutique minière qui appauvrirait rapidement les fonds marins.

La face plus raisonnable de cette approche, défendue par d’autres écoles de pensée, repose sur le raisonnement suivant. La ressource et l’espace de capture, même dans les cadres réglementaires actuels plus ou moins contraignants, restent non appropriés, situation perverse qui alimente la spirale de la surexploitation ; en effet, la concurrence à laquelle se livrent les pêcheurs accroît la pression sur les stocks et dissipe la rente accumulée en sur-investissements ce qui entretient la crise. Il est donc proposé de privatiser la ressource soit en octroyant des quotas individuels, éventuellement transférables sur un marché spécifique, soit en attribuant à des communautés de pêcheurs la gestion d’un secteur aquatique sur le long terme, afin de les responsabiliser.

a) Les quotas individuels transférables (QIT)

Aujourd'hui, c'est le gouvernement de chaque pays qui détermine le système à employer pour gérer les ressources halieutiques. Il peut choisir, soit de donner un droit d'accès à un grand nombre de petits pêcheurs, soit de favoriser les grosses entreprises, plus rentables. Pour cela, il dispose d'un arsenal de lois et de règlements : TAC (Total Admissible de Captures), licences, quotas. La politique dominante de gestion des ressources est influencée par les théories néolibérales (Ben-Yami, 2003). Selon ces théories, le libre échange et l'intérêt personnel poussent l'individu à prendre des décisions rationnelles. La privatisation des ressources fait croître la rentabilité et les bénéfices profitent à l'ensemble de la société (Ben- Yami, op.cit). En effet, pour les économistes, les intérêts sociaux sont maximisés lorsque les ressources renouvelables sont allouées par les individus à leur utilisation la plus efficace (Faucheux et Noël, 1995). Jentoft (2005) affirme que « les droits de propriété sont utiles dans la gestion des pêches, et l’absence de ces droits met en danger la ressource ». Ainsi,

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La théorie des ressources renouvelables en situation de libre accès (également appelées ressources en commune propriété) a été faite par Gordon (1954) : dans une telle situation un équilibre se produit lorsque le flux de recettes est exactement égal à celui des coûts d’exploitation, c’est-à-dire lorsque le profil est nul au sein de l’activité, ou plus exactement « dissipé » entre les pêcheurs.

l’institutionnalisation du secteur de la pêche et les problèmes environnementaux engendrés par la surpêche ont entraîné la création d’instruments de gestion de la pêche les quotas individuels transférables (Monguel et al, 2004). L’Islande a été le premier, face aux risques de surexploitation, à instituer des Quotas Individuels Transférables (QIT) en 1984 (Bogason, 2007).

Mais, dans beaucoup de parties du monde, le système aboutit à la concentration des droits de pêche, et donc à une augmentation des prises dans les mains de quelques personnes, alors que les communautés et les pêcheurs artisans ne peuvent accéder à la ressource (Jentoft, 2005). En effet, une fois défini par les scientifiques, le TAC (Total Admissible des Captures) est divisé en quotas par bateau ou par armement. Pour la première fois, ces quotas sont distribués gratuitement sur la base de l’antériorité. Ensuite ces quotas s’échangent plus ou moins librement sur le marché. Le droit de pêcher s’achète. Progressivement ce droit se concentre entre les mains des plus puissants (armements ou sociétés de transformation et de commercialisation). Cette méthode est de plus en plus diffusée dans les pays développés mais elle concerne aussi, de plus en plus, les pêcheurs des pays du Sud (Chili, Pérou, Afrique du Sud). En Europe, certains pays comme la France résistent encore aux pressions du modèle libéral soutenu par l’Union Européenne, mais pour combien de temps ? Mais les pays développés sont globalement d’accord pour la généralisation du système pour garantir des pêcheries écologiquement durables. Clover (2008) pense que le salut passe par les quotas transférables et la création massive de réserves intégrales. Ce système est encore moins adapté aux pays en développement et aux zones tropicales où le nombre de pêcheurs à petite échelle est énorme.

Cette approche est critiquée par les ONG qui soulignent les menaces des QIT sur les moyens d’existence des petits pêcheurs. Or ceux-ci représentent pourtant l’immense majorité des pêcheurs de la planète (Johnson, 2006). Même dans les pays du Nord, les QIT posent de réels problèmes d’équité, plusieurs exemples en témoignent. La situation en Islande, pays à avoir adopté les QIT, montre que ces critères peuvent avoir de lourdes conséquences sociales en bouleversant le paysage social du secteur de la pêche (Mongruel et al, 2004). En Norvège, le système de quotas a conduit à la concentration géographique des capacités, menaçant la survie des communautés côtières. En 1994, avec l’appui du gouvernement, un compromis a été élaboré entre les flottes hauturières et les flottes côtières. Au Canada, les gestionnaires des pêches ont opté pour la privatisation et la concentration d'une propriété collective des

ressources halieutiques publiques, entre les mains d'individus et surtout d'entreprises via les mécanismes du marché. On a attribué des droits de propriété sous forme de quotas individuels transférables (QIT). Les pêcheurs ont résisté à cette privatisation fondée sur le marché et leurs organisations ont élaboré d'autres systèmes de droits pour contrôler et réguler l'accès aux pêcheries.

Cette situation est d’autant plus préoccupante qu’en Europe, le Parlement européen estime que les instruments de gestion de la pêche qui existent actuellement, fondés sur les totaux admissibles de captures (TAC), influent directement sur les captures et indirectement sur l’effort de pêche. Il a demandé alors à la Commission européenne de revoir le régime en vigueur de totaux admissibles de capture et de quotas de pêche (Besson, 2009).

b) La gestion communautaire des ressources halieutiques

Il existe une autre approche fondée sur un modèle de gestion communautaire des ressources halieutiques appliquée à un territoire maritime ou à une espèce. La gestion communautaire des pêches désigne la gestion assurée par les pêcheurs eux-mêmes, et peut être distinguée de celle qui est instituée par les pouvoirs publics. Dans les publications consacrées aux communautés de pêcheurs, elle est par ailleurs connue sous d’autres noms, notamment «la gestion populaire», la «gestion locale», «l’autogestion», la «gestion autochtone», la «gestion traditionnelle», le «régime traditionnel de propriété des ressources marines», la «gestion organique», la «gestion au niveau des populations locales». Cette tâche incombe essentiellement aux communautés de petits pêcheurs.

Trois facteurs essentiels déterminent la gestion communautaire dans le cadre des cultures de pêcheurs à petite échelle : premièrement, les lieux de pêche sont d’ordinaire officiellement institués en tant que ressources communes; deuxièmement, les limites des lieux de pêche sont en règle générale difficiles à marquer précisément ; troisièmement, ces mêmes lieux de pêche sont habituellement exposés à des incursions de concurrents venus de communautés extérieures de petits pêcheurs. Ce modèle historique a fait ses preuves au Japon, en Méditerranée avec les prud’homies… C’est aussi ce modèle qui a permis en Bretagne de restaurer la ressource en coquilles St Jacques en baie de St Brieuc. Cette approche correspond à la tradition de la pêche artisanale ancrée dans un territoire.

Toutefois, de nombreuses lacunes existent dans cette approche. Ruddle et Akimichi (1984) ont exposé succinctement les problèmes qui surviennent dans ce contexte :

« Le caractère incertain, mal défini ou contesté du régime de propriété (des ressources marines) compte parmi les difficultés majeures rencontrées par les pêcheurs à petite échelle dans maintes régions du monde ».

Il faut dire que ce système est à l’origine des conflits à l’issue desquels les communautés de petits pêcheurs sont souvent perdantes. Comme le fait observer Cordell (1984) :

« Les questions de droits sur la mer, à proximité du littoral et touchant à l’exploitation de pêcheries, sont souvent à l’origine d’une surenchère de tensions entre les groupes ethniques, les flottilles de pêche côtière et hauturière, les administrations locales et centrales, et enfin, les intérêts commerciaux, maritimes concurrents de toutes sortes ».

Les conflits entre pêcheurs à petite et à grande échelle se sont donc intensifiés depuis plusieurs décennies dans différentes pêcheries côtières, et ont eu progressivement pour effet de marginaliser la plupart des petits pêcheurs, bien que parmi eux quelques groupes isolés aient obtenu des avantages momentanés. Si la responsabilité collective de la surpêche dans certaines eaux côtières incombe conjointement aux deux groupes, les répercussions humaines les plus préjudiciables ont d’ordinaire été observées au sein des communautés de petits pêcheurs (Clark, 1991 ; Karnjanakesom, 1992).

Plusieurs de ces conflits ont également donné lieu à la destruction des engins de pêche plus «passifs» normalement utilisés par nombre de pêcheurs à petite échelle, par les engins de pêche plus «agressifs» des pêcheurs à grande échelle, notamment de ceux qui se livrent au chalutage. Bailey (1987) fait observer par exemple que les conflits entre pêcheurs utilisateurs d’engins passifs et d’engins actifs sont omniprésents dans toute l’Asie du Sud-est et dans une grande partie de l’archipel indonésien.

En définitive, ces deux approches s’appuient sur l’expérience de pratiques coutumières en vigueur dans des communautés africaines ou asiatiques qui gèrent leur propre terroir aquatique en usant d’interdits et d’autorisations collectivement décidés et reconnus. Elles se nourrissent aussi de pratiques en usage dans certains pays anglo-saxons (Australie, Nouvelle- Zélande) où l’on alloue des quotas individuels transférables aux armements. Outre que ces pratiques, si elles reposent sur la liberté totale du marché, peuvent dériver très vite vers une

concentration de l’effort de pêche entre les mains de quelques sociétés par le jeu du rachat des quotas, elles ne suffisent pas à elles seules à régler l’ensemble des problèmes et, surtout, à l’échelle mondiale. Cependant, avec certaines adaptations et certaines précautions, et dans certains cas, elles peuvent inspirer de nouvelles politiques de gestion plus responsables30.

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