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CADRE GÉNÉRAL DE L’ÉTUDE

CHAPITRE 2 : LA GESTION DURABLE DES RESSOURCES HALIEUTIQUES DANS LE MONDE

2.2. Gestion durable des ressources halieutiques

2.2.2. La nouvelle approche de la gestion durable des ressources halieutiques

2.2.2.3. L’approche écosystémique des pêches (AEP)

La mise place des mesures de gestion qui prennent en compte les impacts de la pêche sur le fonctionnement des écosystèmes est urgent. Les pratiques actuelles de la pêche, trop souvent issues d’une vision à court terme de rentabilité économique, hypothèquent non seulement l’avenir des populations et écosystèmes marins mais également celui du secteur de la pêche à

moyen terme.

Depuis une dizaine d’années, un nombre croissant d’articles (Botsford et al., 1997 ; Pitcher, 2000 ; Pauly et al., 2002 ; Pikitch et al., 2004), d’ouvrages (Hall, 1999) et de conférences (Hollingworth, 2000 ; Sinclair et Valdimarsson, 2003 ; Daan et al., 2005a) revendiquent la mise en place d’une gestion écosystémique des pêches en réponse à l’échec des approches conventionnelles, dont les interventions n’intégraient pas les caractéristiques des systèmes naturels (Freemuth et McGreggor Cawley, 1998 ; Kennedy et Quigley, 1998; Knight, 1998; Szaro et al., 1998). Mais les racines de cette approche sont plus anciennes et remonteraient aux années 1930 aux Etats Unis, avec l’apparition des pionniers des approches conservationnistes37 : Georges Perkins Marsh, John Muir et Aldo Leopold. Selon Cortner et Moote (1999), la gestion écosystémique serait issue d’un changement des valeurs sociétales, d’un accroissement important de la connaissance scientifique sur les écosystèmes et du gain d’expérience et d’apprentissage lié aux efforts réalisés pour mettre en place de nouvelles approches de gestion des ressources. Selon Sherman (1991), le concept a émergé fortement au niveau mondial lors de la conférence du CIEM organisée en 1975 sur les changements d’abondance des stocks de mer du Nord, d'abord stimulé par la Conférence de Stockholm de 1972 sur l'environnement humain et renforcé par la Conférence 1992 sur l'environnement et le développement (CNUED) et la Convention sur la Diversité Biologique. Le cadre légal dans lequel elle s’inscrit aurait ensuite été défini en grande partie par la Convention du droit de la mer de 1982. Mais les fondements de l’AEP émergent principalement de l’adoption par la FAO du Code de Conduite pour une pêche responsable (FAO, 1995).

L’Approche Ecosystémique des Pêches (AEP) englobe donc un vaste ensemble de principes et d’objectifs conceptuels, dont la prise en compte doit permettre d’agrandir notre perception des relations entre le bien-être de l’Homme et la santé des écosystèmes (Sinclair et al., 2002 ; Garcia et al., 2003).

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Il s'agit de conserver la nature "intacte", ce qui traduit en quelque sorte l'idée que le développement économique devrait respecter des "contraintes écologiques" au cours du temps. Dans cette optique, l'échelle de l'activité économique peut être évaluée par rapport aux "capacités naturelles" des écosystèmes et des processus environnementaux à régénérer des ressources énergétiques, matérielles et vivantes, d'une part ; et à assimiler les flux de déchets de ces derniers issus de l'économie, d'autre part.

a) Rendre l’approche écosystémique opérationnelle

Dans un objectif d’incitation à une démarche de précaution et dans un véritable effort de construction de la pêche de demain, la FAO (Organisation des Nations Unies pour l’Alimentation et l’Agriculture) a jeté les bases d’une « Approche Ecosystémique des Pêches ».

Le transfert des concepts de gestion écosystémique au domaine des pêches dans la perspective de modifier les approches d’aménagement s’inscrit dans la continuité d’un processus d’évolution des institutions en charge des pêcheries. Toutes les modalités relatives à la mise en place d’une approche écosystémique au secteur des pêches sont présentées en détail dans un rapport technique publié en 2003 par la FAO (Garcia et al., 2003). L’AEP se définit comme un cadre de gouvernance des pêcheries et a pour objectif d’aborder une plus large gamme de sujets que la simple gestion, d’où le terme retenu d’approche. La spécification des différents principes de cette approche s’est principalement faite lors d’une consultation d’experts à Reykjavik en 2002, reconnaissant que :

« L’approche écosystémique de la pêche a pour but de prévoir, de concevoir et de gérer la pêche d’une manière qui réponde aux besoins et désirs multiples des sociétés sans compromettre les possibilités pour les générations à venir de profiter de tout l’éventail des biens et des services que procure le milieu marin » (Bianchi, 2008).

On retrouve les notions essentielles de reconnaissance des biens et des services fournis par les systèmes naturels et de durabilité mentionnées auparavant comme caractéristiques fondamentales de la gestion écosystémique. L’´emergence de l’AEP est à replacer dans le contexte actuel de crise du secteur des pêches mais s’appuie sur un certain nombre d’instruments internationaux adoptés au cours des 30 dernières années, principalement sous la forme de conventions internationales (Convention de 1973 sur le commerce international des espèces de faune et de flore sauvages menacées d’extinction) et de conférences (Conférence des Nations Unies de 1992 sur le développement et l’environnement) formant les bases du développement durable (Garcia et Cochrane, 2005). Le code de conduite pour une pêche responsable (FAO, 1995) vise à intégrer les différents objectifs conceptuels et principes fondateurs définis par ces instruments internationaux afin de fournir un cadre de référence pour une exploitation durable des ressources bio-aquatiques dans le respect de

l’environnement. Il se compose de 12 articles qui traitent globalement de la majorité des aspects de l’AEP : respect de l’´ecosystème, prise en compte de l’environnement, maintien de la biodiversité, considération des relations interspécifiques, évaluation des effets de la pêche, reconnaissance de l’impact d’autres activités anthropiques, minimisation des rejets et du gaspillage, amélioration de la gouvernance, application de l’approche de précaution et mise en place d’une approche intégrée dans la gestion de la zone côtière (Garcia et al., 2003). L’AEP constitue une étape supplémentaire dans cette modification de l’aménagement des pêcheries puisqu’elle aborde de manière plus complète la mise en oeuvre des principes édictés par le code de conduite. Les concepts liés à l’AEP sont résumés en 17 principes par Garcia et al. (2003) :

- 1) reconnaître l’interdépendance existant entre le bien-être de l’Homme et de l’´ecosystème ;

- 2) reconnaître le caractère épuisable des ressources ;

- 3) contrôler l’activité de pêche en termes de capacité, d’engins et de pratiques ;

- 4) établir le MSY (Maximum Sustainable Yield, traduit en français par production maximale équilibrée) comme une limite à éviter et non comme une cible à atteindre ;

- 5) ne pas surexploiter de manière irréversible les ressources ;

- 6) minimiser les impacts sur les espèces capturées accessoirement et les espèces protégées ou en voie d’extinction ;

- 7) rétablir les stocks surexploités ;

- 8) maintenir la biodiversité et les processus écologiques qui permettent cette biodiversité et la productivité des ressources ;

- 9) prendre en compte les relations interspécifiques ;

- 10) assurer un cadre politique, légal et institutionnel pour permettre une utilisation durable et intégrée des ressources ;

- 11) reconnaître et prendre en considération l’incertitude et les risques liés au caractère complexe et difficilement prévisible des écosystèmes marins ;

- 12) assurer une cohérence des mesures de gestion entre zones juridiques distinctes ; - 13) appliquer le principe du pollueur-payeur ;

- 14) appliquer le principe de l’utilisateur-payeur ; - 15) appliquer le principe et l’approche de précaution ;

- 16) augmenter la participation directe des acteurs à la prise de décision ; - 17) assurer et préserver l’équité dans toutes ses formes.

b) La cogestion des ressources halieutiques

Au travers de ces différents principes interreliés et des multiples objectifs sous-jacents, l’AEP apparaît ainsi comme un ambitieux projet qui aborde un grand nombre de thématiques dans les domaines scientifiques, économiques, politiques, juridiques et sociaux. Le caractère protéiforme de l’AEP appelle explicitement à la nécessité de changer les échelles de perception actuelles de la gestion et à impliquer tous les acteurs (société entière) pour parvenir à atteindre les multiples objectifs définis par l’AEP.

La cogestion peut être définie comme un processus de participation de tous les acteurs (représentants d'usagers, agences gouvernementales, organismes de recherche et autres partenaires) pour décider et faire respecter des réglementations (Jentoft, 2005). Elle ne laisse pas la prise de décision aux caprices du marché, mais s'appuie sur les forces de la société civile. Les droits de propriété communaux ou collectifs ont plus de force et d'autorité dans un système de cogestion. Les réformes basées sur la cogestion et les droits de propriété pourraient mutuellement se renforcer. La cogestion pourrait être initiée, et appliquée à court terme, alors que la transformation des droits de propriété pourrait être un projet à plus long terme (Jentoft, op.cit). La gestion durable des ressources halieutiques ne sera possible que par la mise en œuvre d’une cogestion impliquant tous les acteurs concernés, dont notamment les organisations professionnelles de la pêche, dans la définition et la mise en œuvre des politiques et des projets de développement relatifs à la pêche, sans oublier les femmes qui jouent un rôle majeur dans ce secteur. Selon Weber (cité par Chaussade, 2002),

« …tout projet d’aménagement et de développement (construction de route, d’un port de plaisance d’une criée…) ne doit pas être simplement accepté par les intéressés, encore faut-il que ces derniers puissent bel et bien se l’approprier, comme s’il venait d’eux, comme s’il l’avait initié, généré, imaginé. Car si véritablement ils s’approprient un projet initialement conçu par d’autres, il faut qu’ils puissent éventuellement le modifier, le transformer, l’adapter à leur système d’organisation, à leur culture ».

La cogestion offre des opportunités pour une exploitation durable des ressources aquatiques et l'amélioration des moyens d'existence des communautés de pêche en Afrique (Konan et Zantou, 2005). Elle crée une synergie entre l'administration et les communautés, pour conjuguer les moyens humains, matériels et financiers, assurer une pêche responsable et contribuer à la réduction de la pauvreté. La gestion participative exige : une forme de droit

local des communautés sur les ressources, des groupes d'utilisateurs capables de comprendre les enjeux et de défendre leurs intérêts, un cadre juridique favorable à la participation des utilisateurs, des mécanismes démocratiques de prise de décision, une reconnaissance des organisations de producteurs. L'atelier de Lombok, organisé en Indonésie par le Collectif international d'appui à la pêche artisanale (ICSF), a traité des arrangements coutumiers et du savoir écologique traditionnel pour la gestion des ressources côtières et halieutiques. L'objectif était de faire participer pleinement tous les acteurs à l'élaboration de programmes de cogestion de la pêche côtière (Etat et institutions coutumières) (Sharma, 2009).

Cette approche semble la plus adaptée aux défis actuels. Cependant, elle nécessite non seulement la présence d’acteurs sérieux au niveau local, mais aussi des arrangements préalables sur le pan juridique et pratique, auxquels sont associées les communautés, à l’appui de la gestion décentralisée et participative (Béné et al, 2007).

La cogestion des ressources halieutiques n'est toutefois qu'un élément de solution. Elle suppose l'organisation et l’autonomie des acteurs, notamment des petits pêcheurs (Jentoft, 2006). A cet effet, John Kurien (2001) propose 14 mesures qui concernent différents domaines : la réforme des droits de propriété, l'appui de la recherche et des consommateurs, le transfert des technologies, la cogestion de la ressource, le développement du rôle des femmes et le renforcement des organisations professionnelles de pêcheurs…

Conclusion

Malgré les débats pouvant exister sur l’ampleur exacte des effets de la pêche et les solutions à apporter dans le futur (Browman et Stergiou, 2004), il est aujourd’hui majoritairement admis par l’ensemble des acteurs du monde de la pêche que les modalités de gestion en vigueur depuis plus de 20 ans ne sont pas parvenues à concilier les objectifs de production et de conservation des ressources marines. La vision négative de l’état général des ressources marines mondiales et les conséquences économiques, sociales et alimentaires qui lui sont liées soulèvent la question essentielle des raisons de ce bilan négatif.

Les nouvelles approches de gestion durable constituent désormais la piste la plus à même d’apporter des réponses crédibles à cette situation. Cette pêche responsable et durable nécessite l’implication de tous (acteurs et institutions) dans une approche écosystémique des pêches.

L’AEP constitue une étape importante dans l’évolution de la gestion des pêches en s’appuyant sur un certain nombre de principes de la gestion écosystémique et en tentant de leur attribuer une dimension opérationnelle (Garcia et al., 2003). Elle s’inscrit dans une démarche adaptative pour pouvoir ajuster les objectifs de gestion à l’évolution de l’état des écosystèmes. Cependant, la mise en œuvre de cette approche nécessite un long travail de la part de tous les acteurs, qui reste à entreprendre pour changer progressivement de paradigme de gestion (Garcia et Cochrane, 2005). Cette transition engendre des coûts importants liés à la nécessité d’accroître les connaissances scientifiques sur les écosystèmes et au transfert de système de gouvernance (Cury et al., 2005a). La mise en place de cette approche dépend notamment de la capacité de ses défenseurs à mobiliser l’ensemble des scientifiques, pêcheurs et décideurs vis- à-vis de la nécessité de ce changement, mais surtout à convaincre de son efficacité par rapport aux pratiques actuelles en gestion des pêches. L’AEP ne constitue pas une révolution en soi mais une évolution puisqu’elle reconnaît, tout comme l’approche conventionnelle des pêches, que l’échec actuel de la gestion est principalement lié à des taux de mortalité par pêche excessifs, une surcapacité des flottilles, un manque de connaissance sur les écosystèmes et une inefficacité des systèmes de gouvernance (Mace, 2004). Elle doit ainsi s’appuyer en partie sur l’héritage important et disponible de l’évaluation des stocks pour passer d’une phase de réflexion et de grands principes à une phase opérationnelle et adaptative.

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