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La prise de conscience des enjeux environnementaux

PARTIE I : L’histoire de la coopération arctique

SECTION 2 : Le dégel politique et environnemental de la fin de la guerre froide

2. La prise de conscience des enjeux environnementaux

2.1. L’interrogation internationale grandissante des changements climatiques

Dès la fin des années 1980, l’environnement devient un enjeu central de la coopération arctique. Cette période concorde également avec une prise de conscience grandissante des enjeux environnementaux. Cette évolution consiste notamment à mettre davantage en avant la notion de précaution dans les activités humaines, notamment suite à des catastrophes de grandes envergures comme les catastrophes chimiques de Seveso en Italie en 1976 et de Bhopal en Inde en 1984, ou les catastrophes nucléaires de Three Mile Island aux Etats-Unis en 1979 et celle de Tchernobyl en URSS en 1986, avec l’explosion d’un réacteur nucléaire. Ces accidents ont conduit au développement de notions qui visent à assurer le principe de précaution et le développement durable. Dominique Pestre précise que la réflexion sur le développement durable entamée dès les années 1960 voit un certain aboutissement avec le rapport Brundtland de 1987 et la conférence de Rio de 1992, qui accréditent ce vocable.199 Le rapport Brundtland de la Commission mondiale sur l’environnement et le développement de l’ONU200, appelé « Notre avenir à tous », présente ainsi les principes juridiques pour la protection de l’environnement et un développement durable. Ce rapport est présidé par la Norvégienne Gro Harlem Brundtland. L’autre phénomène environnemental au cœur des préoccupations dans les années 1980 est le trou dans la couche d’ozone.

En 1985, Joseph C. Farman, Brian G. Gardiner et Jonathan D. Shanklin publient un article201 qui confirme les craintes émises par les scientifiques Paul J. Crutzen, Mario J. Molina et Frank

197 HOUGH, Peter. International Politics of the Arctic: Coming in from the Cold. Op. cit., 176 p.

198 YOUNG, Oran. « The Age of the Arctic. » Foreign Policy. 1985, n° 61, p. 160-179.

199 PESTRE, Dominique. « Développement durable : anatomie d’une notion. » Natures Sciences Sociétés. 2011, vol. 19, n° 1, p. 31-39. Sur la question environnementale et l’impact de ces catastrophes voir également : AUFORT, Claude. « Principe de précaution : où sont les risques ? » Nouvelles FondationS. 2007/2, n° 6, p. 55-61. ; KAUFMANN, Alain, PERRET, Horace, BORDOGNA PETRICCIONE, Barbara, AUDETAT, Marc, JOSEPH, Claude. « De la gestion à la négociation des risques : apports des procédures participatives d’évaluation des choix technologiques. » Revue européenne des sciences sociales. 2004, vol. XLII, n° 130, p. 109-120.

200 Rapport Brundtland, 1987, 349 p. Disponible sur : https://www.diplomatie.gouv.fr/sites/odyssee-developpement-durable/files/5/rapport_brundtland.pdf

201 FARMAN, Joseph C., GARDINER, Brian G., SHANKLIN, Jonathan D. « Large losses of total ozone in Antarctica reveal seasonal ClOx/NOx interaction. » Nature. 1985, n° 315, p. 207-210.

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Sherwood Rowland dans les années 1970 concernant l’impact destructeur des chlorofluorocarbones sur l’ozone202, en constatant la chute considérable de la concentration en ozone au-dessus de l’Antarctique. La réaction au niveau international s’organise dès le début des années 1980 sous l’impulsion des Etats scandinaves et prend forme avec la signature du Protocole de Montréal en 1987, qui vise une réduction dans la production des chlorofluorocarbones de 50 % jusqu’en 2000.203 Le trou dans la couche d’ozone, phénomène tout d’abord associé à l’Antarctique, se produit également en Arctique. Si la situation semble actuellement maîtrisée, l’évolution du trou dans la couche d’ozone en Arctique est plus difficile à prévoir que pour celui de l’Antarctique à cause de la variabilité des températures. Sophie Godin-Beekman, présidente de la Commission internationale sur l’ozone, explique que de manière générale, la destruction d’ozone en Arctique est inférieure à celle de l’Antarctique, mais des exceptions existent. En 2011, le niveau de destruction d’ozone en Arctique est semblable à celui relevé en Antarctique dans les années 1980.204

Le développement de la coopération arctique s’intègre dans un contexte de prise de conscience des questions environnementales, dont le changement climatique, qui a l’impact le plus direct sur l’Arctique. Martine Tabeaud rappelle que dès 1989, la question du changement climatique est inscrite à l’ordre du jour du G7. A l’Assemblée générale de l’ONU, il est présenté comme « enjeu commun de l’humanité ».205 En 1992, la question climatique prend une nouvelle dimension avec l’adoption de la Convention Cadre des Nations Unies sur le Changement Climatique de Rio de Janeiro, communément appelée « Sommet de la Terre ».

2.2. Les changements climatiques ou changements de la donne arctique 2.2.1. L’étude approfondie du changement climatique mondial

Les évaluations du changement climatique réalisées par le Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC) deviennent des études clefs pour mesurer l’évolution du climat. Ils sont un autre facteur qui s’ajoute à la prise de conscience internationale

202 Paul J. Crutzen, Mario J. Molina et Frank Sherwood Rowland reçoivent le prix Nobel de chimie en 1995 pour ces travaux.

203 Sur ce sujet voir : COURTOIS, Pierre, TAZDAIT, Tarik. « Formation et développement des accords environnementaux internationaux : les effets de leadership. » Négociations. 2007/2, n° 8, p. 121-137.

204 Emilie RIVA-GUERRA. « Un plus petit trou de la couche d’ozone en Antarctique : quelle est la situation en Arctique ? » Regard sur l’Arctique. 6 novembre 2017. http://www.rcinet.ca/regard-sur-arctique/2017/11/06/un-plus-petit-trou-de-la-couche-dozone-en-antarctique-quelle-est-la-situation-en-arctique/. [Consulté le 8 novembre 2017].

205 TABEAUD, Martine. « Les territoires face au changement climatique. » Annales des Mines – Responsabilité et environnement. 2009, vol. 4, n° 56, p. 34-40.

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sur les changements climatiques. Chaque nouveau rapport devient plus précis et plus volumineux.

Dès 1990, les résultats soulignent l’augmentation des gaz à effet de serre (dioxyde de carbone, méthane, oxyde nitreux, chlorofluorocarbones) à cause des émissions dues aux activités humaines. Le premier rapport du GIEC reste prudent en précisant que dix années doivent être attendues au moins pour être sûr d’un renforcement de l’effet de serre. Aucune preuve formelle n’est avancée sur la variabilité augmentée du climat.206 Néanmoins, dès le deuxième rapport de 1995, le constat est fait que ces évolutions sont surtout imputables à l’activité humaine. Les gaz à effet de serre sont principalement issus de l’utilisation de combustibles fossiles, de la modification de l’utilisation des sols et de l’agriculture.207 Si les premiers rapports soulignent que les concentrations en dioxyde de carbone et en méthane atteignent des niveaux inégalés depuis au moins 420 000 ans, les derniers rapports estiment que ces niveaux sont inégalés depuis au moins 650 000 ans. Les différents rapports font état de l’évolution des concentrations de différents gaz à effet de serre pour signaler une augmentation accélérée dans l’atmosphère terrestre et donc un accroissement considérable du réchauffement climatique, qui entraine une élévation du niveau de la mer.208

2.2.2. La particularité arctique face aux évolutions climatiques

Ce n’est qu’en 2001 que des précisions sont données par le GIEC sur les régions polaires.209 Progressivement, les études sur l’Arctique sont de plus en plus précises. Le rapport de 2007 souligne que les températures moyennes arctiques ont crû pratiquement deux fois plus vite que

206 Organisation météorologique mondiale/Programme des Nations Unies pour l’environnement. Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat. Changement climatique : Les évaluations du GIEC de 1990 et 1992. Premier Rapport d’évaluation du GIEC. Aperçu général et Résumés destinés aux décideurs et Supplément 1992 du GIEC. Canada, juin 1992, 182 p.

207 Organisation météorologique mondiale/Programme des Nations Unies pour l’environnement. Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat. Deuxième Rapport d’évaluation du GIEC. Changements climatiques 1995. 1995, 64 p.

208 Voir également : Organisation météorologique mondiale/Programme des Nations Unies pour l’environnement. Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat. Rapport spécial. PENNER, Joyce E., LISTER, David H., GRIGGS, David J., DOKKEN, David J., MCFARLAND, Mack (eds.). L’aviation et l’atmosphère planétaire. Résumé à l’intention des décideurs. 1999, 15 p. ; Organisation météorologique mondiale/Programme des Nations Unies pour l’environnement. Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat. Bilan 2001 des changements climatiques : Les éléments scientifiques. 2001, Genève, 92 p.

209 Organisation météorologique mondiale/Programme des Nations Unies pour l’environnement. Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat. Bilan 2001 des changements climatiques : Les éléments scientifiques. 2001, Genève, 92 p.

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dans le reste du monde.210 Dans le rapport de 2014, des études sont réalisées sur les rivières, les lacs, le pergélisol, le plancton, les poissons, et autres invertébrés, les mammifères marins, les ours polaires, les oiseaux, la végétation, le lichen, les infrastructures, le transport maritime, la pêche, ou encore l’exploration des ressources. 211 Hormis le constat sur la situation arctique, ces rapports relèvent les impacts du changement climatique sur l’Arctique, mais également l’influence de l’Arctique sur le reste du monde.

Cette évolution du climat particulièrement accentuée dans la région arctique relève notamment de l’effet albédo, auquel la région est fortement exposée. L’albédo correspond à la capacité de réflexion du rayonnement solaire d’une surface. Plus une surface est sombre, moins elle réfléchit ce rayonnement, et plus elle absorbe de chaleur. Plus le pouvoir réfléchissant d’une surface est important, plus la valeur de l’albédo augmente. Un corps blanc comme la neige a un albédo très élevé et réfléchit plus de 80 % du rayonnement solaire. Les océans ont un albédo de 5 à 10 %. La fonte de la banquise et des glaciers réduit la surface hautement réfléchissante en Arctique ce qui conduit à une plus grande absorption du rayonnement solaire et donc à un réchauffement plus important de la région. Ce réchauffement contribue lui-même à la fonte de la banquise et des glaciers qui renforcent l’effet albédo ainsi créé.212

Du point de vue des mers et des océans, l’Arctique n’a pas uniquement un impact sur l’élévation de leur niveau. Les évolutions arctiques influent également sur la circulation thermohaline qui correspond à la circulation de l’eau des océans. Elle est induite par les écarts de salinité et de température des masses d’eau.213 Elle peut faire évoluer par exemple les effets du Gulf Stream sur l’Europe.

Pour avoir des données plus précises sur l’évolution du climat en Arctique, trois rapports majeurs ont été publiés par le groupe de travail du programme de surveillance et d’évaluation

210 Organisation météorologique mondiale/Programme des Nations Unies pour l’environnement. Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat. PACHAURI, Rajendra K., REISINGER, Andy (eds.). Bilan 2007 des changements climatiques : Rapport de synthèse. 2007, Genève, 103 p.

211 Organisation météorologique mondiale/Programme des Nations Unies pour l’environnement. Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat. PACHAURI, Rajendra K., MEYER, Leo (eds.). Changements climatiques 2014. Rapport de synthèse. 2015, Genève, 161 p.

212 CNRS/Saga science. « Le climat de la Terre. L’albédo. » Disponible sur : http://www.cnrs.fr/cw/dossiers/dosclim/contenu/alternative/alter_etape1_4.html. [Consulté le 10 novembre 2017].

213 CNRS/Saga science. « Le climat de la Terre. La circulation thermohaline. » Disponible sur : http://www.cnrs.fr/cw/dossiers/dosclim/contenu/alternative/alter_etape3_2.html. [Consulté le 10 novembre 2017].

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de l’Arctique du Conseil de l’Arctique : l’Arctic Climate Impact Assessment de 2004, et les

Snow, Water, Ice, Permafrost in the Arctic de 2011 et 2017.

L’Arctic Climate Impact Assessment insiste sur le fait que les changements climatiques sont des phénomènes qui surgissent à un moment où de nombreuses autres perturbations existent comme la pollution chimique, la surpêche, les changements d’usage des terres, la fragmentation des habitats, l’augmentation des populations humaines ou les changements culturels et économiques. Il confirme que les températures moyennes en Arctique augmentent deux fois plus vite que dans le reste du monde. L’accumulation actuelle des gaz à effet de serre dans l’atmosphère laisse présager une accélération des changements climatiques.214 Le réchauffement climatique a un impact direct sur la fonte des glaciers et de la banquise. La fonte glaciaire augmente la quantité d’eau douce dans les océans qui risque de ralentir la circulation thermohaline et contribue à l’augmentation du niveau des mers et des océans. Le problème de l’érosion des côtes prendra de l’ampleur.215 L’Arctic Climate Impact Assessment ajoute également que les changements climatiques influencent la haute atmosphère en réduisant l’ozone au-dessus de l’Arctique. Le trou dans la couche d’ozone devrait persister encore durant plusieurs décennies.216

L’Arctic Climate Impact Assessment rappelle que les effets des changements climatiques sont imprévisibles. Il donne l’exemple de l’augmentation des surfaces boisées en Arctique qui pourrait contribuer à la limitation du gaz carbonique et bénéficier à l’économie locale et mondiale. Néanmoins, elle pourrait également favoriser le réchauffement climatique et perturber l’habitat de certaines espèces. Des feux peuvent être plus présents tout comme des invasions d’insectes.217

214 AMAP. Conseil de l’Arctique. Arctic Climate Impact Assessment. Cambridge : Cambridge University Press, 2005, 1042 p.

215 Ibid.

216 Ibid.

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ENCADRE N° 1 : LES EFFETS DU CHANGEMENT CLIMATIQUE EN ARCTIQUE EN