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L’Arctique, mythe d’une terre inconnue

PARTIE I : L’histoire de la coopération arctique

1. L’Arctique, mythe d’une terre inconnue

La première période historique qui peut être identifiée est celle des découvertes et des explorations. Cette phase correspond à l’appropriation d’un espace – qu’il soit marin ou terrestre – encore largement inconnu, soulevant de nombreux mythes, et présentant un véritable défi pour les explorateurs et les marins, aussi bien pour les hommes engagés que pour leurs navires et les instruments utilisés.

Avant de devenir une région dotée d’un potentiel de coopération, l’Arctique est un espace inconnu, mais qui intrigue depuis des millénaires. En effet, la découverte de l’Arctique n’est pas un phénomène nouveau. En ce qui concerne les découvertes européennes, dès -330, le géographe grec Pythéas navigue au Nord des îles britanniques pour atteindre une mer recouverte de glace ainsi qu’un territoire qui correspond probablement à l’Islande, au Groenland ou à la Norvège.129 De telles expéditions peuvent difficilement être assimilées à une conquête du grand Nord, mais révèlent néanmoins l’intérêt et l’attraction que peut avoir cette région du monde depuis longtemps, faisant appel à un certain imaginaire arctique.

128 L’intérêt historique que présente l’Arctique n’est pas nouveau. Au début du XIXe siècle par exemple, l’explorateur anglais John Barrow décrit les explorations arctiques depuis les découvertes scandinaves du IXe

siècle jusqu’en 1818. BARROW, John. Histoire chronologique des voyages vers le pôle arctique, entrepris pour découvrir un passage entre l'Océan Atlantique et le Grand-Océan, depuis les premières navigations des Scandinaves jusqu'à l'expédition faite, en 1818, sous les ordres des capitaines Ross et Buchan. Paris : Gide fils, 1819, 336 p. Disponible en français sur : http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k6574459k.

129 MCCANNON, John. A History of the Arctic. Nature, Exploration and Exploitation. Londres : Reaktion Books, 2012, p. 67.

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Une connaissance de la région se développe véritablement à partir du IXe siècle. Les premiers explorateurs européens de l’âge moderne de l’Arctique sont alors les Vikings. Ils peuplent déjà des territoires en Scandinavie qui peuvent être considérés comme arctiques, et sans aucun doute être qualifiés de subarctiques. Ils ont d’ailleurs contribué à la colonisation de nombreux espaces qui font désormais partie des régions arctiques ou subarctiques. Ce constat ne doit pas omettre la présence de populations autochtones en Arctique depuis des millénaires. Les découvertes vikings débutent dès la fin du IXe siècle avec les explorations menées au large de la Norvège par Ottar, qui découvre la péninsule de Kola. L’exil depuis l’Islande d’Erik le Rouge le conduit à passer trois ans au Sud du Groenland qu’il décide de coloniser à partir de 986. La navigation viking leur a ensuite permis de connaître encore davantage la région arctique du côté de l’océan Atlantique.

L’appropriation par les puissances européennes et l’intégration de la région arctique dans les relations mondiales ne débute véritablement qu’à la fin du Moyen-Âge. L’intérêt européen pour cette région se traduit par une exploration plus prononcée, motivée par différents facteurs. La variable commerciale y est un élément central, mais elle est favorisée par la création des Etats, ainsi que par les missions chrétiennes. Les explorations arctiques sont également suscitées par la curiosité et la découverte de nouveaux territoires.

Le facteur déterminant reste le développement du commerce en Europe. Le lien avec l’exploration arctique est direct car cette dernière doit permettre de trouver un passage entre le vieux continent et l’Orient. En effet, l’Orient prend une place grandissante dans les intérêts européens et y accéder de la manière la plus rapide répond à la question de la maximisation des gains économiques. Trouver et rendre viables des voyages à travers l’océan Arctique serait un grand avantage pour les Etats européens. Cette période de découverte débute donc à partir du XVe siècle et se prolonge jusqu’au début du XXe siècle, qui marque la découverte des espaces arctiques et la traversée des fameux passages maritimes du Nord-Ouest et du Nord-Est. L’idée d’utiliser des passages maritimes pour relier directement la Russie à la Chine par exemple se pose dès 1525 et Dmitri Guerassimov, diplomate russe, qui évoque la possibilité d’un passage du Nord-Est le long des côtes russes. Le cas russe illustre le fait que ces explorations s’appuient déjà sur des connaissances antérieures et des découvertes anciennes. La route maritime du Nord est déjà utilisée pendant la colonisation de la Sibérie au XIe siècle. Les îles du Svalbard ou la Nouvelle-Zemble sont connues depuis les XIIe et XIIIe siècles. Une continuité existe dans la découverte de l’Arctique, mais l’exploration est devenue beaucoup plus approfondie à partir de

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la seconde moitié du XVIe siècle. En 1527, Robert Thorne soutient l’existence de trois alternatives pour relier l’Est des Indes depuis l’Europe à travers le passage du Nord-Est, le passage du Nord-Ouest et la route transpolaire.130

L’Angleterre tient un rôle particulièrement proactif dans les découvertes arctiques en mettant de nombreux moyens à disposition des explorateurs. La proximité géographique et la flotte maritime sont des atouts clefs pour mener à bien ces voyages arctiques. En 1553, Hugh Willoughby se lance ainsi à la recherche d’un passage du Nord-Est, mais se retrouve coincé par les glaces arctiques avec son équipage sur trois bateaux. Cette expédition, à laquelle un seul homme survit, révèle toute la problématique des voyages arctiques. Les rudesses climatiques rencontrées sont d’ailleurs toujours actuellement un frein à une navigation plus importante. Si les équipements des marins ont fortement évolué, les conditions climatiques restent rigoureuses, malgré le réchauffement climatique. De nouvelles difficultés se présentent et la cartographie de l’Arctique n’est pas toujours précise.131

Les moyens mis à disposition des premiers explorateurs arctiques, tout comme les connaissances sur la région, restent minces. Au cours des XVe et XVIe siècles, les sciences arctiques se résument surtout à la navigation et à la cartographie. La carta marina exécutée par le Suédois Olaus Magnus en 1539 ou la carte du Néerlandais Gerhard Mercator de 1595 en sont des illustrations majeures. Elles révèlent aussi bien l’avancée des connaissances sur l’Arctique que les mythes que cette région suscite avec, dans ces deux cas précis, l’idée d’un espace terrestre au niveau du pôle Nord.

L’Anglais Martin Frobisher mène une série de trois voyages arctiques à partir de 1576, qui lui permettent d’atteindre le Sud de l’île de Baffin, avec notamment la baie qui porte actuellement son nom au Sud-Est de l’île. Le cas de Martin Frobisher illustre l’idée selon laquelle dès le début de l’exploration arctique, les expéditions sont liées à des soutiens aussi bien politiques qu’économiques. Ainsi, il bénéficie du soutien de la compagnie Cathay, du Duc de Walsingham et de la reine Elisabeth Ière. Encore au XVIe siècle, John Davis tente de rejoindre l’Asie à travers le passage du Nord-Ouest au cours de trois expéditions entre 1585 et 1587. Ses voyages lui

130 OSTRENG, Willy, EGER, Karl Magnus, FLOISTAD, Brit, JORGENSEN-DAHL, Arnfinn, LOTHE, Lars, MEJLAENDER-LARSEN, Morten, WERGELAND, Tor. Shipping in Arctic Waters. A Comparison of the Northeast, Northwest and Trans Polar Passages. Heidelberg : Springer-Praxis, 2013, 414 p.

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permettent d’explorer les côtes du Groenland.132 L’intensification des découvertes arctiques a également eu lieu au niveau du passage du Nord-Est, le long des côtes russes, qui se développe avec la colonisation de l’Asie orientale au XVIe siècle. Des expéditions notables sont alors menées en Sibérie de 1553 à 1554 et en 1580 jusqu’à la Dvina, les côtes de Mourmansk et les îles de la Nouvelle-Zemble.