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L’inscription ancienne des Etats européens dans la coopération arctique

PARTIE II : La structure hybride de la coopération arctique, un processus de régionalisation internationalisée de régionalisation internationalisée

1. Un intérêt pour l’Arctique partagé dans le monde

1.2. L’élargissement progressif des limites politiques de l’Arctique

1.2.1. L’inscription ancienne des Etats européens dans la coopération arctique

Les Etats qui participent à la coopération arctique ne se limitent pas uniquement aux Etats arctiques, comme le démontre la présence de longue date de certains autres acteurs européens, qui remonte même aux expéditions polaires ou à la coopération dans le domaine scientifique. Ces acteurs bénéficient d’une place au sein du Conseil de l’Arctique en qualité d’observateurs obtenue de longue date. L’Italie et la Suisse font figure d’exceptions dans la mesure où ils obtiennent respectivement ce statut en 2013 et en 2017.

302 Canada. The Northern Dimension of Canada’s Foreign Policy. Ottawa, 2000, 20 p. Disponible sur : http://library.arcticportal.org/1255/1/The_Northern_Dimension_Canada.pdf.

303 HEININEN, Lassi. « State of the Arctic Strategies and Policies – A Summary. » Arctic Yearbook 2012. 2012, p. 2-47.

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Pour justifier leur présence arctique, tous les documents officiels des Etats européens sur l’Arctique précisent leur longue tradition de recherche polaire.304 Cette même idée se retrouve en Suisse, dernier Etat accepté au Conseil de l’Arctique. « Dans le cadre des partenariats noués par la Suisse, une collaboration existe de longue date avec des partenaires de tous les Etats membres du Conseil de l’Arctique. Au cours de la dernière décennie, des chercheurs suisses ont participé à une cinquantaine de projets internationaux relatifs à l’Arctique impliquant plusieurs Etats membres du Conseil de l’Arctique. Le fort engagement de la Suisse en faveur de la coopération internationale en matière de recherche polaire s’est traduit par de nombreux échanges scientifiques. La Suisse possède depuis mai 2017 le statut d’observateur au Conseil de l’Arctique. […] Les motivations de la Suisse à obtenir le statut d’observateur au Conseil de l’Arctique se trouvent dans l’engagement de longue date de la Suisse en faveur d’une coopération internationale pacifique et de l’excellence en matière de recherche. L’exploration scientifique de l’Arctique a toujours revêtu une importance particulière pour la Suisse et s’inscrit dans une longue tradition qui remonte au XIXe siècle. Les travaux réalisés par la Suisse, par exemple sur la glaciologie dans l’Arctique, apportent une contribution substantielle à la recherche sur le changement climatique. »305

Cette implication dans la recherche n’est pas l’unique élément de leur valeur ajoutée dans la coopération arctique. Les différentes stratégies des Etats non arctiques font valoir une variété d’arguments pour justifier leur position d’acteur arctique. La stratégie du Royaume-Uni

304 Allemagne. Guidelines of the Germany Arctic policy. Assume responsibility, seize opportunities. Berlin, 2013, 20 p. Disponible sur : www.bmel.de/SharedDocs/Downloads/EN/International/Leitlinien-Arktispolitik.pdf?__blob=publicationFile. ; Espagne. Guidelines for a Spanish Polar Strategy. Madrid, 2016, 35 p.

Disponible sur :

www.idi.mineco.gob.es/stfls/MICINN/Investigacion/FICHEROS/Comite_Polar_definitivo/Directrices_estrategi a_polar_espanola.pdf. ; France. Le grand défi de l’arctique. Feuille de Route Nationale sur l’Arctique. Paris, 2016, 68 p. Disponible sur : https://www.diplomatie.gouv.fr/IMG/pdf/frna_-_vf_-17-06-web-bd_cle8b359f.pdf. ; Italie. Towards an Italian Strategy for the Arctic. National Guidelines. Rome, 2015, 18 p. Disponible sur : http://library.arcticportal.org/1906/1/towards_an_italian_strategy_for_the_arctic.pdf. ; Pays-Bas. Pole Position – NL 2.0. Strategy for the Netherlands Polar Programme 2016-2020. La Haye, 2014, 35 p. Disponible sur : https://www.nwo.nl/en/documents/alw/netherlands-polar-programme---strategy---pole-position---nl-2.0. ; Royaume-Uni. Adapting To Change. UK policy towards the Arctic. Londres, 2013, 39 p. Disponible sur : https://assets.publishing.service.gov.uk/government/uploads/system/uploads/attachment_data/file/251216/Adapti ng_To_Change_UK_policy_towards_the_Arctic.pdf. ; Suisse. Swiss polar research. Pioneering spirit, passion and excellence. Berne, 2015, 35 p. Disponible sur : http://www.polar-research.ch/downloads/Schweizer_Polarforschung_EN.pdf. La Pologne ne dispose pas de stratégie ou de politique arctique à proprement parler. Le inistère des Affaires étrangères polonais a néanmoins développé un document sur les buts et les outils de la politique arctique polonaise, en faisant une large revue de la situation arctique et des opportunités qui se présentent à la Pologne : LUSZCZUK, Michal, GRACZYK, Piotr, STEPIEN, Adam, SMIESZEK, Malgorzata. Cele i narzedzia polskiej polityki arktycznej. Varsovie : Ministerstwo Spraw Zagranicznych RP. Departament Polityki Europejskiej, 2015, 240 p.

305 Entretien avec Grégoire Hauser, fonctionnaire du Département fédéral des affaires étrangères suisse (16 juin 2017).

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souligne qu’il est le voisin le plus proche de l’Arctique d’un point de vue géographique, en étant l’Etat le plus au Nord en dehors des huit Etats arctiques.306 Les îles Shetland se trouvent à 400 kilomètres au Sud du cercle arctique. La légitimité du Royaume-Uni se trouve aussi renforcée par sa participation historique à l’exploration de l’Arctique. La stratégie britannique souligne également son leadership possible dans la lutte contre les changements climatiques et dans la réduction des gaz à effet de serre, notamment sur les questions transfrontalières. La stratégie britannique relève que le travail du Royaume-Uni en Arctique n’est pas uniquement une question étatique. Des acteurs non étatiques comme la communauté scientifique, l’industrie ou les ONG doivent y participer. Dans sa dimension commerciale, il bénéficie d’une expertise internationale. Comme preuve de l’engagement britannique, une version révisée de sa stratégie est prévue pour la fin de l’année 2018.307 La stratégie française insiste sur son statut d’observateur au Conseil de l’Arctique depuis 2000. Les intérêts économiques et stratégiques

motivent l’implication de compagnies comme Total, Engie, Technip et Thalès.308

Géographiquement, la France est proche de l’Arctique à travers Saint-Pierre-et-Miquelon. La stratégie française rappelle la présence de la France dans les enceintes internationales traitant de l’Arctique, avec des organisations internationales comme l’OMI. Elle présente dès lors la France comme un acteur arctique. La stratégie arctique italienne fait valoir la nouvelle adhésion de l’Italie dans le Conseil de l’Arctique et son implication économique à travers ENI, ainsi que son expérience dans l’exploitation des ressources offshore.309 Le sous-titre de la politique arctique allemande « Assume responsibility, seize opportunities » est très explicite, en se présentant comme un acteur de premier plan dans la gestion de la situation arctique et avec pour objectif de saisir les opportunités de développement économique.310 La stratégie allemande indique que l’Allemagne est un partenaire potentiel sur les technologies maritimes qui respecte des hauts standards environnementaux. Elle défend la liberté de la navigation et de la recherche scientifique. La stratégie suisse rappelle la similitude entre l’environnement alpin qui constitue

306 Royaume-Uni. Adapting To Change. UK policy towards the Arctic. Londres, 2013, 39 p. Disponible sur : https://assets.publishing.service.gov.uk/government/uploads/system/uploads/attachment_data/file/251216/Adapti ng_To_Change_UK_policy_towards_the_Arctic.pdf.

307 Entretien avec un représentant du gouvernement britannique (17 février 2018).

308 France. Le grand défi de l’arctique. Feuille de Route Nationale sur l’Arctique. Paris, 2016, 68 p. Disponible sur : https://www.diplomatie.gouv.fr/IMG/pdf/frna_-_vf_-17-06-web-bd_cle8b359f.pdf.

309 Italie. Towards an Italian Strategy for the Arctic. National Guidelines. Rome, 2015, 18 p. Disponible sur : http://library.arcticportal.org/1906/1/towards_an_italian_strategy_for_the_arctic.pdf.

310 Allemagne. Guidelines of the Germany Arctic policy. Assume responsibility, seize opportunities. Berlin, 2013, 20 p. Disponible sur : www.bmel.de/SharedDocs/Downloads/EN/International/Leitlinien-Arktispolitik.pdf?__blob=publicationFile.

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la Suisse et les régions polaires.311 L’intérêt du gouvernement néerlandais pour l’Arctique concerne quant à lui notamment les changements climatiques et la montée des eaux, ainsi que le potentiel économique.312 « Netherland is home to many (headquarters of) NGO’s and has a

good working relation with a number of them that are active in the Arctic. »313 Jorden Splinter, conseiller principal du ministère des Affaires étrangères néerlandais sur les affaires polaires, explique que « The role of the Netherlands is threefold: support the functioning of the Arctic

Council by being active in 3 from 6 working groups (AMAP, CAFF, SDWG); provide excellent Arctic research; work on sustainable Arctic development by structural dialogue with the private sector and scientists. »314

Les gouvernements des Etats observateurs européens au Conseil de l’Arctique défendent l’idée selon laquelle l’expression des particularités présentées doit se faire dans un Conseil de l’Arctique où la coopération doit être renforcée. Pour Juan Luis Muñoz de Laborde Bardin, vice-directeur général des relations économiques multilatérales et de la coopération aérienne, maritime et terrestre du ministère espagnol des Affaires étrangères et de la coopération, le rôle des Etats observateurs n’est pas assez pris en compte par les Etats arctiques. « Observers are

not taken into account in the Agreement signed in Fairbanks. »315 Selon la stratégie italienne, la question des dangers environnementaux arctiques doit trouver une réponse de la communauté internationale. La stratégie allemande prône le multilatéralisme à travers le Conseil de l’Arctique en premier lieu, étant un forum panarctique.316 La coopération et le dialogue doivent être au cœur de la création de la politique arctique selon la stratégie britannique.317 Au vu de l’importance des enjeux arctiques, la stratégie française souligne que la coopération internationale est une nécessité, allant au-delà d’une coopération uniquement régionale. Selon elle, le Conseil de l’Arctique s’est imposé comme un forum international référent sur les

311 Suisse. Swiss polar research. Pioneering spirit, passion and excellence. Berne, 2015, 35 p. Disponible sur : http://www.polar-research.ch/downloads/Schweizer_Polarforschung_EN.pdf.

312 Pays-Bas. Pole Position – NL 2.0. Strategy for the Netherlands Polar Programme 2016-2020. La Haye, 2014, 35 p. Disponible sur : https://www.nwo.nl/en/documents/alw/netherlands-polar-programme---strategy---pole-position---nl-2.0.

313 Entretien avec Jorden Splinter, conseiller principal du ministère des Affaires étrangères néerlandais sur les affaires polaires (4 juillet 2017).

314 Ibid.

315 Entretien avec Juan Luis Muñoz de Laborde Bardin, vice-directeur général des relations économiques multilatérales et de la coopération aérienne, maritime et terrestre du ministère espagnol des Affaires étrangères et de la coopération (20 juin 2017).

316 Allemagne. Guidelines of the Germany Arctic policy. Assume responsibility, seize opportunities. Berlin, 2013, 20 p. Disponible sur : www.bmel.de/SharedDocs/Downloads/EN/International/Leitlinien-Arktispolitik.pdf?__blob=publicationFile.

317 Royaume-Uni. Adapting To Change. UK policy towards the Arctic. Londres, 2013, 39 p. Disponible sur : https://assets.publishing.service.gov.uk/government/uploads/system/uploads/attachment_data/file/251216/Adapti ng_To_Change_UK_policy_towards_the_Arctic.pdf.

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questions arctiques. Concernant les enjeux de défense et de sécurité, le rôle de la France dans le maintien de la stabilité est possible car elle fait partie de l’Union européenne et de l’OTAN.318 Cette demande d’une plus grande intégration dans la coopération arctique respecte cependant la place privilégiée des Etats arctiques. Dans cette optique, tous les représentants des Etats non arctiques signalent le rôle central de la Convention des Nations Unies sur le droit de la mer de 1982. « International Law is a key cornerstone for Dutch policy, in the Arctic and elsewhere.

UNCLOS is the leading legal framework. »319 « La Suisse reconnaît la souveraineté des Etats arctiques, de leurs droits souverains et de leur juridiction dans l’Arctique. La Suisse a ratifié la Convention des Nations Unies sur le droit de la mer et tous les traités majeurs conclus dans le cadre de l’Organisation maritime internationale. Elle est favorable à des normes de sécurité strictes et plaide en faveur d’un renforcement du régime de protection contre la pollution dans la région Arctique. »320 Carmine Robustelli, responsable des affaires arctiques pour le ministère des Affaires étrangères et de la coopération internationale italien, relève que « [the] recognized

national jurisdictions of the Arctic States are completed and integrated by customary international sea law and by a number of Treaties. […] Italy fully respects the sovereign rights of the Arctic States, while it is ready to play its role to confront global challenges. »321 La stratégie britannique note le respect de la souveraineté des Etats arctiques et leur leadership dans la région, à côté des peuples autochtones.322 La stratégie française souligne que les Etats arctiques sont les premiers à répondre aux enjeux arctiques et que la Convention des Nations Unies sur le droit de la mer de 1982 est la norme centrale dans la région.323 La stratégie allemande rappelle que l’Allemagne respecte ce cadre international, qui est complété par la Convention internationale de l’OMI pour la prévention de la pollution marine par les navires,

318 France. Le grand défi de l’arctique. Feuille de Route Nationale sur l’Arctique. Paris, 2016, 68 p. Disponible sur : https://www.diplomatie.gouv.fr/IMG/pdf/frna_-_vf_-17-06-web-bd_cle8b359f.pdf.

319 Entretien avec Jorden Splinter, conseiller principal du ministère des Affaires étrangères néerlandais sur les affaires polaires (4 juillet 2017).

320 Entretien avec Grégoire Hauser, fonctionnaire du Département fédéral des affaires étrangères suisse (16 juin 2017).

321 Entretien avec Carmine Robustelli, responsable des affaires arctiques pour le ministère des Affaires étrangères et de la coopération internationale italien (19 février 2018).

322 Royaume-Uni. Adapting To Change. UK policy towards the Arctic. Londres, 2013, 39 p. Disponible sur : https://assets.publishing.service.gov.uk/government/uploads/system/uploads/attachment_data/file/251216/Adapti ng_To_Change_UK_policy_towards_the_Arctic.pdf.

323 France. Le grand défi de l’arctique. Feuille de Route Nationale sur l’Arctique. Paris, 2016, 68 p. Disponible sur : https://www.diplomatie.gouv.fr/IMG/pdf/frna_-_vf_-17-06-web-bd_cle8b359f.pdf.

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les conventions sur la protection de l’environnement marin et la diversité biologique, ainsi que le Traité concernant le Spitzberg.324

Un autre élément intéressant porte sur le soutien aux peuples autochtones. Bob Paquin explique que « Indigenous Peoples are another key area for us that we are constantly […] very keen to

reinforce. We need to ensure support to and engagement by our Indigenous communities in international cooperation activity relative to the Arctic. The half of our Northern population is indigenous. Their issues and their concerns are at the forefront for us as the Government and this is something that we should share with other Arctic Sates […]. The Arctic Council includes the presence and participation of the permanent participants. This is not something that we should be reinforcing with other Arctic States but something that we should reinforce with some non-Arctic States. Most of them get it. It is certainly part of their rhetoric and certainly part of their policies in terms of looking at where they think they need to be aware to articulating for activity and engagement. But it is something we feel we need to reinforce. »325 Le respect des droits des peuples autochtones est noté par la majorité des représentants des Etats européens. « Netherland is also one of the few countries in the world to have signed and ratified the ILO

convention on Indigenous People’s Rights. »326

Un dernier élément qui différencie ces Etats européens est le poids du soutien envers l’Union européenne, qui tout en étant un acteur unique dans la coopération arctique et ayant une présence non négligeable, n’est pas membre du Conseil de l’Arctique. Le rôle grandissant de l’Union européenne dans les affaires arctiques est noté par tous les gouvernements de ses Etats membres.