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L’idéal arctique d’une « zone de paix » 187 de la fin de la guerre froide

PARTIE I : L’histoire de la coopération arctique

SECTION 2 : Le dégel politique et environnemental de la fin de la guerre froide

1. L’idéal arctique d’une « zone de paix » 187 de la fin de la guerre froide

La valeur stratégique et militaire de l’Arctique a été un frein à la coopération dans la région, mais cette époque a tout de même assisté à l’émergence de certaines formes de coopération. Hormis la coopération scientifique, des relations principalement bilatérales se sont développées pour gérer les questions essentielles dans la région. Le traité sur la protection de l’ours polaire de 1973 est une des rares avancées de coopération entre les Etats arctiques sur cette période historique tendue.188 Ce traité se doit d’être noté de par son caractère contraignant. La même année, un programme de recherche commun aux Etats-Unis et à l’URSS est mené dans la mer de Barents en vue de réaliser des études météorologiques et océanographiques en Arctique. L’URSS a surtout privilégié des rapports bilatéraux avec le Canada et la Norvège. En 1984, la Chine invite des chercheurs américains pour une visite des infrastructures d’étude du pergélisol. En 1967, l’URSS propose d’ouvrir la route maritime du Nord à la navigation internationale. Si cette proposition est retirée, principalement pour ne pas mettre à mal les relations avec les Etats arabes alliés et pour éviter une concurrence avec le canal de Suez, elle révèle que même pendant la guerre froide, la possibilité d’une intégration internationale de l’Arctique dans le commerce mondial est émise.

Le symbole d’un renouveau dans la coopération arctique est très souvent associé au discours de Mikhaïl Gorbatchev du 1er octobre 1987, durant lequel la coopération entre les Etats arctiques est présentée comme une nécessité au vu de la particularité de la région arctique.189 Mikhaïl Gorbatchev souligne que l’environnement doit être protégé par une action commune soutenue

186 Voir la section Se déplacer, les enjeux des routes maritimes pour la coopération, p. 308-366.

187 Mikhaïl GORBATCHEV. Discours à Mourmansk à la réunion cérémoniale à l’occasion de la remise de l’ordre de Lénine et de l’étoile d’or à la Ville de Mourmansk. 1er octobre 1987. Disponible sur : https://www.barentsinfo.fi/docs/Gorbachev_speech.pdf.

188 Accord relatif à la conservation des ours polaires de 1973. Disponible sur : http://droitinternational.ek.la/accord-relatif-a-la-conservation-des-ours-polaires-1973-a104197438.

189 Mikhaïl GORBATCHEV. Discours à Mourmansk à la réunion cérémoniale à l’occasion de la remise de l’ordre de Lénine et de l’étoile d’or à la Ville de Mourmansk. 1er octobre 1987. Disponible sur : https://www.barentsinfo.fi/docs/Gorbachev_speech.pdf.

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par une institution internationale qui permettrait d’approfondir la coopération scientifique. Ce discours n’est pas le réel point de départ d’une coopération plus importante dans la région, mais il démontre l’évolution dans la posture de l’Etat riverain le plus grand de l’océan Arctique. Ce dégel affiché permet donc d’entrer dans une nouvelle phase de la coopération arctique, alors même que les deux blocs antagonistes sont encore en place.

Dans ce discours, Mikhaïl Gorbatchev promeut une politique ouverte au dialogue. «

Considering that world public opinion and the peoples of the world are very concerned about the situation in the world, our policy is an invitation to dialogue, to a search, to a better world, to normalization of international relations. » Il relève le caractère stratégique de l’Arctique et

met l’accent sur son environnement particulier. Il revient sur l’impact mondial des phénomènes climatiques arctiques. « The community and interrelationship of the interests of our entire world

is felt in the northern part of the globe, in the Arctic, perhaps more than anywhere else. The Arctic and the North Atlantic are not just the "weather kitchen", the point where cyclones and anticyclones are born to influence the climate in Europe, the USA and Canada, and even in South Asia and Africa. One can feel here freezing breath of the "Arctic strategy" of the Pentagon. An immense potential of nuclear destruction concentrated aboard submarines and surface ships affects the political climate of the entire world and can be detonated by an accidental political-military conflict in any other region of the world. » Le discours de Mikhaïl

Gorbatchev invite à une coopération multilatérale et bilatérale en vue d’assurer un développement économique aux Etats et d’étudier les phénomènes environnementaux. Le développement économique ne peut être obtenu qu’en créant une zone de paix en Arctique, résolvant donc les problèmes de sécurité qui y sont présents. « How do we visualize this? It is

possible to take simultaneously the roads of bilateral and multilateral cooperation. I have had the opportunity to speak on the subject of "our common European home" on more than one occasion. The potential of contemporary civilization could permit us to make the Arctic habitable for the benefit of the national economies and other human interests of the near-Arctic states, for Europe and the entire international community. To achieve this, security problems that have accumulated in the area should be resolved above all. The Soviet Union is in favour of a radical lowering of the level of military confrontation in the region. Let the North of the globe, the Arctic, become a zone of peace. » D’un point de vue sécuritaire, Mikhaïl Gorbatchev

observe que la région conserve un potentiel de destruction nucléaire. Pour y remédier, il propose une démilitarisation de l’Europe du Nord en y incluant une zone dénucléarisée. La coopération arctique devrait s’articuler autour du développement économique de la région en exploitant les

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ressources qui sont présentes en Arctique, mais aussi d’une exploration scientifique. La coopération arctique doit viser à protéger l’environnement.

Ces questionnements sont partagés par la littérature de la fin des années 1980 sur l’Arctique, comme par exemple dans l’ouvrage dirigé par Kari Möttölä en 1988.190 La question sécuritaire en Arctique se détend avec la fin de la guerre froide et de la dissuasion existante entre les deux blocs antagonistes. Juste avant la fin de la guerre froide, David Cox souligne que même si de grandes tensions ne sont pas notées, des incertitudes persistent sur la question des engins nucléaires dans la région.191 Ronald G. Purver émet l’hypothèse d’une zone dénucléarisée.192 Olli-Pekka Jalonen relève toujours la place stratégique de l’Arctique.193 Nikolaj Petersen discute également la place stratégique du Groenland en soulignant l’importance des relations entre Nuuk et Copenhague.194 Concernant le discours de Mikhaïl Gorbatchev, Bo Huldt estime que la question de la sécurité se pose différemment pour tous les Etats nordiques. Pour assurer les solutions prônées lors du discours de Mourmansk, la coopération devrait être plus large – européenne ou onusienne.195 La recherche scientifique et la protection de l’environnement sont des sujets notamment soulevés par des auteurs comme John Merritt ou Johnson Theutenberg.196

Le discours de Mikhaïl Gorbatchev traduit les grandes interrogations qui se posent pour la région au sortir de la guerre froide. Il est un point de départ symbolique pour la coopération arctique actuelle. Peter Hough estime qu’une véritable coopération dans la région ne débute qu’à partir de 1986 et 1987 quand Mikhaïl Gorbatchev choisit Reykjavik et Mourmansk pour

190 MÖTTÖLÄ, Kari (ed.). The Arctic Challenge. Nordic and Canadian Approaches to Security and Cooperation in an Emerging International Region. Boulder : Westview Press, 1988, 335 p.

191 COX, David. « Canada’s Changing Defence Priorities: Comparing Notes with the Nordic States. » in MÖTTÖLÄ, Kari (ed.). The Arctic Challenge. Nordic and Canadian Approaches to Security and Cooperation in an Emerging International Region. Boulder : Westview Press, 1988, p. 15-38.

192 PURVER, Ronald G. « Arms Control Proposals for the Arctic: A Survey and Critique. » in MÖTTÖLÄ, Kari (ed.). The Arctic Challenge. Nordic and Canadian Approaches to Security and Cooperation in an Emerging International Region. Boulder : Westview Press, 1988, p. 183-219.

193 JALONEN, Olli-Pekka. Op. cit., p. 157-181.

194 PETERSEN, Nikolaj. « Denmark, Greenland, and Arctic Security. » in MÖTTÖLÄ, Kari (ed.). The Arctic Challenge. Nordic and Canadian Approaches to Security and Cooperation in an Emerging International Region. Boulder : Westview Press, 1988, p. 39-73.

195 HULDT, Bo. « Swedish Security in the 1980s and 1990s – Between the Arctic and Europe. » in MÖTTÖLÄ, Kari (ed.). The Arctic Challenge. Nordic and Canadian Approaches to Security and Cooperation in an Emerging International Region. Boulder : Westview Press, 1988, p. 317-329.

196 Voir : MERRITT, John. « Factors Influencing Canadian Interest in Greater Non-military Co-operation in the Arctic. » in MÖTTÖLÄ, Kari (ed.). The Arctic Challenge. Nordic and Canadian Approaches to Security and Cooperation in an Emerging International Region. Boulder : Westview Press, 1988, p. 281-301. ; THEUTENBERG, Johnson. « Development and Cooperation in the Arctic. » in MÖTTÖLÄ, Kari (ed.). The Arctic Challenge. Nordic and Canadian Approaches to Security and Cooperation in an Emerging International Region. Boulder : Westview Press, 1988, p. 303-316.

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présenter ses propositions de nouvel ordre international.197 Néanmoins, dès 1985, Oran Young souligne que les évolutions dans les relations mondiales et les questions environnementales permettent d’envisager une nouvelle phase dans les relations arctiques. Il parle d’ « Âge de l’Arctique ».198