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La mobilisation citoyenne internationale contre la torture

Contrairement aux thèses qui affirment qu’entre ONG, Amnesty International universaliserait ses normes et standards internationaux relatifs à la protection des droits fondamentaux dans le monde,59 en ayant de surcroît une vision orientaliste des citoyenEs arabes,60 cette organisation agit en fait en tant que porte-parole des victimes et/ou membres des familles des victimes des pratiques de torture et des traitements dégradants à l’échelle planétaire.61

Dès 1948, la Déclaration universelle des droits de l’homme prohibe les pratiques de torture et des traitements dégradants, avec l’article 5 qui stipule : «nul ne sera soumis à la torture, ni à des peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants.» Pourtant, malgré cette prohibition, différents organes des Nations Unies qui ont pour mandat la protection des droits fondamentaux, tels que le Conseil économique et social et la Commission des droits de l’homme, ont été alertés de l’existence de ces pratiques dans diverses parties du globe, dont entre autres l’Afrique du sud de l’Apartheid et les Territoires palestiniens occupés.62 Toutefois, c’est la campagne pour l’abolition de la torture, qui a été organisée par Amnesty International en 1972, qui a permis d’aboutir à une

59 Massad, «Re-Orienting Desire: The Gay International and the Arab World», op.cit., 361. 60 Ibid., 362.

61 Ann Marie Clark, op.cit., 46.

véritable prise de conscience internationale de l’étendue de ces pratiques à l’échelle planétaire.63

En effet, selon l’information collectée par cette organisation, à l’aube du projet de la Convention contre la torture, la pratique de la torture implique au moins 61 pays, soit au moins 14 pays africains, 11 pays asiatiques, 4 pays européens, plus de 20 pays en Amérique, 8 pays au Moyen-Orient, 3 pays de l’Europe de l’Est et la Russie.64 De plus, cette pratique implique indirectement d’autres pays qui exportent du personnel expert dans le domaine et des équipements modernes de torture.65 Parmi d’autres, Amnesty International cite les États-Unis qui offrent des aides financières généreuses, du personnel paramilitaire, et des équipements de torture à certaines dictatures, telles que la Bolivie, le Paraguay, et l’Uruguay.66 Par ailleurs, en ce qui concerne le cas de notre étude, Amnesty International note que la torture relève d’une pratique administrative courante au Maroc.67 Ce faisant, elle est pratiquée dans les commissariats et dans des centres de détention clandestins.68

Ce qui s’avère pertinent à souligner ici, c’est que l’information dont dispose Amnesty International concernant les pratiques de torture et des traitements dégradants dans la quasi-totalité des pays du globe lui est fournie par les victimes et/ou membres des familles des victimes de ces pratiques.69 Pour

63 Ann Marie Clark, op.cit., 43-45 ; Burgers & Danelius, op.cit., 13 ; William Korey, «To Light a

Candle» : Amnesty International and the «Prisoners of Conscience,» in NGOs and the Universal Declaration of Human Rights (New York : St Martin’s Press, 1998), 159-180.

64 Amnesty International Report on Torture, op.cit., 112-217. 65 Ibid., 180.

66 Ibid., 179-180. 67Ibid., 119. 68 Ibid., 120-121.

illustrer notre propos, on rapporte le témoignage de la conjointe d’un détenu politique au Maroc qui reçoit un message de ce dernier l’informant de ses conditions de détention :

«Un gardien du bagne de Tazmamart apporte des messages écrits avec une allumette éteinte sur du très vieux papier jauni, de piètre qualité :

«La course contre la montre … La mort nous guette …

Nos conditions sont indignes de celles des animaux. Les scorpions et les serpents sont les maîtres des lieux … Besoin de médicaments, antibiotiques, antiseptiques et vitamines …

Des dattes. Un exemplaire du Coran. Une loupe. Quelques vêtements chauds, en laine …

Notre vie va se terminer dans ce mouroir.

La course contre la montre, contre la mort, contre l’oubli. Prends bien soin de l’émissaire. Donne-lui tout l’argent qu’il demande.»70

Aussitôt, avec l’aide d’autres membres de la famille, la conjointe de ce détenu fait acheminer l’information à des organisations qui œuvrent dans le domaine des droits fondamentaux, dont en premier lieu Amnesty International, comme se rappelle un autre détenu :

«Kabir et Khalid, les frères du capitaine Abdellatif Belkébir, qui comptent parmi les principales personnes ayant joué un rôle déterminant dans notre libération, alertèrent, dès le début des années 80, Amnesty international et d’autres organisations humanitaires.»71

D’ailleurs, pour s’assurer de la véracité des informations qu’elle reçoit, Amnesty International procède à une investigation de ces informations :

«Amnesty International sut ainsi à quoi s’en tenir dès 1980 mais, chose bizarre qui nous a bien dépités à

70 Bennouna, op.cit., 74-75. 71 Marzouki, op.cit., 113.

l’époque, l’organisation ne réagit pas ; elle demandait, avant de le faire, la confirmation de toutes ces affirmations dans une lettre écrite par un autre détenu.»72

Or, comme des plaintes similaires ont été acheminées à Amnesty International d’un peu partout du globe,73 ces plaintes ont révélé à cette organisation que les actes de torture relèvent d’un comportement standard de la quasi-totalité des États à l’échelle planétaire.74 Devant la gravité de la situation, Amnesty International entreprend une campagne pour l’abolition de la torture en 1972, qui inclut une conférence de conscientisation offerte à Paris, et la publication d’un rapport qui documente l’usage de ces pratiques.75 L’originalité de cette organisation à l’époque est d’avoir agi en tant que porte- parole, et donc en tant qu’avocat des citoyenEs à l’échelle planétaire :76 en se faisant l’intermédiaire entre ces dernierEs, les États, et les organisations internationales, Amnesty International a souligné la nécessité de l’existence de meilleurs normes et standards internationaux relatifs à la protection contre la torture.77 Par conséquent, si comme on va le voir dans les paragraphes qui suivent, un ensemble d’États s’est intéressé à la problématique de la torture au point de la soulever au sein des Nations Unies, l’émergence de normes et standards internationaux relatifs à une meilleure protection contre la torture est à la base le résultat de la mobilisation citoyenne internationale.

72 Ibid., 118-119.

73 Clark, op.cit., 125.

74 Amnesty International Report on Torture, op.cit., 18. 75 Clark, op.cit., 43-45.

76 Ibid., 124. 77 Ibid., 127.