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Le DIDP en tant qu’outil de solidarité internationale

Le DIDP protège les droits fondamentau

Chapitre 5 Le DIDP en tant qu’outil de solidarité internationale

«Je te lamine, je te triture, je te jette dans une fosse, je te laisse mourir à petit feu sans lumière, sans vie, et puis je nie tout. Ça n’a jamais existé. Quoi ? Un bagne à Tazmamart ? Mais qui est cet impudent qui ose penser que notre pays aurait commis un tel crime, une horreur inqualifiable ? Dehors l’impudent ! Ah, c’est une femme,529 eh bien, c’est du pareil au même, dehors, elle ne mettra plus jamais les pieds sur le sol marocain ! Ingrate ! Mal élevé ! Perverse ! Elle ose nous soupçonner d’avoir organisé le système de la mort lente dans l’isolement complet ! Quelle arrogance ! Elle est manipulée par les ennemis de notre pays, ceux qui sont jaloux de notre stabilité et de notre prospérité. Les droits de l’homme ? Mais ils sont respectés, vous n’avez qu’à voir et observer. Des prisonniers politiques ? Non, ça n’existe pas chez nous. Des disparus ? La police les recherche. Il faut lui rendre hommage, car elle fait très bien son travail.»530

Ce chapitre soutient qu’autant la domination entre nations est une réalité qui se traduit entre autres en termes de soutien des États puissants aux régimes répressifs des petits États, autant le DIDP apparaît comme l’outil privilégié utilisé par l’opinion publique internationale pour faire admettre ces violations, et la conjoncture internationale aidant, faire cesser ce soutien. Par conséquent, contrairement à certaines thèses qui affirment que le DIDP oppose les États puissants aux petits États, le DIDP oppose les détenteurEs du pouvoir dans la communauté internationale à la solidarité internationale. Un tel constat implique que le discours réel des droits fondamentaux oppose aux structures du pouvoir des mécanismes de protection contre les abus potentiels de ce pouvoir.

529 L’auteur fait référence à la militante Christine Daure-Serfaty. 530 Ben Jelloun, op.cit., 232-233.

Pour le montrer, on rappelle que lors de la rédaction de la Convention

contre la torture, L’État du Maroc refuse de reconnaître la compétence du

Comité contre la torture pour recevoir et traiter les communications individuelles, en avançant entre autres que les inégalités politiques entre États pourraient entacher l’impartialité de ce Comité.531 Or, l’examen des prises de position de ce dernier vis-à-vis des violations des droits fondamentaux par les États-Unis, l’un des plus puissants États au monde, montre que ce Comité est impartial.532

Pour élucider le sens de l’intervention de l’État du Maroc, dans un premier temps, un bref rappel de la création et de la modernisation des institutions marocaines qui sont impliquées dans les pratiques de torture et des traitements dégradants, soit l’armée et la police parallèle, montre que les principaux alliés de l’élite dirigeante marocaine parmi les États puissants fournissent à cette élite les instruments nécessaires pour asseoir son pouvoir.533 Néanmoins, comme il s’agit d’un pouvoir illégitime, c’est-à-dire d’un pouvoir qui a besoin de recourir à la violence pour se maintenir,534 cela signifie que la France et les États-Unis sont en partie impliqués dans l’exercice de cette violence. Si les conséquences directes de cette implication se traduisent en termes de pratiques de torture et des traitements dégradants, elles se traduisent également en termes de conception étatique dégradante des genres, dans la mesure où, comme le

531 UN. Doc. E/CN.4/1314 (1979)/Add. 4, § 16. 532 UN. Doc. CAT/C/USA/CO/2 (2006).

533Jean-François Daguzon, «France and the Maghreb, the End of the Special Relationship?»

in North Africa, Politics, Region, and the Limits of Transformation, eds. Yahia Zoubir & Haizam Amirah-Fernandez (New York : Routledge, 2008), 339.

rapportent certains témoins,535 la virilité se mesure en termes de domination et de répression. Par conséquent, à ce stade, on retient que ce que l’État du Maroc dénonce en évoquant les inégalités politiques entre États ne porte pas sur l’implication des États puissants dans ses pratiques internes de torture et des traitements dégradants, pour la simple raison que cette implication reconduit les intérêts politiques internes de cet État. D’ailleurs, la contestation des inégalités politiques entre États par l’État du Maroc ne s’accompagne d’aucune proposition qui permettrait la prise en compte par les mécanismes de protection de la Convention contre la torture des pratiques de torture et des traitements dégradants qui sont engendrées par le commerce mondial relié à ces pratiques et par les activités militaires des États puissants.

Dans un second temps, un rappel des événements marquants de la politique étrangère respective de la France et des États-Unis au Maroc montre que les bonnes relations entre ces acteurs sont tributaires de l’importance géopolitique du Maroc. En effet, dépendamment de cette importance, les rapports de pouvoir entre ces acteurs peuvent alors intervenir, et prendre la forme d’une fin de complaisance de ces deux puissances à l’égard des violations des droits fondamentaux au Maroc. Pour mieux étayer notre idée, on déborde de la période de notre étude pour rejoindre la période actuelle. Ce faisant, un tel rappel relève trois périodes distinctes de cette politique : la guerre froide, la fin de la guerre froide, et la guerre contre le terrorisme. Ainsi, comme lors de la guerre froide, l’État du Maroc assure les intérêts géopolitiques des États libéraux

535 Mariyam Utmuhin shahada hayya min sidi ifni, (Mariyam Utmuhin, un témoignage vivant de

occidentaux, cet État bénéficie de l’appui de ses alliés puissants pour mener à bien ses politiques internes, mais aussi il est protégé contre les critiques de l’opinion publique internationale relatives à sa piètre performance dans le domaine des droits fondamentaux.536 Si d’ores et déjà, avec l’arrivée du pouvoir socialiste en France en 1981, c’est-à-dire durant la rédaction de la Convention

contre la torture, l’État du Maroc subit une certaine pression internationale pour

qu’il améliore sa performance dans le domaine des droits fondamentaux,537 l’avènement de la fin de la guerre froide livre tout à fait cet État à la pression de l’opinion publique internationale,538 si bien que la décennie 90 se caractérise par une avancée dans le domaine des droits fondamentaux au Maroc.539 C’est durant cette période d’ailleurs qu’enfin libéré de la défense des prisonnierEs politiques, le mouvement marocain des droits de la personne a pu se consacrer à la promotion des droits fondamentaux dans leur totalité.540 Ainsi par exemple, le premier dossier consacré par l’AMDH à la situation des femmes au Maroc

536 Susan Waltz, Human Rights and Reform, Changing the Face of North African Politics

(Berkeley : University of California Press, 1995), 205.

537 Daguzon, «France and the Maghreb, the End of the Special Relationship?» in eds. Zoubir &

Amirah-Fernandez, op.cit., 337-338 ; Waltz, Human Rights and Reform, Changing the Face of North African Politics, op.cit., 206.

538 Yahia Zoubir & Stephen Zunes, «United States Policy in the Maghreb,» in North Africa in

Transition, State, Society, and Economic Transformation in the 1990s, ed. Yahia Zoubir (Gainsville : University Press of Florida, 1999), 235 ; Rachid El-Houdaïgui, La politique étrangère sous le règne de Hassan II, acteurs, enjeux et processus décisionnels (Paris : Harmattan, 2003), 275 ; Missoffe-Rollinde, De l’unanimisme nationaliste au concept de citoyenneté, les militantEs marocainEs des droits de l’Homme, op.cit., 338 ; El-Houdaïgui, op.cit., 264.

539 Mohammed Karam, La notion des droits de l’homme au Maghreb, essai sur une nouvelle

culture politique (Marseilles : Aix-Marseilles III, 1991), 427 ; Slyomovics, The Performance of Human Rights in Morocco, op.cit., 21 ; Waltz, Human Rights and Reform, Changing the Face of North African Politics, op.cit., 211 ; Missofe-Rollinde, De l’unanimisme nationaliste au concept de citoyenneté, les militantEs marocainEs des droits de l’Homme, op.cit., 346.

remonte à cette période-ci.541 Toutefois, avec la guerre contre le terrorisme, l’État du Maroc regagne son importance géopolitique. En sous-traitant la torture pour les États-Unis, derechef l’État du Maroc retourne à sa violence étatique en toute quiétude.542

Par conséquent, quand l’État du Maroc dénonce les rapports inégaux de pouvoir entre États, il conteste la capacité qu’ont ses alliés puissants de céder à la pression de l’opinion publique internationale, et de le rappeler occasionnellement à l’ordre au sujet des violations des droits fondamentaux de ses citoyenEs. Or, le Comité contre la torture se révèle être l’un des outils privilégiés pour faire admettre ces violations. En d’autres termes, cet État conteste l’existence d’un outil supplémentaire auquel la communauté internationale pourrait recourir pour faire pression sur lui concernant sa piètre performance dans le domaine des droits fondamentaux. Dans ce sens, cet État conteste les limites que les mécanismes de protection du DIDP imposent au pouvoir des États de violer les droits fondamentaux de leurs citoyenEs. Donc, contrairement aux thèses qui affirment que le DIDP oppose les États puissants aux petits États, le DIDP oppose les détenteurEs du pouvoir dans la communauté internationale à la solidarité internationale. Un tel constat implique que le discours réel des droits fondamentaux oppose aux structures du pouvoir des mécanismes de protection contre les abus potentiels de ce pouvoir comme on va le voir dans les paragraphes qui suivent.

541 Ibid., 456.

542 Clement Henry, «Reverberations in the Central Maghreb of the «Global War on Terror,» in