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L’État du Maroc rejette le principe de l’universalité

Préalablement, on retrace le contexte dans lequel le principe de l’universalité des droits fondamentaux a été remis en cause par l’État du Maroc lors du projet de la Convention contre la torture.

Comme le corpus du DIDP incluait déjà une Déclaration sur la protection

de toutes les personnes contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants depuis 1975, l’intérêt de doter ce corpus également

d’une Convention contre la torture réside entre autres dans la mise en œuvre des mécanismes de surveillance internationale des engagements des États parties envers les mesures de protection contre les pratiques de torture et des traitements dégradants que ce document permet. Donc ce n’est pas étonnant de constater que les articles 16 à 21 du projet de la Convention contre la torture se consacrent à la mise en œuvre de cette convention.282 Ainsi, a été institué un Comité des Nations Unies contre la torture, dont la fonction principale est d’examiner les rapports périodiques qui lui sont soumis par les États parties sur les mesures qu’ils ont prises pour concrétiser leurs engagements à l’égard de la

Convention contre la torture, et de faire des commentaires d’ordre général à ces

États. Parallèlement à cette fonction, en vertu de l’article 17 du projet de cette convention si le Comité reçoit des renseignements crédibles indiquant que la torture est pratiquée de façon systématique dans le territoire d’un État donné, il

282 UN. Doc. E/CN.4/1285 (1978).

peut désigner un ou plusieurs de ses membres pour procéder à une enquête confidentielle à ce sujet, et pour lui faire un rapport d’urgence.283

Or, le moyen par excellence qui alerte ce Comité sur les pratiques de torture et des traitements dégradants dans le territoire d’un État donné est l’ensemble des plaintes des victimes et/ou celles des membres des familles des victimes de ces pratiques qu’il reçoit, d’où l’intérêt de l’article 20 du projet initial de la Convention contre la torture qui postule :

«1. A State Party may at any time declare under this article that it recognizes the competence of the Committee to receive and consider communications from individual subject to its jurisdiction who claim to have been subjected to torture or other cruel, inhuman or degrading treatment or punishment in contravention of the obligations of that State Party under the present Convention. No communication shall be received by the Committee if it concerns a State Party which has not made such a declaration.»284

Malgré le caractère facultatif de la reconnaissance de la compétence du Comité à examiner les plaintes des victimes, ou présumées victimes, des pratiques de torture et des traitements dégradants d’un État donné, l’État du Maroc affirme ne pas reconnaître cette compétence.285 L’une des raisons avancées est la suivante : «Recognition of its competence [the Committee’s competence] could be unanimous only if the approach to and scope of human rights values were viewed in the same way by everyone.»286 Autrement dit, au-

delà de cette reconnaissance, ou non reconnaissance, l’État du Maroc doute que

283 Ibid.

284 UN. Doc. E/CN.4/1285 (1978).

285 UN. Doc. E/CN.4/1314 (1979)/Add. 4, § 16.

286 UN. Doc. E/CN.4/1314 (1979)/Add. 4, § 16. On examinera les autres raisons dans les

les droits fondamentaux aient une portée et une approche unanimes à l’échelle planétaire. Dit plus explicitement, selon cet État, le relativisme culturel des droits fondamentaux ne permettrait pas d’établir des principes universels des droits de la personne, et a fortiori des mécanismes de surveillance internationale des violations des droits qui se concrétiseraient entre autres par l’institution du Comité.

On désigne par le relativisme culturel la position qui est adoptée par un ensemble de penseurEs dans le domaine des droits fondamentaux, et qui consiste à rejeter totalement ou partiellement le principe de l’universalité des droits de la personne. Vue que la littérature est abondante à ce sujet, on rappelle seulement que ce débat est apparu suite à la publication du livre des politologues Adamantia Pollis et Peter Schwab, Human Rights: Cultural and

Ideological Perspectives, en 1979, où ces auteurEs soutiennent que comme le

corpus des droits fondamentaux a pour fondement les valeurs de la philosophie des Lumières, le DIDP ne pourrait pas être applicable à l’extérieur de l’Occident, en raison des différences culturelles et idéologiques.287 Depuis, les positions varient entre celles qui affirment que les cultures présentent des manifestations spatiales et temporelles tellement variées qu’aucun principe moral ne pourrait être universel,288 celles qui avancent que certains principes moraux peuvent être valides pour une société donnée, mais aucun principe ne pourrait être universellement valide,289 et celles qui soutiennent en revanche

287 Pollis & Schwab eds., op.cit., 1.

288 Jerome Shestack, «The Philosophic Foundations of Human Rights,» 20 Human Rights

Quarterly (1998) : 228.

qu’il existe un minimum de principes moraux qui sont universels, les normes et standards établis par la Déclaration universelle en sont quelques exemples.290 Cela va sans dire que la problématique de l’instrumentalisation politique du relativisme culturel est également soulevée.291

À ce stade, on souhaite déconstruire certaines hypothèses et croyances portant sur le sens de la contribution des déléguéEs des petits États au projet international des droits universels. En effet, il est généralement admis qu’entre autres facteurs, étant donné leur exposition au monde occidental, les représentantEs des petits États adhèrent au principe de l’universalité des droits.292 De surcroît, prenant comme exemple la mutilation des organes sexuels féminins, des études retiennent comme hypothèse que ce sont les populations locales qui, s’accrochant à leurs folklores et traditions, résistent à ces droits,293 sans que ces études n’examinent la possibilité que ces folklores et traditions soient un produit politique. Cela dit, si le sens de la contribution des petits États au projet international des droits universels nécessite une étude au cas par cas, c’est-à-dire et par État et par traité, en ce qui concerne le projet de

la Convention contre la torture, on peut d’ores et déjà affirmer que c’est l’État

290 Jack Donnelly, Universal Human Rights in Theory and Practice (Ithaca : Cornell University

Press, 1989), 23-25.

291 Ibid., 119.

292 An-Naïm, «Toward a Cross-Cultural Approach to Defining International Standards of Human

Rights: The Meaning of Cruel, Inhuman, or Degrading Treatment or Punishment,» in An-Naïm, op.cit., 428 ; Massad parle de classes supérieures et moyennes supérieures, in «Re-Orienting Desire: The Gay International and the Arab World,» op.cit., 372 ; Mutua, Human Rights, a Political and Cultural Critique, op.cit., 154-155.

293 Sonia Harris-Short, «International Human Rights Law: Imperialist, Inept and Ineffective?

Cultural Relativism and the UN Convention on the Rights of the Child, » Human Rights Quarterly 25 (2003) : 178-181.

du Maroc, dont le point de vue est celui de l’élite dirigeante, qui proclame le relativisme culturel des droits fondamentaux.

Par ailleurs, on souhaite écarter l’argument selon lequel l’État du Maroc résisterait aux mécanismes de surveillance internationale de la mise en œuvre des traités et conventions relatifs à la protection des droits fondamentaux, parce que ces mécanismes seraient produits par les États puissants dont le but de superviser les petits États, et donc de les réduire à un statut tutélaire. En fait, il n’en est rien. D’une part, en 1951, lors des négociations portant sur le droit de soumettre des communications individuelle au premier organe doté de fonction de surveillance internationale, soit le Comité des droits de l’homme, plusieurs déléguéEs des petits États, dont le délégué égyptien Mahmoud Azmi et le délégué syrien Jawaat Mufti, ont plaidé en faveur de ce droit.294 D’ailleurs, Burke rappelle à ce propos :

«It was not the initiative of a virtuous clique of Western members that decided the fate of individual petition. Throughout the immensely complex series of resolutions and rhetorical battles that ultimately resulted in the petitions procedure, Third World diplomats were the most significant actors, both in advancing and obstructing progress.»295

D’autre part, lors des négociations portant sur le projet de la Convention

contre la torture, les positions des États à propos des responsabilités du Comité

ne se sont pas forcément polarisées en fonction du vecteur puissance, ou absence de puissance, dans la communauté mondiale des États. Ainsi par exemple, la

294 Waltz, «Universal Human Rights: The Contribution of Muslim States,» op.cit., 835.

295 Burke, The Politics of Decolonization and the Evolution of the International Human Rights

France estime que c’est inacceptable que le Comité procède de sa propre initiative à des enquêtes concernant les pratiques de torture et des traitements dégradants d’un État donné, 296 pendant que la Gambie souhaite que ce Comité soit doté de mécanismes de surveillance effectifs, de sorte qu’il ait un impact réel sur la performance des droits fondamentaux des États.297

Comme l’argument du relativisme culturel est évoqué par l’État du Maroc lorsqu’il est question que le Comité des Nations Unies contre la torture reçoive et examine les communications individuelles, nous proposons de déterminer la portée de ces éventuelles communications.